-Je me sens rétréci. Le monde est en 2-D. Tu t'es déjà demandé si tu pouvais vivre sans alcool?
-Non, pourquoi? Tu t'es déjà demandé si tu pouvais vivre sans respirer, toi?
Antonin observa avec une moue de mépris à peine dissimulée les cloportes qui composaient sa famille et qui rappliquaient de toute façon dès qu'il s'agissait de se pinter en groupe et de peloter des femmes. Il devait malgré tout admettre que l'ivresse solitaire avait quelque chose d'absolument triste. Mais cette frénésie dans les beuveries familiales, dans ces partouzes éthyliques, heurtait la sensibilité de l'adolescent.
Antonin, fasciné, ne la quittait plus des yeux. Cela faisait déjà quelques minutes qu'il n'écoutait plus l'exposé scientifique de 42. Il se demandait simplement s'il pouvait raisonnablement sauter cette fille formidable avec son ancien copain à l'intérieur ...
Tu te serais endormi dans cette boue de festivals qui se transformaient en lave l'espace d'une heure, d'un accord, d'un hurlement. La boue des corps et des âmes enchevêtrés sur la paillasse de l'utopie.
Le réveil d'Antonin avait sonné toutes les deux heures, comme toutes les autres nuits. Sa main était allée cueillir, dans un geste parfaitement programmé, la bouteille de vodka posée sur la table de chevet. Deux ou trois gorgées. L'équivalent d'un verre de vin. Deux verres pleins pour la nuit et, au matin, une formidable migraine.
Il était difficile de rester amoureux d'un quartier de viande avariée qui manifestait à peu près autant de vivacité d'esprit qu'un lémurien élevé à la marijuana et dont ma conversation se résumait à quelques clapotis de marécage.
L'idée de perdre enfin sa virginité en 1968, près d'un siècle avant sa naissance, lui parut formidablement farfelue.
Antonin avait envie de pleurer et de hurler qu'il n'avait pas envie de mourir ici, sur les quais d'une Tamise glaciale, dépecé par une horde de beatniks défoncés, et à une époque où il n'était même pas né...
"Putain ! C'que c'est chouette !"
42 écarquilla les yeux. La volonté d'Antonin de perdre son pucelage devenait sidérante. Un bon d'un siècle dans le temps n'avait pas fait dévier d'un pouce son désir de s'envoyer une nana...