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Critique de JeanLouisBOIS


Le Schubert de Peter Härtling n'est pas une nouvelle biographie du musicien viennois, mais plutôt une tentative pour restituer le chant Schubertien "approche toujours incertaine" à partir d'images, (les dessins de Moritz von Schwind), et d'évocation musicale, oeuvres pour piano seul ou avec voix, (ce qu'on appelle le «Lied», ce théâtre intime) et de donner à écouter cette voix singulière. Une musique corporelle apparaît à Peter Hartling, et il en dessine ainsi les contours : «j'entends ce que je vois et je vois ce que j'entends». Ce parcours dans l'oeuvre de Schubert se constitue autour de douze moments musicaux qui sont autant d'ondes d'étrangeté ou de douleur se répercutant sur le musicien et rythmant les étapes de sa courte existence. Hartling, en poète qu'il est, marche avec le musicien, sent son corps, l'accompagne dans les lieux qu'il a habités, devenus partie de sa mémoire, et pour donner une assise à ce «jeu de piste» mental, il y ajoute un roman, construit à partir d'éléments biographiques, tissés de multiples voix. Précédant parfois Schubert, il lui fait se demander où aller ?, comment envisager l'avenir ? et, sachant que tout en lui est présent, que les âges de la vie se chevauchent, comment transmettre les pulsations de son inquiétude ? Ainsi Schubert se revoit-il, tour à tour, chanter pour sa mère, les mains de celle-ci posée sur sa tête ; jouer, à 16 ans, les vieillards ; être tourmenté par les amours impossibles avec Thérèse, et plus tard avec Caroline ; revivre l'éternel conflit avec le père qui veut faire de lui un maître d'école ; ou encore avoir la prescience d'une vie brève, trop entouré, déjà, de morts (depuis sa petite enfance puisque sa mère aura 14 enfants, dont quelques uns seulement survivront). En vivant de la sorte, dans le trop peu, la disparition, les mots et leur fadeur ne parviennent pas à consoler ses errances. En lui, c'est le chant qui domine ; composant dès que cela lui est possible, avec ou sans piano. le langage des autres, il l'accueille, quelles que soient l'indigence et la banalité des vers, en se projetant dans ses «Lieder», à commencer par «Marguerite au rouet», sorte de journal intime de la perte amoureuse, «cet arpent d'âme» écrit Härtling. C'est donc la musique seule, sorte de nostalgie pacifiée, qui en est la consolatrice. Il ajoute : « c'est là que les trouvailles qui toujours se nourrissent à la fois de la vie et de la mort jaillissent et montent en graine». Un jour, son ami Schober lui demande : «qui t'inspire ces chants ?» ; par l'intermédiaire du Lied, Schubert répond curieusement : «il nous ouvre un ciel». Il passe ainsi constamment d'un monde musical à l'autre, du majeur au mineur, et inversement, cherchant la forme qui convient, le juste rapport entre émotion et texte, imaginant un lieu où tout s'ordonnerait en pures mélodies. de ce cosmos harmonique rêvé, on passe aux Schubertiades : les soirées conviviales, animées par Schubert pour quelques amis, et où ce dernier finit par se sentir de plus en plus étranger. Ce n'est que lorsqu'il découvre les poèmes de Wilhem Müller qu'il retrouve le chant. Deux frères de solitude se rencontrent alors, donnant deux cycles de Lieder : «la belle meunière» et «le voyage d'hiver» : «Ce Müller en savait autant que lui sur la glaciation entre les hommes», écrit Härtling. Les proches de Schubert ne comprennent pas l'atmosphère sombre des Lieder du «voyage d'hiver», cette marche solitaire du voyageur, dans un paysage sans repère, insensé. Schubert, alors au seuil de la mort, est pourtant au cÏur de son expérience intime : son rapport aux autres ne passe plus que par la musique ; «il compose et ne vit qu'accessoirement», écrit Härtling. Il a encore le temps de découvrir Heinrich Heine et de mettre en musique six poèmes, dont l'hallucinant «Doppelganger» (le double de lui-même qui marche à ses côtés). Il renouvelle ainsi sa vision en atteignant un degré de décantation que le musicologue André Tubeuf annonce comme son testament et le début de l'expressionnisme musical. C'est une grande réussite de Peter Härtling que de traduire ainsi les abîmes intérieures du musicien, comme il l'avait déjà fait avec Hölderlin. le texte français de Claude Porcell en a rendu toutes les modulations ; et ses traductions des Lieder en restituent toute la justesse de ton et la simplicité.

Joël Vincent
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