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Critique de Gonavon


Le dernier des trois tomes, le plus sombre, le plus nihiliste, celui que j'aime le moins mais qui possède tout de même plein de mérites.

LE LIVRE :

Je ne pourrai pas en dire beaucoup à ce sujet, puisque j'ai lu ce troisième tome à partir d'une collector. Mais j'ai le premier tome, et je sais que Bragelonne font des livres de qualité, donc je me sens capable de dire qu'il s'agit d'un produit bien fait, d'un bon rapport qualité/prix. Les textes originaux viennent avec, purs, traduits par ce cher Louinet, grand expert de l'oeuvre de Howard qui contribue à chacun des tomes avec ses propres interprétations (qui en valent toujours la peine). Nous avons aussi droit à des notes, des brouillons, quelques plans et textes inachevés.

LE TEXTE :

Dents de Gwahlur

Un peu une déception. Ayant lu la genèse (ou était-ce l'introduction?) et m'étant informé, je savais donc que cette histoire avait été inspirée par les grandioses cavernes de Carlsbad que Howard avait visité pendant un voyage. Et ça l'est, pour les toutes dernières pages du récit (qui sont les meilleures) et pour les minces descriptions qui ne conjurent pas la sensation grandiose mais qui, je suppose, sont mieux que rien.

Je m'attendais à une histoire entière dans une caverne, dans les profondeurs noires de la terre, où Conan se fait pourchasser de galerie en galerie par des monstres hideux, des Enfants de Set et des ombres en robes. Je m'attendais à un bon sens de claustrophobie et de désorientation, d'explorations profondes et lugubres, et il y a un peu de ça, mais bon sang que je me serais passé de l'énième cité perdue dans la jungle.

Ce n'est pas pour chier sur le décor; je réalise que ce n'est que la forme et non la substance et qu'au moins j'ai eu mes cavernes à la fin. Mais c'était trop peu trop tard pour moi. Alkmeenon a du mérite, cependant. Si l'esthétique et l'idée ne sont pas originales, j'aime l'isolation de la cité, son histoire confuse, l'ambigüité des phénomènes qui s'y déroulent. Grâce aux nombreux allers-retours et descriptions (parfois lourdes), j'ai pu me faire une carte mentale des lieux, ce qui est très rare dans les histoires de Conan, mais qui est une bonne preuve des efforts fournis par Howard pour rendre cet endroit réel; on ressent vraiment sa planification.

L'ambigüité est un autre sujet que je veux aborder. Spoilers, en passant. Dans l'univers établi par Howard, il est clair que le surnaturel existe et que des dieux existent. C'est confirmé souvent dans les nouvelles, on voit des preuves claires de leur existence, tout fan sait que c'est vrai. Et pourtant, dans cette histoire, Howard rend ambiguë la nature de Yelaya. Ça l'ajoute au mystère et à l'intrigue, oui, tout à fait et je le comprends. Mais j'ai trouvé un peu étrange, dans cet univers de dieux nombreux et réels, que l'un d'eux soit autant ambigu. Ce n'est pas du tout un défaut, ne me méprenez pas, c'est juste un détail intéressant que je voulais mentionner. Ça sert l'histoire, je le sais, mais ça m'a frappé car c'est la première fois qu'une telle ambigüité est présente, et bien que ce soit inhabituel dans cet univers, ça reste la bienvenue et démontre la qualité de l'histoire.

Parce que l'histoire est bonne. Mais je ne dirais pas plus ni moins, juste bonne. La prose ne m'a pas non plus ébahi, elle était tout à fait normale. Les événements s'enchainent à un rythme respectable, l'intrigue est assez étroite et le peu de bataille présent est adéquat. Mon manque d'enthousiasme à l'égard de cette nouvelle est surtout dû aux attentes un peu trop spécifiques que j'avais.

Comme dernier point à mentionner, (spoiler aussi) j'aurais bien aimé un peu plus de créativité pour les monstres. Les serviteurs de Bit-Yakin sont recyclés de l'Heure du Dragon, ils sont le même homme-primate au pelage gris des donjons du palais de Belverus. On a droit à un peu plus d'information sur leur espèce, ce qui je présume ajoute à la profondeur du folklore et du bestiaire de l'univers, mais j'aurais aimé quelque chose de nouveau, de plus visuellement intéressant.

