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EAN : 9782290334713
125 pages
J'ai lu (01/05/2003)
4.14/5   377 notes
Résumé :
Edition enrichie (Présentation, notes, dossier sur l'oeuvre, chronologie et bibliographie)Lorsque Victor Hugo publie en 1859 La Légende des siècles, il entend raconter l'Histoire de l'humanité des origines jusqu'à la fin des temps. Mais la poésie désormais porte à des pièces plus brèves, et ce n'est pas une longue narration qu'il compose, mais une suite de Petites Épopées, courts récits héroïques et pittoresques qui cependant ne s'interdisent pas les éclairs visionn... >Voir plus
Que lire après La Légende des siècles - Les Petites EpopéesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà un bouquin dans lequel je suis bien, un peu comme chez moi. Il est là, près de moi, sur le bureau duquel j'écris ces mots, à portée de main. C'est ma référence! Un ami.
Parfois il me fait de l'oeil alors j'ouvre au hasard et je m'offre une rasade de Victor-Hugo, doucement, comme on savoure un grand cru, un peu de soleil si j'en manque sur ma peau ou dans mon âme. Il y a dans la poésie quelque chose de réconfortant, lire et relire, ce n'est jamais pareil.
Si je l'ai lu? Oui, plusieurs fois depuis le temps mais comme je le cajole le temps n'a pas d'emprise sur lui! Si c'est bien? Bien, non! Fameux, extraordinaire, irremplaçable.
André Gide, à qui on demandait quel était le plus grand (sic) poète français, répondait : Victor Hugo, malheureusement! Pourquoi malheureusement ? Il ne précisait pas.
Je trouve cela incongru. Où était-ce de la jalousie?
Finalement si ce n'est pas le plus apprécié, personnellement il me plaît bien ce Victor Hugo là.

Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Entreprendre de lire la Légendes des siècles du début jusqu'à la fin est une tâche longue et fastidieuse mais non dénuée de sens. En quelques 900 pages de la Pléiade c'est toute l'histoire des hommes que j'ai pu retracer : de la création d'Adam à l'après XIXème siècle. Cela dit l'expérience n'a évidemment rien à voir avec la lecture d'un manuel d'histoire. Plus qu'une chronologie ce sont toutes les étapes fondatrices et intemporelles de l'évolution humaine que Victor Hugo nous propose de parcourir avec lui. Quelques grands rois et empereurs sont nommés, les faits d'autres héros et personnages légendaires sont relatés. Mais ce que V. Hugo a voulu montrer, pour chacun d'eux, ce ne sont pas leurs particularités propres, mais plutôt leurs qualités universelles : leur égoïsme tout autant que leur héroïsme.

La Légende des siècles est un hommage à l'homme dans ce qu'il est de plus beau et de plus terrible, du plus mesquin au plus grand, du plus misérable au plus puissant.

Au-delà de l'homme, Victor Hugo rend hommage à tout ce qui dépasse l'individu : l'Océan, l'Infini, les Astres, la femme, Dieu. Toute la puissance de l'auteur, ici encore, réside dans sa capacité à remettre l'homme face à son devoir et à ses valeurs : la loyauté, le respect, l'humilité, l'amour du plus petit, la justice, l'aspiration à ce qui le dépasse.

Je ne peux pas dire que j'ai lu ces 900 pages de manière égale. Il est extrêmement difficile de rester concentrée constamment lors d'une si longue lecture. Mais je crois pouvoir dire que je ne me suis jamais ennuyée : lorsque j'étais trop fatiguée ou trop dispersée pour m'attacher au sens, le rythme des vers, la musique des mots prenaient le relais pour m'apaiser, me bercer et surtout me nourrir des idéaux de ce si grand homme.

Il m'était important de dérouler La Légende des siècles, une fois au moins, dans toute sa longueur. Si je dois y revenir, et j'y reviendrai, ce sera en piochant au hasard un poème ou un verset, lu isolément, pour mieux m'en imprégner, tout en gardant en arrière-plan de ma mémoire le contexte global auquel il appartient.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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La Légende des Siècles, cela pourrait bien être le genre de livre à emporter sur une île déserte, le type de livre quasiment inépuisable. A condition de posséder la version intégrale, avec les trois séries, je commente ici sur les petites épopées car c'est la version qui a été la plus reprise sur le site.

