"Notre pays c'est l’esprit".
Odon von Horvath - 1933
"Nous devons être rentables, poursuit-il, la lutte commerciale est aussi une guerre, mon cher monsieur, et il est bien connu que l'on ne fait pas la guerre en gants blancs, vous devriez pourtant le savoir..."
En gants blancs ? C'étaient mes propres mots...
Quand le capitaine nous avait cité qu'un soldat n'était pas un assassin.
Le comptable me jette un regard railleur et glousse. Ou n'est-ce qu'une impression ?
Puis il continue son baratin et je m'entends moi-même, je m'entends moi-même...
Toutes ces formules et ces phrases creuses, outrecuidantes et éhontées, éculées, ressassées...
Je suis écoeuré de moi-même.
L'ombre de mon passé me dégoûte. Oui, le capitaine avait raison !
Je haïssais la vie facile et m'exaltais pour la difficulté...
Quel menteur j'étais !
Parfaitement, un lâche menteur - car que c'est facile de couvrir ses méfaits du drapeau de la patrie, comme si c'était un blanc manteau d'innocence !
Comme si un méfait n'était pas un crime, qu'il ait été commis au service de la patrie ou d'une quelconque autre société...
Un crime est un crime, et devant un juge équitable aucune société ne représente rien.
Du bien et du mal, il n'y a que l'individu qui puisse en répondre, et nulle sorte de patrie d'entre ciel et enfer.
J'attrape la lettre et commence à lire.
"Ma chère femme, je veux encore te remercier au moment d'entamer mon long voyage dans l'éternité, te remercier pour tout ton amour et ta fidélité. Pardonne-moi, mais je ne peux pas vivre plus longtemps, je mérite la corde..."
Je m'interromps.
La corde ?
Qu'est-ce qu'il a écrit là, le capitaine ?
Et je continue à lire : "Nous ne sommes plus des soldats, mais de misérables voleurs, de lâches assassins. Nous ne nous battons pas loyalement contre un ennemi, mais vicieusement et bassement contre des femmes, des enfants et des éclopés..."
Je jette un coup d’œil sur la femme.
Elle se tient toujours devant la fenêtre et regarde dehors.
Contre des femmes ?
Oui c'est vrai.
Somme toute, le bon Dieu devient de plus en plus superflu.
Sans doute qu'il n'existe même plus, car il encaisse tout sans rien faire contre. Ou n'est-ce qu'une impression ?
En un mot : on ne s'y retrouve plus, et qui peut savoir tout ce qui va encore arriver ? Moi pas.
Qui aurait, par exemple, osé prévoir qu'un jour de ma vie j'entrerais en rapports intimes avec la veuve de mon capitaine ?
"Qui ose gagne - surtout s'il dispose d'une supériorité écrasante."