Depuis le temps que je marche dans le vide, je ne veux pas m’emballer pour rien. Ce n’est sûrement qu’une ombre de plus. Je me rapproche encore et, désormais, je distingue clairement ses formes qui s’agitent frénétiquement sous les coups de boutoir du blizzard. Une ombre aux liserés rouges !
Soudain, je ne marche plus, je sprinte, je vole au-dessus de la glace. Il n’y a pas une seconde à perdre : j’ai trop peur que mon cerf-volant me file à nouveau sous le nez. Peut-être est-il mal accroché ? Peut-être qu’à force de tirer sur ses ficelles, celles-ci vont se trancher sur l’arête du sastruga ? Le cœur palpitant, je n’ai pas le temps d’inventer un troisième scénario catastrophe. Je bats le record du monde de vitesse en ski nordique, je me rue sur mon cerf-volant, je le plaque sur la glace, je le serre contre moi. Et je l’étreins longuement, comme s’il s’agissait d’un adolescent fugueur qui vient de réapparaître.
C’est quoi, en fait, mon but dans cette histoire ? À quoi ça sert de traverser l’Antarctique ? Qui s’y intéresse à part moi ? Pour la plupart des gens, ça n’a peut-être aucun intérêt... J’écris : « Même si pour les autres, il y a zéro valeur dans ce que je fais, ça m’apprend à creuser profond à l’intérieur de moi, à y trouver des ressources que j’ignorais, et à devenir un meilleur être humain... » Jamais je n’ai éprouvé ce besoin de justifier ainsi ma quête d’explorateur. Jamais je ne me suis senti aussi vulnérable hors de la sphère familiale et d’un carré d’amis. Je savais que ce raid à travers l’Antarctique serait sans doute le défi physique le plus éreintant de ma carrière. Mais je n’étais pas préparé à ce que ce parcours du combattant se double d’une telle épreuve psychologique.
N’empêche, cette histoire de casserole perdue n’a pas entamé que mon régime alimentaire. Elle me fait mal au cœur. Plus qu’à tout autre objet, j’y étais profondément attaché. Elle m’accompagnait partout, elle m’était fidèle. Dans toutes mes expéditions, sa présence, ce bruissement qu’elle faisait - rrr-rooarr... - dès l’instant où je la posais sur la flamme étaient synonymes de plaisir lorsque je rentrais éreinté sous ma tente. Avec elle, j’éprouvais un sentiment de bien-être et de sécurité. Ma casserole me manque d’un point de vue pratique, mais aussi affectif.
Le continent ne reçoit que quelques centimètres d’eau par an. Dans les vallées sèches de McMurdo, où l’absence de glace et de neige laisse la terre et la roche à nu, on estime même qu’il n’a pas plu depuis deux millions d’années. Au point que la Nasa considère que ces conditions climatiques sont assez proches de celles de Mars pour y tester technologies, équipements et autres prototypes destinés à l’exploration de la Planète Rouge, et y entraîner ses astronautes.
Le lichen fructicose, lui, a des allures de miniarbuste au faux air de corail d’une couleur vert-bleu pâle. Phénomène typique des grands froids, la croissance de ce végétal est encore une fois très lente, de l’ordre de 1 centimètre tous les 100 ans.
« J'aime bien les difficultés dans la vie. Ça me permet de grandir à l'intérieur de moi. Je me mets volontairement dans des situations qui sont difficiles, parce que ça équilibre et aligne ma vie. »
Mike Horn est l'une de ces personnalités ordinaires au parcours extraordinaire présentées dans le livre « Pause », dans lequel Alexandre Mars montre l'importance des doutes, des échecs et des peurs dans un parcours réussi.
À découvrir en librairie : https://www.fayard.fr/livre/pause-9782213727028/