Un salon de coiffure !
Quoi de mieux pour cerner les soubresauts d'une société ou d'un pays. On pourrait certainement en dire beaucoup sur les habitants de ce pays d'Afrique australe dont la classe moyenne est connectée à la culture mondialisée. Mais l'intérêt de ce récit est ailleurs : le portrait des principaux animateurs des lieux.
Dumi, un coiffeur, le meilleur dit-on de Hararé ? Parce qu'il maîtrise les coupes et sait ce qui sied le mieux à sa clientèle ? Probablement. Sans doute aussi parce qu'il s'est révélé à lui même allant jusqu'à préférer l'exil.
A quoi bon oeuvrer pour la mise en beauté des autres si l'on est soi-même "étouffé" ?
Révélateur d'un Zimbabwe en pleine mutation malgré quelques longueurs.
Commenter  J’apprécie         260
Au pays de Robert Mugabe, mondialement connu pour ses compétences de dictateur, la vie quotidienne des habitants est assez compliquée : Pénuries de produits alimentaires, brutalités policières, descentes de milices para militaires, corruption endémique à tous les étages, arrestations arbitraires, abus de pouvoir des élites politiques, et discriminations systématiques à l'égard des Blancs : les « Rhodésiens », et des homosexuels presque érigées en loi….Un parfait petit enfer, dans lequel les personnages du roman font ce qu'ils peuvent pour vivre et survivre, y compris de l'humour sur leur situation.
Ce roman, c'est l'histoire du cheminement de sa narratrice Vinbai, coiffeuse de son état, pleine de préjugés, vers la tolérance et l'acceptation des différences, à partir du jour où arrive dans son salon de coiffure un nouveau collègue plutôt meilleur qu'elle, beau garçon et séducteur.
Elle était déjà prête à évoluer avec son histoire personnelle de mère célibataire violée par son ancien petit ami, en rupture avec une partie de sa famille. Mais aussi, avec son amitié pour Trina, une africaine blanche qui encaisse toutes les humiliations en serrant les dents, mais ne quittera jamais le pays, comme tant d'autres qui se pressent au service des passeports toujours bondé.
L'histoire se met en place lentement avec les petits détails de la vie et du travail dans le salon de coiffure de Mme Khumalo, dans cette ruche bouillonnante d'activité qu'est cette capitale africaine, puis arrive la tragédie et tout s'accélère.
Au travers d'une histoire grave, subtile mais aussi souvent très drôle, avec des personnages hauts en couleur, le frère « philosophe » de Vinbai est vraiment savoureux, ce roman est un réquisitoire efficace contre le racisme et l'homophobie, qui nous parle aussi du destin de son auteur qui a dû s'exiler au Royaume-Uni.
« Aujourd'hui, j'ai compris que je suis né comme ça…et tant que le Zimbabwe ne pourra pas l'accepter, il vaudra mieux que je vive ailleurs »
Commenter  J’apprécie         191
Ce premier roman, par ses élans spontanés, son style direct parfois naïf, offre une lecture chaleureuse et un plaisir immédiat, même si la fin, un peu hâtive désappointe légèrement.
Lire la critique sur le site : Actualitte
"Les oiseaux voyant que les animaux avaient le lion pour roi, décidèrent de se choisir un chef. Le hibou, affirmant qu'il était le seul à avoir des cornes, insista pour que ce soit lui. Terrorisés par ces terribles cornes, les oiseaux renoncèrent à se choisir un roi. Le hibou régna donc par la peur, jusqu'au jour où, alors qu'il dormait, une petite hirondelle s'approcha des terribles cornes et découvrit que ce n'était en fait que de grosses touffes de plumes". P 148
"Fungai suivait une étrange théorie selon laquelle il ne devait se déplacer qu'à pied. Il affirmait qu'en tant que philosophe, marcher le rapprochait de la vérité. Si on lui demandait d'approfondir le raisonnement, il disait qu'il y a un état naturel pour toute chose. Et que comme les voitures ne sont pas naturelles et se déplacent anormalement vite, elles ne se permettent pas de voir le monde pour ce qu'il est vraiment. En marchant, l'homme est plus près du monde et l'observe avec plus d'attention."
«Aujourd'hui, j'ai compris que je suis né comme ça…et tant que le Zimbabwe ne pourra pas l'accepter, il vaudra mieux que je vive ailleurs.»
-"(..)J'ai commencé à me rendre régulièrement en Afrique du Sud. J'achetais des radios et des tél éviseurs que je revendais ici avec un bénéfice. J'ai ensuite ouvert un petit magasin de vins et spiritueux à Mufakose, puis un autre à Mabvuku. J'étais toujours en quête de nouvelles opportunités. Il faut se tenir au courant, sentir le pouls de la nation, savoir à qui parler. J'ai développé mes activités, construit des magasins dans des zones rurales de croissance où personne d'autre ne voulait investir. Puis, pendant une courte période, je me suis tourné vers l'expédition. çà a été un désastre. J'en suis vite sorti. J'ai été l'un des premiers à proposer des navettes omnibus. Les Sud-Africains en avaient depuis des dizaines d'années et j'ai compris que c'était l'avenir. La ZUPCO était sur le déclin et les gens avaient besoin d'un réseau de transport adapté. Aujourd'hui, je possède des biens : trois mines d'or, des magasins, des bus, des fabriques de briques, des parts dans toutes les grandes banques et dans les sociétés de téléphone mobile du pays et je continue de guetter la prochaine opportunité d'investissement . Ce monde est dur, mais si vous êtes déterminé à réussir, personne ne peut vous arrêter. Regardez mes enfants, ils sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche et ils attendent tous que je meure pour pouvoir dilapider ma fortune. Eh bien, je vous le dis tout net : il n'y a que deux hommes dans ce pays qui ne mourront jamais, et je suis l'un deux."
J'appris par la suite qu'il ressassait ce discours à toutes les réunions de famille. Il se gardait bien de parler des multiples pots-de-vin versés en cours de route pour obtenir des marchés publics lucratifs, mais ça n'enlevait rien au fait que c'était un autodidacte qui s'était hissé seul de sa condition de simple villageois aux pieds nus au rang des plus riches du pays. La diversité de ses investissements était impressionnante en soi.
La file d’attente du bureau des passeports était la plus longue que j’avais jamais vue, ce qui n’est pas peu dire. Elle s’enroulait autour du bureau de l’état civil, puis continuait le long de la rue. Les individus qui attendaient semblaient tous jeunes. Leur désir désespéré de quitter le pays se lisait sur leur visage. Matraque en main, un agent de sécurité vêtu d’une salopette bleue qui pendait sur sa carcasse filiforme longeait la file, ordonnant aux gens de rester à leur place. Durant la guerre d’indépendance, les gens n’avaient pas fui comme ils le faisaient aujourd’hui sous le gouvernement révolutionnaire qui les a libérés. Quelle ironie. L’indépendance était-elle devenue un fardeau plus lourd que le joug de l’oppression coloniale ?
MP 2014-03-19-773-003048BDD2D9.mp4
Payot - Marque Page - Tendai Huchu - Le meilleur coiffeur de Harare.