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Critique de Darkcook


Un Hugo qui me faisait reculer, malgré mon admiration pour le grand Victor : L'atmosphère maritime qu'il annonçait, et son focus, de par son titre, ne faisaient pas partie de ce qui m'enthousiasmait le plus, a priori. J'ignorais à quel point le roman ressemblait en réalité à ses autres romans, surtout Notre-Dame de Paris et L'Homme qui rit, avec un cercle très réduit de personnages principaux, et une histoire d'amour tragique.

Le roman commence avec le très long mais passionnant prologue "L'Archipel de la Manche", qu'Hugo avait initialement enlevé, où il nous dresse un topo magistral sur Guernesey et les îles qui l'entourent, topo historique, géographique, social... Des pages entièrement digressives donc, mais magnifiques, avec des descriptions romantiques très inspirées, hallucinées et enflammées comme je les aime. L'on retrouve de très belles descriptions de la faune et de la flore, ce que le romantique en moi craignait de perdre dans un roman marin, et des visions déchaînées de la mer imprévisible battant l'île et les destinées.

Est introduit ensuite Gilliatt dès que le roman s'ouvre véritablement. Il sera le monstre hugolien du roman, même s'il ne souffre cette fois d'aucune difformité physique, Hugo présente sa vie de mis au ban qui ressemble fort encore une fois à celle d'un personnage de Tim Burton. Il vit en effet dans une maison visionnée (barricadée) appelée le Bû de la Rue, absolument seul, et le reste de Guernesey médit sur son compte, quand bien même il passe son temps à aider la population et à accomplir des exploits héroïques absolument fabuleux sans jamais rien demander en retour. le soir de Noël, Gilliatt tombe amoureux de la jeune Déruchette qui a écrit "Gilliatt" dans la neige en le voyant. Seulement voila, Hugo nous dit bien que Déruchette est inconséquente : Ce qu'elle fait l'espace d'une seconde ne compte plus la seconde d'après, et l'insouciance avec laquelle elle vogue sur les choses ignore les conséquences de ses actes. Gilliatt embrasse l'éternité dans un geste absolument anodin et sans importance pour Déruchette. C'est le début d'une aurore... et d'un incendie, pour citer Hugo. Au passage, pour le lien avec ses autres romans, ajoutez l'oncle adoptif de Déruchette, Mess Lethierry, marin bourru au coeur tendre, et vous retrouvez le trio Gwynplaine, Déa et Ursus trois ans avant L'Homme qui rit.

Hugo enchaîne les chapitres formidables, avec la description de la chaise Gild-Holm-Ur, rocher en forme de chaise où Gilliatt s'asseoit pour contempler la mer, mais qui est périlleux selon les heures, où encore les sérénades secrètes de Gilliatt envers Déruchette, répondant à son chant de l'air Bonny Dundee. Mais Gilliatt, un jour, sauve un jeune homme de la chaise...

Hugo passe ensuite sur le personnage secondaire Sieur Clubin, qui est, selon lui, la probité-même. Il nous conte durant toute une partie les allées et venues de Clubin, chargé par Lethierry de trajets maritimes à bord de la Durande, bateau à vapeur de Lethierry. À ce stade-là du roman, je râlais qu'Hugo se soit détourné des personnages principaux, pour nous compter les aléas d'un personnage que j'estimais absolument sans conséquence... Quelle erreur que je fis. D'une, Hugo enchaîne à nouveau les chapitres aux visions saisissantes, avec Plainmont et les Déniquoiseaux, mais surtout, il nous prépare un twist incroyable que je n'ai absolument pas vu venir!! Je me garderai bien d'en dire plus ici, mais le chapitre "Un intérieur d'abîme, éclairé" est un des sommets de son oeuvre, à lire en public!

Le principe de la suite du roman est simple : La Durande s'est échouée sur les terribles rochers Douvres, et Lethierry est abattu. Il promet alors de donner Déruchette en mariage à quiconque sauverait son navire du naufrage et de la catastrophe. Vous devinez la suite : Gilliatt, éperdument amoureux de Déruchette et maîtrisant la mer comme personne, se lance à corps perdu dans l'entreprise. Toute cette partie est beaucoup plus laborieuse : Toute la survie incroyable de Gilliatt seul sur les rochers Douvres en pleine mer agitée, et en pleine réparation de la Durande, s'avère pour le moins interminable, avec tous les détails techniques et tout le jargon de la mer et du bricolage. Travaillant à côté, j'ai eu du mal à venir à bout de cette partie du roman, mais elle se rachète vers la fin, avec la découverte d'un certain cadavre et le célèbre combat contre la pieuvre. On sait tous qu'Hugo écrit trop, même nous fans, et il y a, dans Les Travailleurs de la mer, comme dans Les Contemplations ou dans L'Homme qui rit, des pages qui nous font tutoyer des hauteurs célestes, d'autres que l'on tourne avec lassitude (je vais de suite me châtier pour ce que j'ose dire d'une de mes idoles...).

Vous devinez la fin du roman : Labeur de Gilliatt proportionnel à l'insouciance de Déruchette, et j'ai mentionné un jeune homme sauvé par Gilliatt tout à l'heure. Il y a triangle amoureux, et fin tragique de rigueur, avec, encore, des moments inoubliables.

C'est par conséquent un roman grandiose, magnifique et très inspiré d'Hugo (il y a ses plus belles pages sur l'océan, lui qui en a écrit tellement, notamment ensuite dans L'Homme qui rit, Quatrevingt-treize, et le livre V des Contemplations), mais qui comporte aussi son lot de pages où il faut lutter, à l'image du héros. Cela vaut néanmoins le détour, pour tous les fans de l'auteur, du XIXe romantique, lyrique et tragique.
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