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Dans Les émeutiers, Philippe Huet évoque avec talent et émotion, l'une des grandes pages de l'histoire du mouvement ouvrier : le Havre, 1922. Après la boucherie patriotique au cours de laquelle de grandes fortunes se sont bâties grâce à la vente d'armements en tous genres, la journée de 8h00 passe mal auprès des patrons : “Le patronat pleure sur la loi des huit heures de travail – votée en 1919 -, qui le crucifie, gémit sur les bénéfices perdus et les dividendes écornés, ne pense qu'à rogner sur les salaires pour s'en sortir” (p. 197). En représailles, les patrons baissent les salaires de 10 %, espérant une révolte qu'ils pourront mater et citer en exemple de leur intransigeance : “Ils misent sur les dissensions entre courants réformistes et révolutionnaires, sur le désarroi du militant de base confronté à un tumulte politico-idéologique qui le dépasse. Sans oublier la fatigue et le désenchantement, puisque depuis deux ans la plupart des conflits sociaux se sont soldés par un fiasco, côté ouvrier”. (p. 61) Les métallos entament une grève très populaire auprès de l'opinion publique, qui s'étend rapidement à d'autres secteurs de l'économie jusqu'à la grève générale, chacun ayant bien conscience que ce ballon-d'essai patronal n'est que le premier pas vers la régression sociale pour tous. Ce roman-documentaire s'ouvre sur une scène poignante, celle des enfants de grévistes que leurs parents ne peuvent plus nourrir, réunis en convois pour être envoyés, grâce à la solidarité de classe, dans des familles d'accueil qui les hébergeront dans l'attente de jours meilleurs. Philippe Huet a créé des personnages représentatifs du mouvement, un ouvrier dont la femme se suicide par désespoir, un jeune journaliste qui couvre les événements, un policier “parallèle”, sbire à la solde du pouvoir, aux méthodes supra-légales : “Rien de tel qu'une bonne guerre pour calmer les gêneurs. Surtout qu'ils pouvaient très bien ne pas en revenir" (p. 148). Il a également donné un rôle à Louis-Ferdinand Destouches, que bon nombre de ses patients ont surnommé “le médecin des pauvres”. Si Philippe Huet précise page 85 que le faire figurer dans son roman n'est que pure fantaisie de sa part, il n'en reste pas moins vrai que cette “fantaisie” est compatible avec la biographie de celui qui deviendra Céline. Nul suspense dans cette page d'histoire à l'épilogue connu : le 26.08.22, la charge est donnée contre les manifestants, 4 ouvriers sont abattus. Après 111 jours de grève, le 09.10. 22, les ouvriers reprennent le travail. “Le 17.11.22, sous la pression des députés de gauche, le président du Conseil, Raymond Poincaré, s'était résigné à demander l'ouverture d'une enquête parlementaire sur la tuerie du 26.08. Quatre-vingt-douze ans plus tard, on en attend toujours les conclusions” (p. 346). Ce roman-historique-documentaire-journalistique-sociologique (et plus si affinités...) relate des faits vieux de 94 ans, et pourtant, curieusement, il porte en lui une actualité brûlante. 1922-2016, un seul mot : vigilance ! Ne nous laissons pas distraire par l'Euro de foute ! + Lire la suite |