Sous la France de la Renaissance, rayonne le roi
François Ier qui est tout-puissant et se permet de tout, y compris de séduire toutes les femmes de la cour : après tout une cour sans femmes est comme un jardin sans fleurs Son bouffon difforme, Triboulet, rit et s'encanaille parmi les nobles dont il n'hésite pas à se moquer violemment. Mais Triboulet en secret méprise ses riches clients et surtout a un secret qu'il dissimule soigneusement : sa fille Blanche, son joyau, sa seule source de joie et de bonté qu'il veut préserver des vices du monde. Or un jour
François Ier rencontre la belle Blanche... le drame commence et finira mal avec un père qui finira par tout perdre.
Amoureux de l'opéra, vous aurez sans doute été interpellé par la ressemblance de ce synopsis avec l'une des oeuvres les plus connues de
Giuseppe Verdi, Rigoletto qui est une des plus jouées au monde : c'est que notre grand italien s'est volontairement inspiré de cette pièce romantique de
Victor Hugo. Pour l'anecdote, l'écrivain français outré par cette reprise va intenter un procès au compositeur, mais qui sera vain. Cependant, s'il y a une chose qui réunit les deux pièces du XIXeme siécle, c'est qu'ils n'échappérent point à la censure, tous deux vilipendés pour leur contenu choquant et heurtant la morale. C'est que tous deux critiquent vertement les pouvoirs en place sous une coloration historique (le règne de
François Ier ou celui du Duc de Mantoue) et ses dépravations, et ont comme héros des êtres immoraux et cruels qui ne conviennent pas aux canons du genre. Rigoletto est aujourd'hui un classique de l'opéra alors que
le Roi s'amuse est hélas méconnue du grand public. Pourtant elle est tout aussi marquante et subversive que l'art de Verdi.
Dans le registre romantique ou le sublime se dispute au grotesque, la pièce est toute portée par le tragique Triboulet. Second bossu protagoniste malgré lui avec l'inoubliable Quasimodo, Triboulet est un homme complexe, monstre et humain avant tout. le bouffon ignoble de la première partie qui ose rigoler à la face du père d'une proie de
François Ier se révèle être un père attendri et protecteur envers Blanche et qui tente de se venger quand celle-ci passe sous les filets du roi. Un être maudit par avance, condamné à vivre les mêmes ressentiments que le vieillard dont il s'est moqué, un être qui dénonce la folie de la noblesse avec des vers bien chargés : "Vos mères aux laquais se sont prostituées/ Vous êtes tous bâtards" (ce morceau ayant été très mal sentie par la monarchie en place en 1832, la mère du roi Louis-Philippe régnant alors n'était pas une ingénue chaste et convenable). Triboulet se fond certes dans le décor débauché et inquiétant de la cour mais conserve une part d'altruisme et de remords, en comparaison avec le tyrannique
François Ier, plus violeur que séducteur, égoiste brutal qui jamais ne regrette ses actes ou n'a une once de compassion envers ses victimes, voilà de quoi écorner l'image d'Epinal d'un souverain galant et gracieux. Même la pâle Blanche qu'on peut penser être classique et sans personnalité propre juste à finir en victime immolée pour le grand mâle noue émue par son innocence, sa candeur et son courage qu'elle dédie hélas à la mauvaise personne.
L'abus de pouvoir, la folie amoureuse, la malédiction et l'injustice qui gagne à la fin noircissent l'ambiance de corruption qui y baigne et qu'on peut désespérer à la fin. Mais surtout l'éternelle et réecrite version du fou qui est sage et du sage qui ne l'est pas, que
Shakespeare avait déjà illustré avec brio dans
le Roi Lear : ici c'est le fou qui est moral et pas son souverain.
Une pièce sombre mais non sans être glorieuse, aux vers riches et musicaux , qui fait voir le meilleur et le pire de l'humain, l'abnégation d'un père contre le mal et une critique du pouvoir à relire sans hésitation.