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EAN : 9782253115526
474 pages
Le Livre de Poche (31/01/2007)
  Existe en édition audio
3.62/5   1961 notes
Résumé :
Michel Houellebecq

La Possibilité d'une île

Qui, parmi vous, mérite la vie éternelle ?

"Roman d'anticipation autant que de mise en garde. La possibilité d'une île est aussi une réflexion sur la puissance de l'amour. Vite vient l'envie de comparer sa propre lecture à celle des autres. S'il est des livres que l'on a envie de garder pour soi, il n'en est décidément rien avec ceux de Houellebecq, comme s'ils offraient, à chaq... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (143) Voir plus Ajouter une critique
3,62

sur 1961 notes
Avec Houellebecq appelons un chat un chat, surtout si on fait de préférence allusion à la femelle de l'espèce. Il est certain que si on lit Houellebecq au premier degré on restera au niveau de cette partie de son anatomie qui rime avec citrouille. C'est avec pareille écriture décomplexée, dépouillée de l'adverbe, proche de la langue parlée que Houellebecq a séduit son lectorat. Une écriture affranchie de toute censure, propre à libérer l'homme de la violence et la licence qui bouillonnent au tréfonds de son être. Avec Houellebecq, seul le bonheur est absent du tableau. Comme tabou. Le réalisme sombre dans la déréliction et clame à longueur de pages le malaise existentiel de son héros. Une lecture qui laisse un goût de cendre dans la bouche.

Avec lui, l'accouplement est le seul acte de la vie humaine qui détourne vraiment de l'obsession de la mort. Forcément, il est créateur de vie. Et pour ceux de l'espèce humaine qui en douterait la Nature y a fait correspondre le plaisir. Ces moments d'extase trop rares, trop courts, trop peu partagés, deviennent pour le coup l'unique objectif de l'existence humaine.

Oui mais voilà, l'individu n'est pas programmé pour l'éternité. Il reste subordonné à l'espèce qui seule survivra. Piètre consolation. Le dépérissement du corps va jusqu'à le priver de ses fugaces instants de grâce, ses seuls instants d'éternité. Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable a pu écrire Romain Gary qui a bien exploré le sujet, comme tant d'autres. C'est le drame du vieillissement. Le monde s'écroule quand la Nature prive le mâle de ses "matins triomphants" chers à Victor Hugo.

Mais au fait, elle, qu'en dit-elle ? Houellebecq ne s'en soucie que trop peu. "Celui qui aime quelqu'un pour sa beauté, l'aime-t-il ?" S'en culpabilise-t-il toutefois en catimini. Cet ouvrage est celui du décalage de l'amour et de la sexualité. Isabelle aime Daniel mais n'aime pas le sexe. Daniel aime Esther qui n'aime que le sexe. La possibilité d'une île est le roman de l'insondable solitude de l'Homme face à son destin. "On nait seul, on vit seul, on meurt seul".

A cette écriture désinhibée, Houellebecq allie une puissance conceptuelle exceptionnelle. Une imagination galopante, tout azimut, méprisante de la bienséance ringarde qui a essoufflé ses prédécesseurs dans l'art d'écrire. Quant à être visionnaire, on ne saurait dire tant le paysage est sombre. Mais peut-être a-t-on peur qu'il ait raison. Si dans un futur plus ou moins proche le clonage remplace l'accouplement pour reproduire l'individu, sûr que l'amour qui peinait déjà à s'imposer n'aura plus de raison d'être. Misère sexuelle, misère affective seraient-elles l'avenir de l'espèce. A moins que ce ne soit déjà le cas ?

