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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


A une époque qui commence à se faire lointaine, je rédigeai une thèse sur la littérature fantastique, dont un grand chapitre était consacré à Lovecraft.
Dans ces temps, où tous les étudiants n'étaient pas encore communément équipés d' internet, il s'agissait d'un travail de fourmi : arpenter les bibliothèques, correspondre à gauche et à droite, voire à l'étranger, et à la fin, faire une synthèse laborieuse.
Cette synthèse, je l'ai maintenant devant moi dans cet opuscule de Michel Houellebecq. D'un côté, cela fait un plaisir de relire tout ce que j'ai réussi à glaner moi-même, présenté avec infiniment plus de panache que j'ai pu faire à l'époque, mais de l'autre côté, le fait d'avoir des nombreuses sources ne me met pas totalement en symbiose avec le point de vue d'un seul auteur. Il ne s'agit pas de l'exactitude des informations, loin de là, mais plutôt de la personnalité de Lovecraft en tant qu'être humain.
En ce qui concerne l'oeuvre de Lovecraft, j'adhère totalement à Houellebecq. Il y a indubitablement une création d'un "mythe fondateur" à l'instar de "Seigneur des anneaux" ou "Star Wars". Lovecraft était loin d'imaginer le phénomène qu'il va déclencher. N'ayant pas une très haute opinion de ses propres écrits, il n'a jamais nié l'influence de ses modèles littéraires: "...il y a mes histoires dans la veine de Poe et dans la veine de Dunsany, mais où sont, mon dieu, mes histoires dans la veine de Lovecraft ?" Et pourtant...presque plus personne ne connaît aujourd'hui les mondes fantastiques et imaginaires de lord Dunsany; on ressent toujours l'influence de Poe (parfois trop; il suffit de comparer la fin d'Arthur Gordon Pym avec la fin des Montagnes Hallucinées, où Danforth crie sans arrêt "tekeli-li, tekeli-li", un mot bien connu des lecteurs de Poe; et c'est loin d'être le seul exemple), mais le style lovecraftien est là. Il est là dans le côté descriptif. Contrairement à Poe, les récits de Lovecraft sont des tableaux vivants, tant pour dresser le décor, que pour décrire les horreurs évoluant dans ce décor là. Et pour cela, Lovecraft reste un maître incontesté.
En ce qui concerne la personnalité de Lovecraft, personnellement je crois qui il y a un gouffre entre Lovecraft tel qu'il paraît à travers sa correspondance, et Lovecraft de la vie réelle. Je ne dirais pas qu'il "détestait la vie", mais plutôt qu'il vivait une vie très coincée d'un "british gentleman" (issu d'une ancienne famille coloniale, il se considérait toujours comme le sujet loyal de sa Majesté et l'existence des Etats-Unis n'était pour lui qu'une chose accessoire); je ne dirais pas non plus qu'il était foncièrement misogyne, mais plutôt excessivement timide (sa mère étant persuadée que son fils est incroyablement moche, il a fini par le croire lui aussi). Pour ce qui est de son racisme, connaissant Lovecraft uniquement à travers sa correspondance ne donne effectivement pas envie de se lier d'amitié avec lui. C'est vrai qu'il a des opinions dignes d'un planteur sudiste arriéré, mais heureusement cela ne transpire pas trop dans ses histoires (le seul exemple ouvert , peut-être, se trouve dans le "Terrible vieillard", avec les personnages de "rital répugnant" Angelo Ricci, "monstre tchèque" Joe Czanek et "le singe portugais" Manuel Silva") - où alors, comme suggère Houellebecq, indirectement dans les descriptions oppressantes. Mais dans la vraie vie, ce raciste de Rhode Island était entouré d'amis qui l'aimaient et l'appréciaient malgré son racisme sur papier - déjà Sonia, sa femme juive (n'importe quel vrai raciste allemand aurait appelé cela un "rassenschande"!), et aussi ses plus proches collaborateurs, dont au moins quatre Juifs - Sam Loveman, Robert Bloch, Henry Kuttner et Donald Wollheim. le porte parole de la haine raciale était, apparemment, dans sa vie personnelle un ami généreux et agréable, une personnification de bonté. Je ne veux en aucun cas excuser Lovecraft où corriger Houellebecq, mais avec les préjugés "british" vont aussi les qualités "british", et la correspondance tardive de Lovecraft montre le changement d'attitude et la honte de ses opinions de jeunesse.
En tout cas, j'ai eu un grand plaisir de lire ce petit livre de Houellebecq, notamment pour son analyse de la genèse de Cthulhu.
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