Somme toute une histoire correcte, avec un bon déroulement, des détours et de beaux endroits.

Les Clous Rouges

Bon sang de bon dieu. Tout ce que j'ai à dire là-dessus. Bon, non, j'ai plus à dire, mais c'est ma première impression. Hors de toutes les histoires Conan, c'est elle la plus noire et nihiliste. Elle est bonne! Elle est même très bonne! Mais seigneur qu'elle pèse sur les épaules. Et ce n'est pas juste à cause du sang et de la violence, c'est un type beaucoup plus insidieux de noirceur qui règne dans l'histoire, qui se tapit dans les thèmes et le sous-texte, qui décrit les civilisations comme étant damnées à l'avance et vouées à cette décadence totale.

Mais comme je l'ai dit : excellente histoire! J'ai eu un grand plaisir à la lire, elle roule bien, les paysages sont fantastiques, l'imagination grouille et c'est un vrai manège. Mais ça paraît vraiment que c'est la dernière aventure Conan écrite par Howard, c'est vraiment le pic de la troisième ère de Conan, celle que j'aime le moins justement à cause du nihiliste flagrant. Je ne déteste pas le nihilisme et la noirceur dans mes livres, tout le contraire, mais je trouvais les aventures de Conan déjà assez plongées dans ce ton; là, c'est remettre une deuxième couche de glaçage sur la première, et mon estomac chavire, et je pense que j'ai le diabète.

Les batailles sont bonnes, la prose reste forte, l'action est bien répartie, la structure de l'histoire m'a surpris. C'est une nouvelle plus que compétente. La ville perdue est grandiose, le dédale se ressent et des horreurs sans nom rôdent dans les tombes sous la cité. Voilà qui conclut le positif. Ça va paraître comme si j'ai plus de mauvaises choses à dire que de bonnes, mais je recommande hautement Les Clous Rouges, c'est une des meilleures aventures de Conan.

Passons donc à Valeria. J'aime l'idée du personnage féminin fort, mais elle n'est pas très bien exécutée. Elle est décrite comme forte et indépendante, mais rarement peut-elle se tirer d'un danger sans l'intervention de Conan (le contraire existe aussi – ils travaillent ensemble – mais c'est plus prévalent qu'elle nécessite son intervention que lui la sienne). Howard ne s'éternise pas plus sur ses formes qu'il le fait déjà sur Conan, donc il y a ça, mais j'ai trouvé un peu bizarre (je suis un homme, il est tout à fait possible que ce soit au-delà de ma compréhension) qu'elle se concentre souvent sur ses « instincts de femme » et qu'elle se prenne d'une fixation sur Conan (mais Conan le fait aussi, donc… je présume qu'encore une fois, c'est correct car le traitement reste le même?).

Oui, il est un bel Apollon et elle n'a pas de raison pour ne pas se prendre d'affection ou se faire des idées en le regardant, mais quand c'est mentionné, ça sort un peu de nulle part et ça n'avance en rien la narration et ne fait pas tellement évoluer son personnage. Elle demeure capable et compétente, mais en fin de compte, elle devient aussi une demoiselle en détresse. À ça, par contre, je ferai la mention d'un monsieur en détresse (vraiment en détresse) donc je suppose que ça l'égalise la balance.

Ce qui n'égalise pas la balance est le lesbianisme, ou du moins, ce que je crois l'être. Fétiche canalisé ou simple et bénigne exploration d'un thème, ça reste un peu bâclé, inutile et sorti de nulle part. Elle va être sacrifiée, je comprends, mais les scènes entre Tascela et Valeria, et la servante au lotus et Valeria… Il y a un drôle de ressenti, dans ces scènes. Quelque chose ne fonctionne pas, ou n'a pas de justification dans l'histoire, de set-up ou de pay-off. Je ne passerai aucun jugement, mais revoir ces scènes m'a fait penser aux moments entre Taramis et Salome, qui avaient aussi tendance à pencher de ce côté du spectre. Mais je ne m'étendrai pas là-dessus.

Dernier point de mention, le dragon. La scène en soi est bonne. Mais ce n'est pas un dragon. J'aime que Howard ait été ingénieux avec le dragon, mais – et je suis taiteux, je le sais – j'avais vraiment envie de voir un bon gros combat épique entre Conan, Valeria et un dragon. Comme c'est, c'est surtout une poursuite, quelques attaques, fin. C'est le scénario le plus plausible et réaliste, mais j'aurais vraiment aimé la touche de Fantasy à ce moment.