Mais pourquoi ai-je donc lu Houellebecq, moi qui vis sereinement ma vie d'autruche, la tête dans le sable à n'oser affronter la triste réalité de ce monde ? Sans doute parce qu'une femme a eu la force de conviction séductrice de m'ouvrir les yeux sur la seconde lecture qu'elle avait faite de cet ouvrage. Celle qui rime avec toujours, et pas avec citrouille. Où avais-je donc la tête ?
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Non ! Houellebecq, j'aime bien.
Alors voyons, la quatrième de couverture :
- .Qui, parmi vous, mérite la vie éternelle ?
Non ! Restez zen ! Ne vous battez pas ! T'te façon c'est moi qui commande... Personne ! Tout le monde ! Mais surtout ! Pour quoi faire ?
Oui ! Histoire de vous embrouiller un peu, je commence par la fin, une phrase seulement ; qui voulait s'en inspirer a perdu !
- .Alors qui ?
- .Le sauvage, régulant la limite d'âge à 50 ans par pratique du cannibalisme.
- .Clone 1er soit l'ancêtre de Daniel, puis des ‘Daniel' numéro 1 à 24 des néo-humains, dignes représentants de la secte des Élohim, puis enfin
- .Daniel 25, promis au phénomène de la réincarnation, l'ultime ‘Indélivré'...
C'est dans son Cyberspace que Daniel 24 se nourrit de mail et du récit de vie de Daniel 1er dont il est un représentant par copie génétique. Il s'attache donc à étudier l'historique de ce référentiel et pourrions-nous dire, en l'occurrence, les 3 âges de l'amour : Avant - Pendant - Après.
- .Avant : l'inconditionnel, le fougueux de la prime jeunesse, à ne point manquer, à ne point occulter.
- .Pendant : celui en cours, quand béatement on se donne du Monsieur ‘Untel' Madame ‘Untel' et ses petits, dudit sobriquet, (j'aimerais bien qu'on me considère en tant que tel) : de la famille Untel qui s'y perd, s'y dissipe où s'y disperse.
- .Après : le passionnel, celui de la dernière chance. Une éventualité pour laquelle on a bien réfléchi, pesant le pour et le contre, l'éphémère et le prévisible, tout cela pour s'y jeter à corps perdu et de façon totalement irraisonnée et en toute connaissance de cause.
Le Néo-humain n'est pas un hypocrite, c'est un ancien vous-même qui a rejoint la secte des Élohim et il arbore un langage cru, sans fioritures.
Le prophète en ces lieux qui prône une sexualité débridée, à commencer par la sienne, s'impose en mâle dominant, ce qui a un effet castrateur aussitôt ressenti par les émules qui de fait, se cantonnent plutôt dans la solitude. Puisque c'est permis, on n'en a plus envie, réaction infantile, somme toute. Mais, tandis que les néo-humains sont sensés atteindre un certain degré d'immunité pulsionnelle, il ne sied guère au bel italien, Gianpaolo, qu'on s'empare de son trophée, la sublime Francesca, lequel rectifiera de façon, sinon énergétique, énergique ce petit problème de dosage.
Alors ! En raison des recherches sus exposées, nous avons la possibilité de vous proposer les adaptations suivantes :
- .1er choix : une option pour l'eugénisme vers un vide abyssal pour néophyte insensible.
- .En 2ème choix : une ré-humanisation vers l'état second de l'ivresse, avec les effets secondaires, naturellement.
- .En 3ème choix, le retour aux origines étant impossible à mettre en application, vous avez la consécration, réincarnation à l'état animal, sachant qu'une bête aimante, à moins de tomber sur un néo-maître, a toutes les chances d'accéder par effet de miroir à un amour inconditionnel.
Peut-être bien que c'est pas si rigolo que j'dis, mais c'est super intéressant, en tout cas, moi, ça m'a plu.
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Rares sont les écrivains aussi "clivants" que Michel Houellebecq.
Génial visionnaire pour certains, vieux dégueulasse surcoté pour d'autres, on idolâtre ou on exècre.

Très bien, mais alors pourquoi cette note moyenne, mi-figue mi-raisin, pourquoi ces 3 étoiles plutôt tiédasses ? Ben tout simplement parce que jusqu'au bout, j'ai été incapable de me décider, incapable de choisir mon camp.
Emballé [youpi] par certains passages foutrement bien torchés et par certains points de vue carrément décapants sur notre monde à l'agonie, puis écoeuré [beurk] par le cynisme permanent et démesuré dont fait preuve Daniel, héros houellebecquien en (im)puissance, archétype du mâle blanc obsédé et dépressif...
Epaté [youpi] par la construction du roman et par ses thèmatiques originales et ambitieuses (l'anéantissement de notre société exsangue, le naufrage civilisationnel, la quête de la jeunesse éternelle et la mise au rebus des aînés, l'avènement par clonage d'une nouvelle espèce artificielle de néo-humains...), puis fatigué [beurk] de ce désenchantement tellement systématique qu'il en devient caricatural, et lassé de ces scènes de sexe gratuites et récurrentes...
Les montagnes russes, quoi. D'ailleurs, comme embarqué dans le plus endiablé des roller-costers, j'ai lu ces 500 pages à toute vitesse, et j'en suis ressorti un peu nauséeux. Plutôt content, mais pas pressé de repartir pour un tour.

