Critérion avait créé, dans le temps (1990), une collection intitulée "Extrême Europe" qui publia en 1991 la traduction de deux récits de Bohumil Hrabal, consacrés au temps d'avant, à la période communiste. Le mince livre bleu, orné d'un détail du "Portement de Croix" de Bosch, a dormi des années à la lettre H de mes rayonnages, entre Houellebecq et Victor Hugo. Il se compose de deux récits à la première personne d'inégale longueur, "Peurs totales" et "Cassius dans l'émigration".
"Peurs totales", comme son titre l'indique, est consacré à la peur, celle qu'éprouve chaque jour le narrateur Hrabal, auteur publié en samizdat, harcelé par la police progressiste de sa patrie. Nous sommes loin de la gravité d'un Soljenitsyne : ce récit bref nous fait voir, de bar en bar, de chopes de bière en chopes de bière, la bizarre cohabitation des policiers et de leur victime, les stratégies perverses des premiers pour semer le doute, l'angoisse, la terreur, dans l'esprit de la seconde. Hrabal ne peut s'empêcher d'écrire et de publier, mais ses propres livres l'épouvantent. Ces brefs mémoires d'un lâche sont très drôles à lire : non qu'on se moque de lHrabal, bien au contraire. Le lecteur sait au contraire que placé dans une situation comparable, il serait très en-dessous de ce narrateur qui, au moins, écrit encore. La drôlerie vient de l'humanité : être humain, c'est tout rater, et l'échec est comique. C'est Kundera qui le dit, et cela s'applique à merveille à Hrabal. Ce comique a fait scandale, dit la quatrième de couverture, dans la Tchécoslovaquie fière et unanimiste de la liberté retrouvée.
"Cassius" (Cassius Clay, c'est le nom du chat préféré de l'auteur) dans l'émigration" est le héros félin du second récit, profondément émouvant, bien qu'il ait parfois des tonalités de fable animalière. Toute la froideur de la fable allégorique a disparu, grâce à la plume truculente et réaliste de Hrabal et à l'histoire de ce pauvre chat, expulsé de la maison par les autres chats, sans que le maître y puisse grand chose, à part l'aimer de loin et lui rendre visite dans son terrain vague.
Ces deux merveilleux récits sont adressés à une certaine Doubenka et je ne ne sais pas qui est cette personne.
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Ma mère aussi a passé sa vie à avoir peur ... aujourd'hui elle n'a plus peur parce qu'elle est morte ... les morts ont la paix ... d'ailleurs ma mère le racontait, un dimanche, alors que j'étais encore dans le ventre de ma mère, mon irascible grand-père avait emmené ma mère, et moi dans son ventre, dans la cour, il avait décroché son fusil et s'était mis à hurler ... A genoux, je vais te tuer ! et ma mère, une gamine grandette avait joint les mains et supplié pour moi ... finalement ma grand-mère était sortie et avait dit ... Venez manger, ça va refroidir ! Du coup ... on était allé manger et moi je suis là ... mais cette peur perçue à travers le ventre de ma mère est restée en moi ...
p. 11
(Cassius le chat dans l'émigration).
Chère Doubenka, mon matou m'a fait penser à l'auteur des "Reportages en retard" qui a terminé son émigration assis pendant des semaines, des mois, des années dans sa villa en Autriche à regarder au télescope le château de Bratislava, il contemplait sa patrie comme mon matou dans son émigration à l'arrêt du car sous le tableau d'affichage contemple sa vie et la mienne ... et d'ailleurs il est fort possible que Ladislav Mnacko, maintenant qu'il est rentré à la maison, regrette souvent (de) sa petite villa en Autriche et son télescope ...
p. 80
Ma chère Doubenka, parce qu'autrefois je vous disais que Cassius était mon Winnie l'ourson, que parfois dans son visage je retrouve les traits de Vaclav Havel, aujourd'hui président, j'ose espérer que mes concitoyens ne s'apprêtent pas à faire au président ce que mes chats ont fait au beau Cassius, ils ont comploté contre lui ; j'espère, Doubenka, qu'au moins cette lettre vous apprendra que mon petit matou ne m'a pas oublié, que ce sont ses rivaux plus forts qui l'ont obligé à abdiquer, à émigrer, à disparaître de leur vue ...
p. 73
Finalement, c'est le Ministère de l'Intérieur qui, en prenant la place du conseiller [éditorial et littéraire] de "L'écrivain tchécoslovaque", m'avait forcé à exploiter ma peur, à continuer d'avoir peur, mais à continuer aussi à écrire, parce qu'au fond ma littérature, ma machine à écrire étaient mes seules armes contre ma peur ...
p. 48
(A Cassius, son chat dans l'émigration) : Cassius, mon fils chéri, fais bien attention à la route noire, M. Roland Barthes est mort écrasé par une auto ...
(fin de la nouvelle, p. 81).
[
Bohumil Hrabal :
Une trop bruyante solitude]
A la Fondation Suisse de la Cité Internationale Universitaire de Paris,
Olivier BARROT présente le livre
du romancier
tchèqueBohumil HRABAL : "
Une trop bruyante solitude". Après en avoir lu les premières lignes,
Olivier BARROT rappelle qui est
Bohumil HRABAL, dans quelles conditions il a écrit et résume ce qu'il définit comme un
conte philosophique.