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Critique de Patsales


1903: Mamah Cheney et Franck Lloyd Wright tombent follement amoureux l'un de l'autre. Problème: ils sont mariés, mais pas ensemble.
De la cour des Valois à l'Amérique du début du XX°, peu de différence: tels la princesse de Montpensier et le duc de Guise dans la nouvelle de Mme de Lafayette, la grande bourgeoise féministe et l'architecte star succombent aux affres de l'adultère et sacrifient en plus de leur réputation leurs enfants (qui n'étaient pas un sujet sous l'Ancien régime).
La question de l'honneur, rebaptisée « intégrité » reste, elle, bel et bien au coeur du débat: comment être digne de soi? Doit-on accepter de vivre dans le mensonge ou tout sacrifier crânement à de hautes aspirations ? Mamah va tout perdre: ses enfants, sa vie facile, la reconnaissance sociale. Elle découvre la culpabilité, la solitude, la pauvreté et trouvera une issue dans ses propres ressources intellectuelles.
La passion amoureuse n'est plus ce danger contre lequel mettait en garde Mme de Lafayette : elle est devenue le symbole même de l'honnêteté, et les enfants ne font les frais de cette nouvelle revendication que parce que l'hypocrisie sociale n'admet pas le divorce.
Ainsi nous balade la première partie de cette biographie romancée, comme la quête d'une indépendance sur fond de revendication suffragette tandis que Wright ajoute sa caution révolutionnaire, lui qui rejette les conventions victoriennes au profit d'une architecture organique et libératrice.
A moins que ce couple représente moins la modernité en marche que la persistance des valeurs aristocratiques.
L'aristocrate est persuadé de sa supériorité intrinsèque. Tout lui est dû, d'autant plus qu'il a l'amabilité sereine de ceux à qui tout sourit. Esthète raffiné, il puise dans les poches des autres pour s'offrir ce à quoi il a droit, tel Don Juan estimant que M. Dimanche est bien heureux de se faire détrousser par un homme tel que lui. Wright vit à crédit sans le moindre scrupule. Mamah se laisse entretenir sans trop se poser de questions et s'aperçoit tardivement que sa propre liberté a été payée par le sacrifice de sa soeur, la disparition de sa nièce, les efforts de ceux qui l'entourent pour gérer le quotidien et permettre à notre couple d'exprimer sa créativité sans être bridé par les contingences matérielles.
Quand le petit personnel ne donne plus satisfaction, il peut, comme le cuisinier Vatel, se suicider dans la plus totale indifférence (je ne connais rien de plus incisif concernant les rapports de classe que la lettre de Mme de Sévigné relatant cette mort). Ou alors il la joue à la Nat Turner.
Peut-on être libre en comptant sur le dévouement d'autrui? Peut-on être démocrate quand on fait des maisons que seuls les plus riches peuvent s'offrir ? Peut-on être dans le sens de l'histoire quand on est privilégié ? L'histoire (vraie) de Mamah et de Franck nous pose de troublantes questions auxquelles nous ne désirons guère apporter de réponses.
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