L'oeuvre est vertigineuse, Hugo tente de retracer L Histoire humaine, rien que ça. Au fond la chronologie importe peu, car Hugo a écrit ces poèmes à diverses périodes de sa vie, et l'oeuvre n'est pas spécialement faite pour être lue de A à Z. Certains passages peuvent se retrouver et se répondre, comme les conclusions du cycle des Titans et celui du Satyre, par exemple, où l'on retrouve aussi à divers endroits le Cid, les récits Bibliques... C'est un bon livre de chevet pour quiconque aime la poésie métrée, tant l'auteur en est un virtuose, et même un révolutionnaire. C'est lui qui a révolutionné le genre avec le mouvement Romantique, instaurant le trimètre, les rejets, contre-rejets... Apportant sa touche de folie, de lyrisme baroque. Victor Hugo reste toutefois dans les clous de la prosodie, pour le voir encore plus "libéré", il faut lire ses oeuvres posthumes, notamment dans Toute la Lyre, où il se permet nombre de fantaisies métriques. Je pense qu'il faut tout de même être rompu à ce type de poésie, pour en apprécier la saveur, et avoir de solides connaissances historiques pour suivre toutes les références, les allusions. Et il ne faut pas être fermé au mysticisme, à l'ésotérique. Mais certains vers sont des maximes, des leçons de vie, à méditer, et nombres de passages font écho à notre époque. Il y a de tout dans ce livre, de la noirceur la plus obscure, aux chants de l'Amour.
Hugo peut faire peur, car c'est un monument. Un génie, et ça, il le sait depuis son plus jeune âge, quand il déclare ne vouloir qu'être Chateaubriand ou rien. Mais le génie sait aussi se montrer accessible, humain, et nous donner des clefs de lecture, à nous autres, pauvres mortels. Hugo peut tout dire et son contraire, en ça il se rapproche un peu de la Vérité.
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Victor Hugo déploie ici des talents impétueux et bouillonnants qui lui sont propres. A travers le masque du poète, Victor Hugo requiert de multiples facettes: magicien des rêves, illusionniste, conteur... Il nous fait voyager d'une façon que lui seul est capable de faire de part les monts et les merveilles des siècles.
Puissant est l'adjectif qui correspondrait parfaitement à cette oeuvre laquelle m'a happée avec force et exaltation, comme si j'étais tombée par mégarde dans une spirale sans fin remplie d'image des siècles passés.
C'est bouche-bée et la tête dans les nuages que le lecteur, même le plus aguerri, atterri de cette oeuvre magnifique et digne de Victor Hugo l'un des plus grands auteurs de son siècle....
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Je ne vais pas renchérir au concert de louanges sur la verve biblique de notre grand Victor: je vous l'accorde, c'est beau, c'est noble, c'est biblique en diable, si l'on me pardonne cet oxymore!

Non, je vais juste ajouter une petite note décalée, un zeste d'humour dans ces orgues célestes. C'est leste, aussi, Hugo!

Victor, en effet, était un fameux coquin, un érotomane distingué, et il a dû bien s'amuser quand il a écrit :

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu...

Et dans ce passage:

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait....


notre joyeux drille qui proclamait: "le calembour est la fiente de l'âme" en a commis un fameux quand, ne trouvant pas de ville aussi hébraïque que "Ur" et qui puisse rimer avec "demandait" il inventa une ville à l'orthographe follement hébraïque, Jerimadeth- ou "j'ai rime à" dait" "

Un coquin doublé d'un petit facétieux, notre grand poète biblique...

Ces petites gaudrioles et fines plaisanteries le rendent plus humain, non?
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Booz endormi

Booz s'était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ;
Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril.
Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
- Laissez tomber exprès des épis, disait-il.

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.

Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;
Près des meules, qu'on eût prises pour des décombres,
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
Et ceci se passait dans des temps très anciens.

Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l'homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu'il voyait,
Etait mouillée encore et molle du déluge.

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entre-bâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

Et Booz murmurait avec la voix de l'âme :
" Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme.

" Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

" Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ;

Mais vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau ;
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l'eau. "

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.
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Après la bataille

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait : " A boire ! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : " Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : " Caramba ! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.
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Liberté !

De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ?

De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages,
Aux sources, à l'aurore, à la nuée, aux vents ?
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ?
Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître
L'aile pour l'accrocher au clou de ta fenêtre ?
Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ?
Qu'est-ce qu'ils ont donc fait tous ces innocents-là
Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ?

Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ?
Qui sait si le verdier qu'on dérobe aux rameaux,
Qui sait si le malheur qu'on fait aux animaux
Et si la servitude inutile des bêtes
Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ?
Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ?
Oh! de nos actions qui sait les contre-coups,
Et quels noirs croisements ont au fond du mystère
Tant de choses qu'on fait en riant sur la terre ?
Quand vous cadenassez sous un réseau de fer
Tous ces buveurs d'azur faits pour s'enivrer d'air,
Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue,
Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue,
Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux
Ne touche pas à l'homme en heurtant ces barreaux ?

Prenez garde à la sombre équité. Prenez garde !
Partout où pleure et crie un captif, Dieu regarde.
Ne comprenez-vous pas que vous êtes méchants ?
À tous ces enfermés donnez la clef des champs !
Aux champs les rossignols, aux champs les hirondelles ;
Les âmes expieront tout ce qu'on fait aux ailes.
La balance invisible a deux plateaux obscurs.
Prenez garde aux cachots dont vous ornez vos murs !
Du treillage aux fils d'or naissent les noires grilles ;
La volière sinistre est mère des bastilles.
Respect aux doux passants des airs, des prés, des eaux !
Toute la liberté qu'on prend à des oiseaux
Le destin juste et dur la reprend à des hommes.
Nous avons des tyrans parce que nous en sommes.
Tu veux être libre, homme ? et de quel droit, ayant
Chez toi le détenu, ce témoin effrayant ?
Ce qu'on croit sans défense est défendu par l'ombre.
Toute l'immensité sur ce pauvre oiseau sombre
Se penche, et te dévoue à l'expiation.
Je t'admire, oppresseur, criant: oppression !
Le sort te tient pendant que ta démence brave
Ce forçat qui sur toi jette une ombre d'esclave
Et la cage qui pend au seuil de ta maison
Vit, chante, et fait sortir de terre la prison.
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[LE PARRICIDE]

Un jour, Kanut, à l’heure où l’assoupissement
Ferme partout les yeux sous l’obscur firmament,
Ayant pour seul témoin la nuit, l’aveugle immense,
Vit son père Swéno, vieillard presque en démence,
Qui dormait, sans un garde à ses pieds, sans un chien ;
Il le tua, disant : « Lui-même n’en sait rien. »
Puis il fut un grand roi.

Il disait en parlant du grand César : « Nous deux ; »

Il fut héros, il fut géant, il fut génie ;
Le sort de tout un monde au sien semblait lié ;
Quant à son parricide, il l’avait oublié.
Il mourut. On le mit dans un cercueil de pierre ;

Le soir vint ; l’orgue en deuil se tut dans le saint lieu ;
Et les prêtres, quittant la haute cathédrale,
Laissèrent le roi mort dans la paix sépulcrale.
Alors il se leva, rouvrit ses yeux obscurs,
Prit son glaive, et sortit de la tombe, les murs
Et les portes étant brumes pour les fantômes ;