Au-delà de la Rivière noire

Je vais le dire tout de suite, je n'ai pas aimé. Et je crois que c'est surtout dû aux attentes, comme l'a été le cas pour Gwahlur. Le mot est que cette nouvelle est une des meilleures, l'épitomé du message de la civilisation contre la barbarie. Le dernier point est bien vrai, mais ce n'est en rien un positif, car bien que plusieurs histoires utilisent ce thème, je crois que celle-ci l'utilise trop, au point où il n'y a que ça.

J'aime ce thème, et il est bien fait ici, mais il prend un peu trop de place à mon goût, il semble avoir plus d'importance que la qualité et la structure du récit. En effet, je trouve cette aventure plutôt banale, linéaire, un peu confuse et maladroite. Balthus est ennuyant, ce que je me rappelle de cette histoire est lui et Conan qui courent dans les bois, qui se terrent dans les bois, qui parlent puis continuent à courir. Pas très intéressant. Les quelques scènes intéressantes sont surtout vers la fin, où enfin l'histoire se rachète et ressemble à une aventure classique. Ce moment, je dirais, est de l'introduction de Slasher jusqu'à la toute fin, mais tout ce qu'il y a avant n'est qu'un souvenir confus et monotone dans mon esprit.

Le Maraudeur noir

Une vraie surprise, celle-là. Je me suis lancé sans rien savoir dessus, je ne m'attendais pas à une histoire de pirate, et encore moins à une histoire aussi bonne et tendue. C'est vraiment une de mes préférées de cet opus. Et le pire, c'est que j'ai de la misère à dire pourquoi. D'apparence, cette histoire n'a rien d'extraordinaire; elle est surchargée de dialogue, de personnages qui complotent et se re-re-trahissent au point où ça en devient ridicule, l'action est minimale, c'est bourré de va-et-vient et ça se déroule dans un endroit somme toute banal que je n'aime pas tant (sur une côte, près de la forêt, avec les Pictes).

Pourtant, cette nouvelle fonctionne vraiment, vraiment bien. Elle est très efficace, je ne peux que l'attribuer à la magie de Howard, il sait comment nous faire soucier des personnages. Je me suis vite attaché à Belesa et la petite Tina, au tragique Valenso, à l'élégant Zarono et au sournois Strom. C'est tout un ensemble de personnages qui s'offre ici, chacun avec ses propres motivations et problèmes.

La petite Tina était un peu bizarre, par contre, et bizarre au sens où j'ai un peu de difficulté à voir ce que Howard voulait faire avec elle. Je sais que les jeunes enfants sont souvent plus « connectés » à la nature et au monde, souvent dits plus spirituels que les adultes, mais le niveau de clairvoyance de cette petite dépasse largement le quotient intellectuel qu'une jeune de son âge aurait normalement, au point où j'ai envie de dire que c'est un peu tiré par les cheveux.

Sinon, tous les autres personnages étaient impeccables. Parfois un peu en manque de raffinements, notamment pour Valenso qui change trop brusquement à mon goût (ça fait quand même du sens, mais le changement en soi est radical et extrême au point d'être ridicule, c'est trop fait, et la pauvre Tina en mange trop dans cette scène) et pour Galbro qui, soudainement, veut aussi s'emparer du trésor et part dans l'arrière-plan.

Conan est absent pour un bon bout, mais ça vaut la peine parce qu'il refait son entrée d'une façon magistrale. Le début j'ai trouvé plutôt plat, un peu trop similaire à celui de Rivière noire (que je n'ai pas tant aimé), mais de tomber sur une salle au trésor m'a vite accroché, même si l'histoire des « doigts sur le cou » est assez facile comme excuse. Je sais, ça fait un bon cliffhanger, mais quand Zarono a décrit l'effet du gaz, je l'admets, j'ai roulé des yeux.

Ceci étant une des dernières histoires de Conan, la prose est plus travaillée, et je dois dire que je l'ai trouvé particulièrement plaisante dans celle-ci. Elle coulait bien, quelques tournures de phrases ont titillé le poète en moi, les mots s'unissaient parfaitement et m'absorbaient dans le récit. Ils m'absorbaient tellement que j'ai l'impression que c'est en grande partie grâce à la prose que les nombreuses sections lentes passaient aussi bien que celles mouvementées.