Faut dire que Houellebecq sait y faire pour chahuter son lecteur, pour l'entraîner de force dans son univers désespéré, décadent, vulgaire et violent, en enchaînant les provocations et les prises de positions pour le moins contestables sur la nature fondamentalement malsaine, perverse et déviante de l'être humain. Pour lui c'est clair : "le seul fait d'exister est déjà un malheur". Quand je vous disais que c'était pas franchement l'éclate...

Cette fois, son héros Daniel_1 est un comique (si si, je vous jure !), dont l'humour polémique et grinçant cartonne.
Mais bien sûr Daniel_1 est malheureux (rappelez-vous, on est chez Houellebecq). Son dégoût de l'humanité n'a d'égal que son appétit sexuel insatiable ("pendant toute ma vie je ne m'étais intéressé qu'à ma bite ou à rien, maintenant ma bite était morte et j'étais en train de la suivre dans son funeste déclin, je n'avais que ce que je méritais". Voilà qui situe un peu le bonhomme...)
Par un concours de circonstances, il est aux premières loges pour assister à l'avènement d'une secte et de son prophète, présenté dans le meilleur des cas comme un hurluberlu soucoupiste, dans le pire comme le dangereux théoricien de doctrines flirtant avec l'eugénise et le nazisme.
Toujours est-il que la secte rencontre vite un immense succès, supplante les autres religions (que Houellebecq aime comme toujours à égratigner dans les grandes largeurs !), et que ses recherches sur le clonage finissent par aboutir : ainsi retrouvons-nous, plusieurs siècles plus tard, après la Pemière et la Seconde Diminution, après le Grand Assèchement, Daniel_22, Daniel_23 et quelques-un de leurs successeurs. Tous sont des copies conformes du Daniel-souche, à quelques améliorations génétiques près, qui évoluent dans une société nouvelle complètement virtuelle, désincarnée, dépourvue de passions et de contacts physiques...

D'un côté donc, le monde contemporain de Daniel_1, dépravé et glauquissime. De l'autre, d'étranges communautés de néo-humains, abstraites et glaciales, ou le rire et les larmes ont disparu.
Deux salles, deux ambiances.
Difficile de dire lequel de ces univers fait le plus froid dans le dos.
Difficile aussi d'imaginer contraste plus saisissant entre un si joli titre et un contenu si trash.
Difficile enfin d'écrire un roman plus sombre et plus désespérant, sans nulle part la moindre once d'optimisme. Seul Fox, le chien cloné qui accompagne chaque nouveau Daniel semble être animé d'un semblant de vie, puisqu'à la différence de ses maîtres "sa nature en elle-même inclut la possibilité du bonheur".

