Mamie Marie m'a prise sur ses genoux et chuchoté à l'oreille:" Tu n'appartiens à personne. Tu es libre. Il n'y a que ça qui compte. Ne l'oublie jamais."
- Vous vivez toute seule ? Ce n’est pas triste ? Vous ne vous ennuyez pas ?
- Comment être seule en cette excellente compagnie ?
Elle a fait un très beau geste qui a embrassé tous les livres à la fois.
C’est un art, de faire parler les silences.
Les arbres, enveloppés dans de somptueuses robes de givre, semblent grandir et flotter dans la brume. Leurs racines se sont retirées dans des profondeurs, elles y cherchent le réconfort et assez d'énergie pour le printemps.
« Les nuages enceints de flocons de neige, près d’exploser, se mélangent aux nappes de brume qui montent de la terre transie .
Une respiration . »
La poésie c'est souffrir avec élégance, ce qui rend notre propre souffrance non seulement supportable mais belle
Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. Aujourd'hui, il n'existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme (...). Les rois n'existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti communiste. Il faut maintenant être communiste de père en fils. L'avantage avec le communisme, c'est que chacun peut l'adopter, alors que normalement il n'y a qu'un seul roi par pays.
La conversation a été très courte, je n'en ai rien entendu. Par contre, le lendemain matin, maman Marie a pris la situation en main.
Plantée devant l'école où on ne l'attendait pas, elle a exigé d'entrer. Personne n'a osé s'y opposer. Elle m'a appelée devant tout le monde, puis a dit d'une grosse voix que je ne lui connaissais pas :
- Il paraît que tu ne veux pas être traitée de bâtarde, alors que t'en es une ? Prends la vie comme elle vient mais ne baisse jamais la tête, surtout devant ce petit monde-là ! Tu ne peux pas fuir ce que tu es, mais il y a différentes façons de s'y prendre. Ne laisse jamais les gens avoir pitié de toi ; la pitié c'est ce qui se change en haine le plus rapidement. Après l'amour.
Puis elle a tourné les talons en direction de la maison. Je suis rentrée cet après-midi-là les yeux secs et la tête haute. Pas pour ce qu'elle avait dit, je n'avais pas très bien tout compris. Ce que j'avais par contre parfaitement saisi, c'est qu'elle s'adressait aux maîtresses et aux élèves. J'étais tout bonnement enchantée qu'elle soit venue me défendre devant mon monde.
Ma maman Liba, Libunka. Quand le nom ou le prénom est beau, ça ajoute du beau au beau, j'ai remarqué ça. J'appelle ma maman Libunka, c'est le plus joli de tous les prénoms, je trouve.
Et moi ? Je suis heureuse là, aujourd'hui, en marchant.
Je marche.
[...]
Je voudrais aller au bout du monde, sans but, sans limite de temps, sur des routes inconnues bordées de pommiers d'été ou de noyers, avec des champs à perte de vue, des forêts au loin, un paysage vallonné mais ouvert, juste de quoi élargir l'horizon. Tout d'un coup, je réalise que je marche exactement dans un paysage comme ça. Je me retrouve dans ce que j'imagine : une harmonie entre vouloir et être. Ma poitrine se gonfle de bonheur, une bouffée de joie en monte, de vivre ici en ce moment.