Il se trouva, lui, spectre, âme, roi sans royaume,
Nu, face à face avec l’immensité fantôme ;
Il vit l’infini, porche horrible et reculant
Où l’éclair, quand il entre, expire triste et lent,
L’ombre, hydre dont les nuits sont les pâles vertèbres,
L’informe se mouvant dans le noir ; les Ténèbres ;
Là, pas d’astre ; et pourtant on ne sait quel regard
Tombe de ce chaos immobile et hagard ;
Pour tout bruit, le frisson lugubre que fait l’onde
De l’obscurité, sourde, effarée et profonde ;
Il avança disant : « C’est la tombe ; au delà
C’est Dieu. » Quand il eut fait trois pas, il appela ;
Mais la nuit est muette ainsi que l’ossuaire,
Et rien ne répondit : sous son blême suaire
Kanut continua d’avancer ; la blancheur
Du linceul rassurait le sépulcral marcheur ;
Il allait ; tout à coup, sur son livide voile
Il vit poindre et grandir comme une noire étoile ;
L’étoile s’élargit lentement, et Kanut,
La tâtant de sa main de spectre, reconnut
Qu’une goutte de sang était sur lui tombée ;
Sa tête, que la peur n’avait jamais courbée,
Se redressa ; terrible, il regarda la nuit,
Et ne vit rien ; l’espace était noir ; pas un bruit ;
« En avant ! » dit Kanut levant sa tête fière ;
Une seconde tache auprès de la première
Tomba, puis s’élargit ; et le chef cimbrien
Regarda l’ombre épaisse et vague, et ne vit rien ;
Comme un limier à suivre une piste s’attache,
Morne, il reprit sa route ; une troisième tache
Tomba sur le linceul. Il n’avait jamais fui ;
Kanut pourtant cessa de marcher devant lui,
Et tourna du côté du bras qui tient le glaive ;
Une goutte de sang, comme à travers un rêve,
Tomba sur le suaire et lui rougit la main ;
Pour la seconde fois il changea de chemin,
Comme en lisant on tourne un feuillet d’un registre,
Et se mit à marcher vers la gauche sinistre ;
Une goutte de sang tomba sur le linceul ;
Et Kanut recula, frémissant d’être seul,
Et voulut regagner sa couche mortuaire ;
Une goutte de sang tomba sur le suaire ;
Alors il s’arrêta livide, et ce guerrier,
Blême, baissa la tête et tâcha de prier ;
Une goutte de sang tomba sur lui. Farouche,
La prière effrayée expirant dans sa bouche,
Il se remit en marche ; et, lugubre, hésitant,
Hideux, ce spectre blanc passait ; et, par instant,
Une goutte de sang se détachait de l’ombre,
Implacable, et tombait sur cette blancheur sombre.
Il voyait, plus tremblant qu’au vent le peuplier,
Ces taches s’élargir et se multiplier ;
Une autre, une autre, une autre, une autre, ô cieux funèbres !
Leur passage rayait vaguement les ténèbres ;
Ces gouttes, dans les plis du linceul, finissant
Par se mêler, faisaient des nuages de sang ;
Il marchait, il marchait ; de l’insondable voûte
Le sang continuait à pleuvoir goutte à goutte,
Toujours, sans fin, sans bruit, et comme s’il tombait
De ces pieds noirs qu’on voit la nuit pendre au gibet ;
Hélas ! qui donc pleurait ces larmes formidables ?
L’infini. Vers les cieux, pour le juste abordables,
Dans l’océan de nuit sans flux et sans reflux,
Kanut s’avançait, pâle et ne regardant plus ;
Enfin, marchant toujours comme en une fumée,
Il arriva devant une porte fermée
Sous laquelle passait un jour mystérieux ;
Alors sur son linceul il abaissa les yeux ;
C’était l’endroit sacré, c’était l’endroit terrible ;
On ne sait quel rayon de Dieu semble visible ;
De derrière la porte on entend l’hosanna.

Le linceul était rouge et Kanut frissonna.

Et c’est pourquoi Kanut, fuyant devant l’aurore
Et reculant, n’a pas osé paraître encore
Devant le juge au front duquel le soleil luit ;
C’est pourquoi ce roi sombre est resté dans la nuit,
Et, sans pouvoir rentrer dans sa blancheur première,
Sentant, à chaque pas qu’il fait vers la lumière,
Une goutte de sang sur sa tête pleuvoir,
Rôde éternellement sous l’énorme ciel noir.


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La Terre

Elle est la terre, elle est la plaine, elle est le champ.
Elle est chère à tous ceux qui sèment en marchant ;
Elle offre un lit de mousse au pâtre ;
Frileuse, elle se chauffe au soleil éternel,
Rit, et fait cercle avec les planètes du ciel
Comme des sœurs autour de l'âtre.

Elle aime le rayon propice aux blés mouvants,
Et l'assainissement formidable des vents,
Et les souffles, qui sont des lyres,
Et l'éclair, front vivant qui, lorsqu'il brille et fuit,
Tout ensemble épouvante et rassure la nuit
A force d'effrayants sourires.

Gloire à la terre ! Gloire à l'aube où Dieu paraît !
Au fourmillement d'yeux ouverts dans la forêt,
Aux fleurs, aux nids que le jour dore !
Gloire au blanchissement nocturne des sommets !
Gloire au ciel bleu qui peut, sans s'épuiser jamais,
Faire des dépenses d'aurore !

La terre aime ce ciel tranquille, égal pour tous,
Dont la sérénité ne dépend pas de nous,
Et qui mêle à nos vils désastres,
A nos deuils, aux éclats de rires effrontés,
A nos méchancetés, à nos rapidités,
La douceur profonde des astres.