Une lecture compliquée, donc, idéale pour se préparer au suicide.
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Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l'éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire.
La Possibilité d'une île, son quatrième roman, a été publié en 2005 et il reçut le prix Interallié. Trois ans plus tard l'écrivain en fera un film qu'il réalisera lui-même avec Benoît Magimel dans le rôle principal. Sa sortie sur les écrans en 2008 se soldera par un échec commercial autant que critique.
La possibilité d'une île est un roman d'anticipation. Daniel est artiste de scène, humoriste, provocateur et cynique, estimant que le plus grand bénéfice de son métier « c'est de pouvoir se comporter comme un salaud en toute impunité ». Un premier mariage raté, sa femme l'a plaqué et son fils s'est suicidé.
Quand le roman débute, Daniel écrit le récit de sa vie, mais c'est là aussi que le bouquin entre dans la catégorie « anticipation » car il ne s'agira pas uniquement de sa vie. Ce seront les vies successives de tous les Daniel qui les uns après les autres viendront remplacer le précédent au cours des siècles futurs, s'enrichissant chacun du vécu des autres. Michel Houellebecq faisant du clonage et de la création artificielle aboutissant à la vie éternelle, le thème central de son roman, une vaste fresque courant de l'Homme d'aujourd'hui au néo-humain du Futur. Les chapitres du livre sont autant de point de vue, principalement de Daniel 1 (celui d'aujourd'hui) que de ses successeurs, Daniel 23 ou 25 (plusieurs siècles plus tard).
A travers cet épais roman recouvrant un temps non moins grand, l'écrivain a tout loisir pour développer sa réflexion sur notre société et ça fuse de toutes parts. Critiques sur la presse et le cinéma, considérations sur l'art moderne et les idéologies politiques ou bien du rire comme représentation de la cruauté. Sachant que ce sont les relations entre hommes et femmes qui restent son sujet de prédilection et donc le sexe.
Les scènes sexuelles très détaillées ne manquent pas, balançant entre but éducatif et argumentation sur sa manière de voir la vie. de façon plus générale, pour l'auteur, nos corps expliquent nos actes, « l'état de nos corps constitue la véritable explication de la plupart de nos conceptions intellectuelles et morales ». C'est évidemment aussi l'occasion de placer une analyse sur l'amour de nos jours, « Esther n'aimait pas l'amour, elle ne voulait pas être amoureuse, elle refusait ce sentiment d'exclusivité, de dépendance, et c'est toute sa génération qui le refusait avec elle ».
Michel Houellebecq aborde aussi les thèmes, du bonheur, de la religion, de la morale, de la mort et de la résurrection donc de la vie éternelle par le biais d'une secte qui ressemble fort au mouvement Raélien. L'euthanasie des vieillards ou l'inceste sont aussi évoqués mais sans trop insister heureusement car parfois son manque d'empathie et ses analyses froides laissent un goût amer dans la bouche du lecteur. L'écrivain est un maître dans la dissection de l'âme/nature humaine, ce qui le rend particulièrement éprouvant à suivre quand il met à nu nos pensées les plus intimes et les moins reluisantes.
Un roman qui se lit très bien, écrit avec virtuosité par un écrivain qui n'hésite pas à mettre beaucoup de lui-même dans son texte tout en nous embarquant personnellement dans son sillage, parfois contre notre volonté, et qui nous force à réfléchir tout au long de ces cinq cents pages denses et riches en thèmes abordés. Philosophe ou moraliste provocateur, Michel Houellebecq ne peut laisser indifférent et en cela son livre est grand.
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Daniel et deux de ses clones nous livrent leur histoire au travers une sorte de journal. C'est d'un pessimisme excessif (d'un autre côté la conjoncture actuelle ne porte pas non plus a l'optimisme).
Un questionnement incessant sur les relations hommes-femmes, le sexe, le religieux, le sectaire...

Pour être foncièrement honnête je n'ai pas aimé du tout ce livre. Pas la forme , parce que l'écriture de Houllebecq est quand même très agréable. Mais au niveau du fond j'ai vraiment eu du mal. Ce sont des plaintes répétitives et ennuyeuses... et comme j'ai besoin de voir les choses positivement je pense que peut être je l'ai lu au mauvais moment.
D'un autre côté j'aurais du m'y attendre puisque ce livre a été primé (prix Interalliée en 2005) et que les livres primés (sauf rares exceptions) font un grand bide chez moi.
Je ne dis donc pas que je ne lirais plus cet auteur, je retenterais sur un autre roman... avec l'espoir que celui là me plaira
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critiques presse (1)
Lecturejeune
01 mars 2006
Lecture jeune, n°117 - La possibilité d’une île, prix Interallié 2005, figurait sur la liste du Goncourt des lycéens. Cette fresque d’anticipation qui dit si bien le mal de notre (début de) siècle est certes l’un des romans les plus forts de la rentrée littéraire. Comme son personnage Daniel, comique de son état, Michel Houellebecq est profondément dépressif, provocateur et misogyne. Agaçant ? Peut être, mais avant tout brillant… et malgré tout touchant. Héritier de La Rochefoucauld, il livre des analyses aiguës des dérives de notre société (jeunisme, individualisme, consumérisme) et titille ainsi le lecteur là où ça fait mal. L’épopée de Daniel, qui fit du cynisme et du politiquement incorrect son fonds de commerce avant de s’enrôler dans une secte pour fuir sa peur de vieillir et de mourir seul, est exemplaire. La vie éternelle, qu’il tente en un dernier sursaut pathétique de gagner dans les bras d’une Lolita, lui est finalement offerte par les Eholim. Daniel livre des descriptions amusées des moeurs de cette secte new wave spécialiste du clonage (toute ressemblance avec les Raëliens serait purement fortuite). Parmi les adolescents, les lecteurs matures pourront être séduits par cet aspect et par l’inscription du roman dans le registre de la science-fiction. Mais combien s’intéresseront vraiment au désespoir d’un héros à la chair triste qui clame que «La vie commence à cinquante ans, c'est vrai ; à ceci près qu'elle se termine à quarante» ? Gaëlle Glin
Lire la critique sur le site : Lecturejeune
Citations et extraits (277) Voir plus Ajouter une citation
Lors des premières phases de mon ascension vers la gloire et la fortune, j'avais occasionnellement goûté aux joies de la consommation, par lesquelles notre époque se montre si supérieure à celles qui l'ont précédée. On pouvait ergoter à l'infini pour savoir si les hommes étaient ou non plus heureux dans les siècles passés ; on pouvait commenter la disparition des cultes, la difficulté du sentiment amoureux, discuter leurs inconvénients, leurs avantages ; évoquer l'apparition de la démocratie, la perte du sens du sacré, l'effritement du lien social. Je ne m'en étais d'ailleurs pas privé, dans bien des sketches, quoique sur un mode humoristique. On pouvait remettre en cause le progrès scientifique et technologique, avoir l'impression par exemple que l'amélioration des techniques médicales se payait par un contrôle social accru et une diminution globale de la joie de vivre. Reste que sur le plan de la consommation, la précellence du XXe siècle était indiscutable : rien , dans aucune autre civilisation, à aucune autre époque, ne pouvait se comparer à la perfection mobile d'un centre commercial contemporain fonctionnant à plein régime. J'avais ainsi consommé avec joie, des chaussures principalement ; puis peu à peu je m'étais lassé, et j'avais compris que ma vie, sans ce soutien quotidien de plaisirs à la fois élémentaires et renouvelés, allait cesser d'être simple...





