Depuis 35 ans, Hanta pilonne du papier et du carton. Livres, prospectus, affiches, emballages... s'accumulent dans la cave où il travaille. Il les enfourne dans sa presse, appuie sur un bouton, les écrase et en fait des ballots qui partiront vers les usines de recyclage.
Résumé ainsi, ce roman semble tourner autour de l'aliénation de l'ouvrier marié à sa machine et de l'abrutissement provoqué par une activité répétitive. Mais en avançant dans la lecture, Hanta se révèle être un exemple de l'adaptabilité des humains et de leur capacité à s'élever même dans le cadre le plus étroit et la routine la plus sinistre.
Dans la semi-obscurité de sa cave, au milieu des montagnes de papier qui y sont déversées, dans les odeurs de déjections de souris, d'humidité et de sang dégoulinant des emballages de boucherie, Hanta prend le temps de dénicher de vieux volumes, philosophie littérature, peinture... Il les sauve de la presse, les accumulent chez lui, mais surtout il les lit, les mémorise, les analyse, les utilise pour comprendre sa propre existence. Plus symbolique (ou artistique ou admirable ou désespéré ou inutile), il en choisit un pour chaque ballot de vieux papiers qu'il doit former ; il le place au milieu et compacte le tout avant d'envoyer à la destruction ces cubes de déchets porteurs d'un coeur de connaissance.
La plume de
Bohumil Hrabal sert parfaitement ces idées et la peinture de cet univers routinier, solitaire, aliénant. Son style, descriptif, dépouillé se voit relevé de situations grotesques, de portraits picaresques et d'une touche de surréalisme hyperréaliste (si, si, ça existe) à la
Boris Vian ou à la Jacques Tati (l'envie de rire en moins) et fait fleurir, de loin en loin, des réflexions aussi profondes que le quotidien de Hanta est plat.
Dans la Tchécoslovaquie communiste de la seconde moitié du 20e siècle où se situe ce roman, les détournements et le sauvetage de livres évoquent la lutte clandestine de la pensée contre l'obscurantisme politique.
Mais ce combat existe encore (et l'adjectif "politique" ci-dessus peut être remplacé par "religieux", "nationaliste", "antiscientifique", etc), de même que les symboles, le courage et les sacrifices qui lui sont liés : chaque lider maximo qui tombe sert de terreau à une flopée de dictateurs tout aussi carnassiers.
Moins dramatique, mais néanmoins consternant, est notre capacité à mettre au rebut l'héritage culturel et l'apprentissage des outils de réflexion, y compris dans les pays où la pensée est libre.
Ce court roman reste de ce fait un ouvrage nécessaire. À sortir de la cave avant que le pilon l'écrase.