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EAN : 9782882503770
312 pages
Noir sur blanc (10/04/2015)
4.25/5   8 notes
Résumé :
Journal de la Kolyma est une road story. Jacek Hugo-Bader y raconte son voyage au long de la Route de la Kolyma, qui relie Magadan à Iakoutsk en 2025 kilomètres. Un voyage pavé de rencontres, d'expériences et d'émotions. En référence aux Récits de la Koly
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Kolyma est le nom d'un massif montagneux en Sibérie orientale, c'est aussi le nom d'un fleuve de 2 000 kilomètres qui se jette dans l'Océan Arctique, ainsi que celui du vaste territoire traversé par ce fleuve. Staline, du début des années 1930 jusqu'à sa mort en 1953, y fit déporter des centaines de milliers de personnes (soviétiques principalement, et prisonniers de guerre), pour qu'elles y exploitent les richesses naturelles de la région. En effet, là-bas le sous-sol regorge de richesses minières, notamment aurifères, à tel point que l'endroit est surnommé « coeur doré de la Russie ».

En 2011, l'auteur, un journaliste polonais, a traversé ces lieux en auto-stop. Il nous raconte son parcours de 2 000 kilomètres sur la seule route reliant Magadan (ville de 100 000 habitants au sud est de la Kolyma) à Iakhoutsk.
Cet ouvrage n'est pas seulement le récit de ce trajet, c'est surtout celui des rencontres de l'auteur avec les habitants de lieux et avec ses « попутники » (compagnons de voyages).
Pour le lecteur, il s'agit aussi d'un voyage entre des époques : celle du Goulag, et celle du début des années 2010. En effet, là-bas, beaucoup sont des descendants d'anciens travailleurs du Goulag, et une petite partie de la population y a survécu et est restée sur place (le dernier camp de travail forcé a été fermé en 1991), même si les plus nombreux à y demeurer sont ceux qui sont morts d'épuisement et/ou de froid.
Le trajet de l'auteur ne croise cependant pas exactement celui des déportés vers la Kolyma. En effet, en raison de la forte mortalité constatée lors de convois terrestres de travailleurs, les autorités soviétiques ont organisé des transferts vers Magadan par bateau, à partir de Vladivostok et via les mers du Japon et d'Okhotsk (une partie des navires furent financés par le prêt-bail de 1941 des Etats-Unis destiné à aider l'Union Soviétique dans sa lutte contre le régime nazi : les Etats-Unis se constituaient alors un stock d'or en achetant celui produit pas les esclaves du Goulag…).

La forte propension de nombreux Russes à se confier à des inconnus, que l'auteur explique d'ailleurs fort bien, contribue à la richesse de ce témoignage. Les rencontres évoquées mettent en relief les inégalités sociales dans l'actuelle Fédération de Russie. La description de la société russe et de son fonctionnement est à elle seule une critique acerbe de Poutine, même si l'auteur évite les commentaires sur sa politique. Ce portrait de la Russie contemporaine est plutôt pessimiste : les héritages du passé sont lourds, les perspectives peu reluisantes pour la majeure partie de la population, et la surconsommation d'alcool omniprésente… L'hospitalité et le courage de nombreuses personnes rencontrées par l'auteur forcent cependant l'admiration.

Malgré des allers-retours dans le temps, ce récit est très cohérent, en tout cas beaucoup plus que « La Fièvre blanche », autre ouvrage du même auteur que j'avais aussi beaucoup apprécié : le trajet de Magadan à Iakhoutsk est ici un véritable fil conducteur. Cette lecture m'a aussi donné envie de lire « Les Récits de la Kolyma » de Varlan Chalamov (ancien déporté et écrivain russe, 1907-1982), auquel Hugo-Bader fait souvent référence.