   Il y a paraît-il des gens qui ne croient pas au coup de foudre ; sans donner à l'expression son sens littéral, il est évident que l'attraction mutuelle est, dans tous les cas très rapide ;  Dès les premières minutes de ma rencontre avec Isabelle j'ai su que nous allions avoir une histoire ensemble, et que ce serait une histoire longue ; j'ai su qu'elle en avait elle-même conscience... L'entretien eut lieu dans ma loge, après un spectacle qu'il faut bien qualifier de triomphal. Isabelle était alors rédactrice en chef de "Lolita", après avoir longtemps travaillé pour "20 ans".   Je n'étais pas très chaud pour cette interview au départ ; en feuilletant le magazine, j'avais quand même été surpris par l'incroyable niveau de pétasserie qu'avaient atteint les publications pour jeunes filles : les tee-shirts taille dix ans, les shorts blancs moulants, les strings dépassant de tous les côtés...

Après quelques questions de démarrage sur le trac, mes méthodes de préparation, etc., elle se tut. Je feuilletai à nouveau le magazine.

   " C'est pas vraiment des lolitas... observai-je finalement. Elles ont seize, dix-sept ans.

   - Oui, convint-elle ; Nabokov s'est trompé de cinq ans. Ce qui plaît à la plupart des hommes ce n'est pas le moment qui précède la puberté, c'est celui qui la suit immédiatement. de toute façon, ce n'était pas un très bon écrivain."

    Moi non plus je n'avais jamais supporté ce pseudo-poète médiocre et maniéré, ce malhabile imitateur de Joyce qui n'avait même pas eu la chance de disposer de l'élan qui, chez l'Irlandais insane, permet parfois de  passer sur l'accumulation de lourdeurs. Une pâte feuilletée ratée, voilà à quoi m'avait toujours fait penser le style de Nabokov. 

   " Mais justement, poursuivit-elle, si un livre aussi mal écrit, handicapé de surcroît par une erreur grossière concernant l'âge de l'héroïne, parvient malgré tout à être un très bon livre, jusqu'à constituer un mythe durable, et à passer dans le langage courant, c'est que l'auteur est tombé sur quelque chose d'essentiel."...



   Il devait être cinq heures du matin et je venais de jouir en elle et ça allait, ça allait vraiment bien, tout était réconfortant et tendre et je sentais que j'étais en train d'entrer dans une phase heureuse de ma vie, lorsque je remarquai sans raison précise, la décoration de la chambre - je me souviens qu'à cet instant la clarté lunaire tombait sur une gravure de rhinocéros, une gravure ancienne, du genre qu'on trouve dans les encyclopédies animales du XIXe siècle.

   " Ça te plaît, chez moi ?

    - Oui, tu as du goût.