L'intrigue en soi est très bien ficelée, et la façon dont Howard coince les personnages dans cette situation s'exécute naturellement et ne fait qu'accentuer la tension à couper au couteau entre les personnages. La menace ne fait que grandir et les options s'amenuisent plus l'histoire avance. J'aime aussi que, pour une fois, on ait droit à un démon qui n'est pas un gorille, et bien un démon classique avec des cornes et l'allure d'un Minotaure. Son apparition est brève et un peu bâclée (moins, je dirais, que le démon dans Une sorcière viendra au monde), mais le moment est attendu des lecteurs, son ombre rôde sur tout le récit et sa présence se fait sentir seulement grâce à la peur qui envahit Valenso, comment le comte sombre vite dans la démence juste en sachant que cette monstruosité s'approche et erre parmi eux. Et quand il se montre enfin, bien que ce soit bref, il est dans la grande salle en feu, c'est grand et glorieux, c'était pour moi le minimum espéré.

Je crois aussi que cette nouvelle est plus efficace que Rivière noire pour livrer le message de civilisation de Howard. Dans Rivière noire, c’est une seule note, une seule dimension, un conflit banal culminant et menant à l’évident, et à la fameuse réplique de Conan. Mais ici, tout le monde est paré des habits de la civilisation et joue le jeu, négociant du début à la fin. Tous sont, à un certain degré, des criminels, et seulement un ne le cache pas et vit honnêtement, que cette honnêteté soit barbare ou non.

Et donc, le message fonctionne mieux quand, au lieu de le dire, on peut voir par nous-même la situation, à quel point le nombre de négociations et de poignards dans le dos est ridiculement haut, et que tout le monde complote comme s’il s’agissait d’une partie endiablée de Cluedo. À la fin, c’est le barbare honnête qui a toujours suivi son code d’honneur qui l’emporte, car il est la vitalité, la force pure de l’humanité, et le seul à ne pas se prétendre civilisé, n’ayant utilisé cette parure que pour se débarrasser des gens malhonnêtes à l’égo surdimensionné et aux intentions toujours voilées. Je trouve que c’est beaucoup plus subtil comme façon de répéter le même vieux message, et aussi beaucoup plus intéressant et amusant pour ceux qui, rendus à cette nouvelle, ont lu quasiment toutes les autres.


Les mangeurs d'hommes de Zamboula

Je n'ai pas beaucoup à dire sur celle-ci. Une nouvelle adéquate, tout simplement. Le début est un peu lent, l'idée de base est intéressante mais peu utilisée, c'est surtout concentré sur la fille et ses problèmes d'amour et le prêtre méchant (ce qui en soi n'est pas mauvais du tout, mais c'est un peu mince, comme intrigue). Deux éléments valent la peine d'être mentionnés, le premier étant Baal-pteor.

Il était dit, sur le wiki, que ce personnage était un des rares adversaires supérieurs à Conan. C'est un peu vrai, et le peu qu'on a eu de combat entre eux était très bon, je trouve, mais j'en aurais voulu un peu plus, une vraie bataille de mains à mains qui s'étend dans toute la pièce, dans la même veine que la bataille de Kull contre le chef des vikings dans Les Rois de la Nuit.

L'autre aspect est les quelques surprises vers la fin, des plot twists qui m'ont bien amusé et qui ont donné une bonne saveur épicée à l'histoire. L'un en particulier m'a fendu le sourire jusqu'aux oreilles et m'a fait dire « Oui! Ça c'est le Conan que je connais et aime! » À part ça, je n'ai rien d'autre à dire sur cette nouvelle.

PLAISIR DE LECTURE :

Bien plaisant. Quelques textes étaient plus secs et laborieux, lents et sans la même verve, mais dans l'ensemble ça reste du Howard, et donc la plume d'un vrai raconteur d'histoire à l'ancienne. Mes nouvelles préférées demeurent celles du deuxième tome, et celui-ci tombe malheureusement en troisième place. Mais il demeure un incontournable pour tout fan de Conan, et une vivre recommandation pour toute personne avec le moindre intérêt et envie de lire de la bonne, vieille Fantasy comme il s'en fait peu de nos jours.
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