• un grand merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc.
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Jacek Hugo-Bader, dans la grande tradition des écrivains baroudeurs, retrace son parcours cahotant le long de la route unique qui traverse la Kolyma. La Kolyma ? le terme désigne le fleuve du fin fond de la Sibérie, la région aurifère et semi-désertique, ou encore l'ensemble des camps de déportation staliniens tristement célèbres. Un lieu à la fois indéfinissable et terriblement circonscrit par des décennies d'Histoire sinistre, au point d'apparaître comme une île coupée du reste du continent. Pourquoi diable s'enfoncer aujourd'hui dans ce « pôle de l'horreur » où des humains végètent faute de mieux ? On connaît le goût de l'auteur polonais pour les trajectoires humaines bancales, les destins improbables, les vies qui s'échouent dans l'oubli et l'alcool – marginalités déjà évoquées de façon saisissante dans La fièvre blanche.
A la Kolyma, impossible d'être déçu : du médecin ivrogne à la dépression du lieutenant-colonel retraité, en passant par l'inventeur fou qui torture candidement son vieux père par électrocution pour le rajeunir, les portraits extravagants ne manquent pas, oscillant entre cruauté, ironie mordante, étonnement et réelle tendresse. Autant de rapides croquis saisis sur le vif – les plus incisifs, tel ce « type fait de brouillard et de gelée » - ou dévoilant différentes facettes émouvantes d'une authentique aristocrate russe ou d'une chamane des temps modernes. Des photos en noir et blanc complètent les courts chapitres, photos parfois anecdotiques, en apparence illustratives, en réalité soigneusement cadrée et dont la luminosité distille une sourde mélancolie.
Seul le présent importe donc à l'écrivain-reporter, à en croire l'affirmation liminaire : « moi je ne vais pas parler du Goulag, des camps, des détenus, de la famine, de la mort, ni des tortures. » Belle prétérition : le titre même du journal est un écho direct aux fameux Récits de la Kolyma de Chalamov et l'ombre des zeks, ces innombrables prisonniers politiques sacrifiés, plane partout le long de la Route. Les chercheurs d'or avec leurs bulldozers ne cessent de remuer de nouveaux champs de cadavres, descendants de victimes et de bourreaux se côtoient; les statues de Lénine ont beau être déboulonnées et les petites combines prospérer, la mémoire resurgit, et le buste de Berzine, l'un des plus terribles chefs d'orchestre de l'enfer blanc, trône encore... Par un jeu de va-et-vient entre passé et présent, les notations sur l'humble réalité contemporaine prennent une épaisseur peu commune. le danger de l'exotisme misérabiliste est également évité par toutes sortes de digressions savoureuses. Tel un Hérodote en Sibérie, l'auteur ne trie pas les témoignages plus ou moins fiables de ses interlocuteurs successifs, offrant au lecteur des détails chiffrés sur les salaires et les trafics en tous genres, mais également des histoires d'ours démoniaque, de pierre qui parle, de dégustation de viande de bison congelée depuis dix mille ans. le prodige n'est jamais loin de la trivialité.
Et si certaines réflexions tendent vers le préjugé ou le stéréotype abusif (« les Ingouches ont un grand faible et beaucoup de talent pour l'or »), la souplesse de la pensée est maintenue par une écriture alerte, familière, se pliant aux aléas d'un itinéraire qui progresse par à-coups, écriture faussement improvisée, faite de redites, de rectifications, de prises à partie du lecteur, de remarques « en guise de mot de la fin » qui malicieusement n'en finissent pas... La vie est là aussi, qui souffle encore et malgré tout sur la longue route glacée de la Kolyma.
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Le Journal de la Kolyma est une road-story, ou plutôt une suite, une compilation de témoignages de personnes vivant dans l'une des région les plus hostiles de la Russie.
L'auteur du livre, Jacek Hugo-Bader, est un reporter polonais spécialisé dans l'histoire de l'URSS, en particulier sa suite. Baroudeur, il à déjà écrit et publié plusieurs écrits de voyages, notamment un ou il voyageait à vélo à travers les anciens pays satellites de l'URSS.
C'est en hommage à Varlam Chamalov et ses Récits de la Kolyma, dans lesquels l'auteur raconte comment il a survécu dans différents Goulags de la Kolyma, qu'Hugo-Bader à entamé ce périple, qui a duré un peu plus d'un mois.

Le livre est structuré en trois parties et alterne des chapitres ou l'auteur raconte ce qu'il a fait dans la journée, ou il est allé, comment il y est allé et qui il a rencontré. Chaque chapitre à une journée de son voyage, donc, au total, trente-six chapitres, chacun précédés du témoignage d'une personne rencontrée sur la route, et deux notes de fin.
Le livre ne varie donc pas trop. Dans les chapitres racontant son voyage, Hugo-Bader commence par dire où il est, comment il y est arrivé. Il résume rapidement l'histoire du lieu, nous parle de personne qu'il y a rencontré, et passe ensuite à un témoignage.
La principale raison du voyage de l'auteur étant l'envie de rencontrer les habitants de la Kolyma, ce sont donc leurs témoignages qui contiennent les meilleurs moments du livre.

