Novembre 1920. La "Grande guerre" est officiellement finie depuis deux ans. Officiellement, mais pas dans le coeur de celles et ceux qui ont perdu fils, mari, fiancé, ni dans la chair de ceux qui en sont revenus mutilés, traumatisés, des visions d'horreur plein le ciboulot. Nous sommes à Londres, et nous allons passer cinq jours en compagnie de trois femmes à qui cette sale guerre a laissé bien des séquelles. Nous les accompagnerons jusqu'à l'arrivée du Soldat inconnu anglais, un corps anonyme choisi selon de mystérieux critères sur un champ de bataille en France et ramené symboliquement en grande pompe le 11 novembre 1920.
Evelyn, la trentaine, est l'une de ces femmes veuves avant même d'avoir pu célébrer son mariage, elle a perdu son fiancé Fraser, et d'une certaine façon aussi son frère Ed, avec lequel la complicité passée s'est éteinte depuis qu'il est revenu. Pendant le conflit elle a fabriqué des munitions, puis s'est reconvertie dans l'assistance aux soldats pour toucher leur pension.
Ada est plus âgée, et vit avec le souvenir de son fils disparu, Michael, qu'elle croit apercevoir à tout bout de champ. Comme elle ne sait pas exactement où et comment il a perdu la vie, elle entretient des fantasmes nourris par certaines rencontres, ce qui génère l'incompréhension grandissante de son mari Jack.
Et enfin, Hettie, la benjamine, 19 ans à peine, elle est danseuse de compagnie dans un établissement où nombre d'anciens soldats viennent oublier le temps d'une danse leurs douleurs et les images de boucheries imprimées dans leur tête. Elle vit avec sa mère et son frère Fred, ce dernier faisant partie des rescapés. Mais depuis son retour, en proie à des cauchemars récurrents, il est incapable de trouver du travail et traîne son mal-être derrière lui.
Chacune de ces femmes tente de poursuivre sa vie comme elle peut, de surmonter la perte, et de ne pas se laisser engluer par le marasme. Mais elles ont en commun cette difficulté à partager leur ressenti et leur souffrance avec leurs proches, qui soit ne les entendent pas, soit sont eux-mêmes encore trop vulnérables pour les écouter. Certains personnages se réfugient dans l'alcool, la drogue, ou les rencontres éphémères. D'autres s'accrochent à l'espoir de savoir enfin ce qu'il s'est passé exactement sur ces champs de bataille, dans l'espoir d'apaiser leurs doutes. Nous lecteurs, nous en sauront plus, par le biais de retours en arrière sur le front, et de chapitres en italique évoquant la quête du Soldat inconnu "idéal", celui qui incarnera tous ces disparus aux yeux de la population anglaise et permettra, peut-être, d'enfin faire son deuil.
Ce n'est pas le premier roman que je lis d'
Anna Hope, mais ce serait le premier qu'elle a écrit. Je salue sa maturité dans ce cas, sa maîtrise de l'écriture et de la psychologie des personnages. On les imagine parfaitement, ainsi que les tourments qui les agitent. Au début, j'ai eu un peu de mal à les identifier, il y a beeaucoup de personnages secondaires autour des trois héroïnes, mais je suis assez rapidement rentrée dans le monde de chacune. C'est peut-être la jeune Hettie qui m'a le plus touchée, elle incarne encore une certaine fraîcheur dans ce monde désabusé, même si elle est bien loin de l'insouciance qu'on devrait connaître à son âge. Evelyn par contre m'a parfois agacée, je l'ai trouvée rigide et peu compréhensive alors qu'elle est censée apporter de l'aide aux ex-soldats. Quant à Ada, bien sûr j'ai été triste pour elle qu'elle ne parvienne pas à accepter la disparition de son fils, j'aurais aimé plus de compréhension de la part de son mari.
On pourrait sans doute transposer ce récit à n'importe quelle guerre contemporaine, parce qu'à l'issue d'un conflit, il y a toujours "
le chagrin des vivants" qu'
Anna Hope a si bien su cerner.