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Critique de YvesParis


L'autobiographie est un exercice redoutable. On ne s'y livre jamais sans risque. Soit qu'on y dévoile ses qualités avec une morgue détestable. Soit qu'on n'y révèle ses défauts avec une impudeur gênante.
Philippe Hugon parvient à éviter ces deux écueils dans des mémoires placées, avec Camus, sous le double signe de la solidarité et de la solitude. Enseignant, chercheur, écrivain, conférencier, Philippe Hugon a connu toute sa vie durant la solitude de l'écriture. Mais cette ascèse n'avait pour lui de sens que dans le dialogue solidaire noué avec ses élèves, ses lecteurs, ses auditeurs.

Philippe Hugon est économiste du développement. Docteur d'Etat, agrégé de sciences économiques, il a passé l'essentiel de sa carrière à l'université de Paris X. Il y dirigea notamment pendant plus de vingt ans un DESS « Analyse économique du développement », y fut responsable du CERED (Centre de recherches en économie du développement) et y fonda le CERNEA (Centre d'études et de recherches pour une nouvelle économie appliquée). Depuis sa retraite il est devenu directeur de recherches à l'IRIS et on le voit régulièrement commenté l'actualité africaine dans les médias. Il est l'auteur d'une oeuvre importante : plus de 25 ouvrages, des centaines d'articles, une multitude de rapports rédigés pour toutes sortes d'organismes officiels. Ses thèmes de prédilection : l'emploi, l'économie informelle, l'accès aux biens publics, la sécurité.
Mais Philippe Hugon ne consacre pas de longs développements à son métier d'économiste. On ne saura quasiment rien de ses deux thèses de doctorat, la première, rédigée au milieu des Trente glorieuses, questionnant l'évolution sectorielle de l'emploi dans le long terme, la seconde, rédigée au Cameroun, consacrée au sous-développement. Il souligne au contraire les limites de l'outil économique dont il critique avec amertume les dérives scientistes : « J'ai assisté à la prise de pouvoir en France par certains mathématiciens, généralement de niveau moyen (sinon ils auraient enseigné dans des facultés de maths), ingénieurs et économètres ayant une conception instrumentale de l'économie » (p. 97). Il prône une approche politique de l'économie, à l'intersection des savoirs, tirant le bénéfice des apports de la sociologie et de l'anthropologie.
Les mémoires de Philippe Hugon sont moins consacrées à l'économie du développement qu'au parcours d'un homme, né en 1939 dans un milieu parisien bourgeois (ses parents sont les héritiers de la chocolaterie Debauve et Gallais), étudiant sérieux à Louis-le-grand et à Sciences Po qui choisit de consacrer sa vie à l'Afrique. Philippe Hugon décrit ce choix qui semble à la fois mûrement réfléchi et passablement contingent : « Il y a eu combinaison de souci d'exotisme, de culture chrétienne, de conscience politique et d'idéalisme. L'Afrique répondait à un désir d'aventure pour le petit bourgeois parisien que j'étais » (p. 45). Avec une belle lucidité, il raconte l'idéalisme de son départ au Cameroun et sa désillusion : « L'on part avec la volonté de comprendre en profondeur des sociétés et des populations différentes et l'on se retrouve vite à participer à des soirées ou des activités sportives entre Blancs » (idem). Après sa coopération au Cameroun, Philippe Hugon reviendra en famille enseigner dans la jeune université de Madagascar. Ce seront ses deux seules expatriations. Mais il ne cessera toute sa vie durant de sillonner l'Afrique.

Philippe Hugon réussit la gageure de parler de lui sans être pédant ni impudique. Dans ses mémoires, qu'on sent rédigées à l'intention des siens, mais qui passionneront tous ceux qu'intéressera une vie consacrée à la recherche et à l'Afrique, ce n'est pas seulement le chercheur qui se livre. Mais l'homme au crépuscule de sa vie. Sans fard ni masque. Avec une belle humanité qui donne à réfléchir et sur laquelle on aimerait prendre exemple.
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