Ces témoignages sont ceux de personnes diverses et variées, mais qui semblent toutes farfelues, brisées et solitaires, ce qui les rend très touchant et très humain. Pèle-mêle, on y croise de nombreux alcooliques, mais aussi quelques chamans, un chercheur d'or, un pseudo-inventeur ou encore un mafieux. le point commun de tous ces personnages, c'est qu'ils ont tous étés plus ou moins marqués par l'URSS, la Kolyma ayant été principalement peuplée par les prisonniers qui furent envoyés là-bas et décidèrent d'y rester.
A noter qu'avant chaque témoignage, il y a la photographie de la personne qui témoigne, mais ces photos étant en noir et blanc et de mauvaise qualité, elles sont un peu inutiles.

Il se dégage de ces récits un portrait vif et marquant de la Kolyma, qui, au fond, ressemble quand même pas mal au Far-West américain, avec sa nature sauvage, impitoyable et indomptée, ces hommes isolés, abandonnés, et la violence perpétuelle de la vie là-bas. le seul défaut du livre provient de son manque de photos. Pourquoi n'avoir pas mis des photos des paysages parcourus ? Des chambres d'hôtel ? Plutôt que quelques portraits dont on aurait pu se dispenser, ces photos auraient réellement ajoutée de la profondeur au livre.
A part ça, il n'y pas grand chose d'autre à critiquer. Journal de la Kolyma n'est pas tout à fait un récit de survie comme les livres sibériens de Sylvain Tessons, ce n'est pas aussi complètement une réflexion sur la place de l'héritage de l'Histoire dans la Russie d'aujourd'hui comme le Transsibérien et l'Âme Russe de Dominique Fernandez. C'est un récit d'aujourd'hui, qui laisse enfin de côté la littérature, la culture et la survie pour se concentrer sur les gens, qui sont trop souvent oubliés.
Un très, très bon livre à lire absolument, qu'on aime la Russie ou pas.
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Le Journal de la Kolyma est le nouveau livre traduit en français du journaliste polonais, Jacek Hugo-Bader. En septembre 2010, à l'approche de l'hiver, ce passionné de voyage et de Russie va se lancer dans la traversée de la Route; un R majuscule pour ce tracé qui traverse un des territoires les plus rudes de notre planète, la Kolyma, au Nord-Est de la Sibérie.

Hugo-Bader nous invite donc à découvrir cette région, souvent uniquement connue pour avoir hébergé les goulags soviétiques parmi les plus terribles. Il sera donc question dans ce récit de zeks, ces prisonniers des camps, parfois condamnés pour des broutilles (six ans pour un jour de retard au travail) en vertu du redouté article cinquante-huit. Mais l'auteur nous offre également et surtout de très belles rencontres des habitants actuels de la Kolyma: ses chercheurs d'ors, ses chauffeurs de camion, ses prisonniers qui n'ont pas su/voulu repartir, ses journalistes, ses chasseurs d'ours, ses aventuriers; tous décidés à surmonter la dureté du climat et de la vie dans la Kolyma.

Dans le Journal de la Kolyma, il sera donc beaucoup question de vodka, d'ours et de froid et il faut avouer qu'on ne respire souvent pas la joie dans la région. Mais que cela ne vous empêche pas de découvrir les rencontres passionnantes, parfois drôles et souvent absurdes de l'auteur avec les mafieux russes (les blatnys) qui jouent au carte avec les commissaires de police, Aleksandr Bassanski, le millionnaire-politicien qu'on peine à vraiment appeler un démocrate (de toute façons, ce mot est une insulte pour les Russes), le lieutenant-colonel Valeri Ierokhine et ses récits de Tchétchénie ou encore Natalia, la fille de Nikolaï Ivanovitch Iejov, le sanglant commissaire en chef des Services de sécurité soviétiques, surnommé la Main de fer de Staline.

J'avais déjà lu de cet auteur La Fièvre blanche, que j'avais déjà trouvé passionnant mais peut-être plus indigeste et décousu. Ici, j'ai vraiment aimé le fait que le livre se concentre sur un seul voyage et qu'on avance petit à petit, de la ville de Magadan au territoire du peuple iakoute.