   - Ça te surprend que j'aie du goût alors que je travaille pour un journal de merde ? " 

    Décidément , il allait être bien difficile de lui dissimuler mes pensées. Cette constatation, curieusement, me remplit d'une certaine joie ; je suppose que c'est un des signes de l'amour authentique.

   " Je suis bien payée... Tu sais, souvent, il ne faut pas chercher plus loin.

   - Combien ?

   - Cinquante mille euros par mois.

   - C'est beaucoup, oui ; mais en ce moment je gagne plus.

   - C'est normal. Tu es un gladiateur, tu es au centre de l'arène. C'est normal que tu sois bien payé : tu risques ta peau, tu peux tomber à chaque instant...

   - Tu as entièrement raison... dis-je. Sauf que, dans mon cas, je ne risque rien.

   - Pourquoi ? " Elle s'était redressée sur le lit, et me considérait avec surprise.

   "Parce que, même s'il prenait au public l'envier de me virer, il ne pourrait pas le faire ; il n'a personne à mettre à ma place. Je suis, très exactement, irremplaçable. ...

   - C'est vrai, dit-elle. Il y a chez toi une franchise tout à fait anormale. Je ne sais pas si c'est un évènement particulier de ta vie, une conséquence de ton éducation ou quoi ; mais il n'y a aucune chance que le phénomène se reproduise dans la même génération. Effectivement, les gens ont besoin de toi plus que tu n'as besoin d'eux - les gens de mon âge, tout du moins. Dans quelques années, ça va changer. Tu connais le journal où je travaille : ce que nous essayons de créer, c'est une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ni à l'humour, qui vivra jusqu'à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et du sexe ; une génération de kids définitifs. Nous allons y parvenir, bien sûr ; et, dans ce monde là, tu n'auras plus ta place...
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"Je pense qu'elle va trouver que tu es trop vieux..."
Oui c'était ça, j'en fus convaincu dès qu'elle le dit, et la révélation ne ma causa aucune surprise, c'était comme l'écho d'un choc sourd, attendu. La différence d'âge était le dernier tabou, l'ultime limite, d'autant plus forte qu'elle restait la dernière, et qu'elle avait remplaçé toutes les autres. dans le monde moderne on pouvait être échangiste, bi, trans, zoophile, SM, mais il était interdit d'être vieux.
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Ma vie, ma vie, ma très ancienne
Mon premier voeu mal refermé
Mon premier amour infirmé,
Il a fallu que tu reviennes.

Il a fallu que je connaisse
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur
Et sans fin s'unissent et renaissent.

Entré en dépendance entière,
Je sais le tremblement de l'être
L'hésitation à disparaître,
Le soleil qui frappe en lisière

Et l'amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l'instant ;
Il existe au milieu du temps
La possibilité d'une île.
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La solitude à deux est l'enfer consenti. Dans la vie du couple, le plus souvent, il existe dès le début certains détails, certaines discordances sur lesquelles on décide de se taire, dans l'enthousiaste certitude que l'amour finira par régler tous les problèmes. Ces problèmes grandissent peu à peu dans le silence, avant d'exploser quelques années plus tard et de détruire toute possibilité de vie commune. Depuis le début, Isabelle avait préféré que je la prenne par derrière.
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Soyez les bienvenus dans la vie éternelle, mes amis.

Ce livre doit sa naissance à Harriet Wolff, une journaliste allemande que j'ai rencontrée à Berlin il y a quelques années. Avant de me poser ses questions, Harriet a souhaité me raconter une petite fable. Cette fable symbolisait, selon elle, la position d'écrivain qui est la mienne.

Je suis dans une cabine téléphonique, après la fin du monde. Je peux passer autant de coups de téléphone que je veux, il n'y a aucune limite. On ignore si d'autres personnes ont survécu, ou si mes appels ne sont que le monologue d'un désaxé. parfois l'appel est bref, comme si l'on m'avait raccroché au nez; parfois il se prolonge, comme si l'on m'écoutait avec une curiosité coupable. Il n'y a ni jour, ni nuit; la situation ne peut pas avoir de fin.

Sois la bienvenue dans la vie éternelle, Harriet.
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Qui est aujourd'hui l'écrivain français le plus traduit dans le monde ? Son roman le plus célèbre, au parfum de science-fiction, a fait l'effet d'une bombe lors de sa parution…
« Les particules élémentaires », de Michel Houellebecq, c'est à lire en poche chez J'ai lu.
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