La terre est calme auprès de l'océan grondeur ;
La terre est belle ; elle a la divine pudeur
De se cacher sous les feuillages ;
Le printemps son amant vient en mai la baiser ;
Elle envoie au tonnerre altier pour l'apaiser
La fumée humble des villages.

Ne frappe pas, tonnerre. Ils sont petits, ceux-ci.
La terre est bonne ; elle est grave et sévère aussi ;
Les roses sont pures comme elle ;
Quiconque pense, espère et travaille lui plaît ;
Et l'innocence offerte à tout homme est son lait,
Et la justice est sa mamelle.

La terre cache l'or et montre les moissons ;
Elle met dans le flanc des fuyantes saisons
Le germe des saisons prochaines,
Dans l'azur les oiseaux qui chuchotent : aimons !
Et les sources au fond de l'ombre, et sur les monts
L'immense tremblement des chênes.

L'harmonie est son œuvre auguste sous les cieux ;
Elle ordonne aux roseaux de saluer, joyeux
Et satisfaits, l'arbre superbe ;
Car l'équilibre, c'est le bas aimant le haut ;
Pour que le cèdre altier soit dans son droit, il faut
Le consentement du brin d'herbe.

Elle égalise tout dans la fosse ; et confond
Avec les bouviers morts la poussière que font
Les Césars et les Alexandres ;
Elle envoie au ciel l'âme et garde l'animal ;
Elle ignore, en son vaste effacement du mal,
La différence de deux cendres.

Elle paie à chacun sa dette, au jour la nuit,
A la nuit le jour, l'herbe aux rocs, aux fleurs le fruit ;
Elle nourrit ce qu'elle crée,
Et l'arbre est confiant quand l'homme est incertain ;
O confrontation qui fait honte au destin,
O grande nature sacrée !

Elle fut le berceau d'Adam et de Japhet,
Et puis elle est leur tombe ; et c'est elle qui fait
Dans Tyr qu'aujourd'hui l'on ignore,
Dans Sparte et Rome en deuil, dans Memphis abattu,
Dans tous les lieux où l'homme a parlé, puis s'est tu,
Chanter la cigale sonore.

Pourquoi ? Pour consoler les sépulcres dormants.
Pourquoi ? Parce qu'il faut faire aux écroulements
Succéder les apothéoses,
Aux voix qui disent Non les voix qui disent Oui,
Aux disparitions de l'homme évanoui
Le chant mystérieux des choses.

La terre a pour amis les moissonneurs ; le soir,
Elle voudrait chasser du vaste horizon noir
L'âpre essaim des corbeaux voraces,
A l'heure où le bœuf las dit : Rentrons maintenant ;
Quand les bruns laboureurs s'en reviennent traînant
Les socs pareils à des cuirasses.

Elle enfante sans fin les fleurs qui durent peu ;
Les fleurs ne font jamais de reproches à Dieu ;
Des chastes lys, des vignes mûres,
Des myrtes frissonnant au vent, jamais un cri
Ne monte vers le ciel vénérable, attendri
Par l'innocence des murmures.

Elle ouvre un livre obscur sous les rameaux épais ;
Elle fait son possible, et prodigue la paix
Au rocher, à l'arbre, à la plante,
Pour nous éclairer, nous, fils de Cham et d'Hermès,
Qui sommes condamnés à ne lire jamais
Qu'à de la lumière tremblante.

Son but, c'est la naissance et ce n'est pas la mort ;
C'est la bouche qui parle et non la dent qui mord ;
Quand la guerre infâme se rue
Creusant dans l'homme un vil sillon de sang baigné,
Farouche, elle détourne un regard indigné
De cette sinistre charrue.

Meurtrie, elle demande aux hommes : A quoi sert
Le ravage ? Quel fruit produira le désert ?
Pourquoi tuer la plaine verte ?
Elle ne trouve pas utiles les méchants,
Et pleure la beauté virginale des champs
Déshonorés en pure perte.

La terre fut jadis Cérès, Alma Cérès,
Mère aux yeux bleus des blés, des prés et des forêts ;
Et je l'entends qui dit encore :
Fils, je suis Déméter, la déesse des dieux ;
Et vous me bâtirez un temple radieux
Sur la colline Callichore.
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