Une découverte hors des sentiers battus de la Kolyma, entre le passé très lourd des goulags et la réalité post-soviétique de cette région reculée de la Sibérie. Jacek Hugo-Bader sait décidément offrir à son lecteur une image sincère et étonnante de cette diverse nation qu'est la Russie.
Lien : http://unmomentpourlire.blog..
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Voyage au pays des zeks, des oligarques, des truands (blatny, vory v zakone), des potentats locaux, des guébistes, des chamanes, de la vodka… de la déliquescence post-soviétique. La Kolyma, pays du Goulag, des mines d'or, des métaux précieux et des millions de morts du communisme. L'auteur emprunte la “Route”, la “route des os”, pour reprendre la terminologie des zeks et de N. Werth. le voyageur nous peint des portraits saisissants des gens rencontrés : des pourris, des laisser pour compte de la chute du communisme, des débrouillards qui essaient de survivre, des descendants des zeks, des femmes remarquables, des loques, personnages hauts en couleurs, qui carburent à la vodka. Une faune de cour des miracles. le livre vaut toutes les études sociologiques de la société, du pays : destruction de l'environnement, des structures industrielles, des villes qui se dépeuplent… Décidément, l'avenir n'est pas radieux.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Savez-vous que la viande humaine a le même goût que la viande de renne: très fine, légèrement sucrée, maigre? Je ne sais pas d'où les locaux tirent ce savoir. J'imagine qu'on se le transmet de génération en génération. On dit que la moitié des habitants actuels de la Kolyma sont des descendants de zeks, c'est-à-dire des anciens détenus des camps. Deuxième ou troisième génération. Le mot zek (écrit z/k dans les documents soviétiques) est l'abréviation du mot zaklioutchionny: littéralement "enfermé à clé", c'est-à-dire un détenu. (...)
Revenons-en à la viande: c'est probablement à cause de cette similitude dans le goût que les ours locaux sont si redoutables. Ils adorent le renne; l'humain est pour eux un renne qui ne sait pas courir, un mets sans bois, bref, un pigeon, une proie facile. Il suffit donc que le nounours goûte à l'homme une fois pour y prendre goût. Il arrêtera de courir les montagnes sur la trace des rennes et des élans, ne cueillera plus de baies, de myrtilles, de sorbes, ni de champignons. Finies, les expéditions aux poubelles. Désormais, il se tiendra près de la Route de la Kolyma, des habitations humaines et des campements des chercheurs d'or.
Toutes ces histoires qu'on m'avait racontées sur les ours!
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Ce qui est terrible dans ce pays, c'est que tout y est négociable. L'Etat se met d'accord avec les citoyens qu'il est interdit de conduire en état d'ivresse, mais tous le font. Qu'il faut mettre les ceintures, mais personne ne le fait, même pas le président, ni le Premier ministre. Qu'il faut payer pour la pêche du poisson, mais personne ne paie, sauf les pots-de-vin. Qu'il est interdit de faire le commerce de caviar, mais tous ceux qui le peuvent le font ; qu'il est interdit de braconner, mais tout le monde braconne...
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La pire période pour la Kolyma du point de vue de la criminalité commence à partir de 1953, lorsque, après la mort de Staline, des milliers de prisonniers sont libérés des camps, dont de nombreux criminels de droit commun qui sont pendant plusieurs années interdits de séjour sur le "continent", autrement dit le reste de l'Union Soviétique. Pour des raisons de sécurité, à cette époque-là, les habitants des villes de la Kolyma ne se déplacent qu'en groupe, les maris accompagnent leurs femmes au travail, car de nombreux blatnys (détenus de droit commun) n'ont pas vu de femmes pendant des années.
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-Vous saviez qu'à l'époque, à la Kolyma, il y avait de l'anacha (marijuana) ? Une gitane qui était venue rejoindre un gitan dans le coin en avait apporté tout un baluchon. Mon père m'a dit que c'était affreux parce que, après, il avait encore plus faim. S'il en avait fumé, il était prêt à bouffer sa propre main toute crue.
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Les vagues de purges successives avaient emporté au moins la moitié de l'intelligentsia russe, qui a été fusillée ou internée dans les camps. C'est ainsi que s'est opérée "la terrible sélection de la période stalinienne", raconte dans ses souvenirs l'ancienne zek Vera Schulz. "Cette sélection qui, semble t-il, avait donné le jour à une nouvelle espèce d'hommes: dociles, hébétés, dépourvus d'initiative, taiseux." Voici comment est né l'homme soviétique, l'homo sovieticus, un individu sans aucune propension à se révolter, mais avec un grand talent pour voler. Jusqu'à aujourd'hui, on dit en Russie que le voleur ne le vole pas, il ne fait que prendre ce qui a été posé au mauvais endroit.
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