Citations sur Le Feu à sa vie (12)
Je crois de plus en plus qu'il y a des choses immuables contre lesquelles le temps ni la mort ne peuvent rien, que ce qui fut intense et grand un seul instant demeure à jamais vivant sur cette terre, et qu'enfin tout ce que nous faisons n'engage pas seulement notre vie, mais la destinée du monde.
Chaque village de France, ou presque, a son poète inconnu. Des centaines de revues locales, dont nous ignorons l'existence, paraissent tous les mois ou tous les trimestres. Dans ce siècle où règnent la technique et l'argent, des êtres indifférents à tous les gains, à tous les pouvoirs, des êtres dont la seule ambition est de conserver cette gloire secrète -- tellement plus douce que la célébrité : la gloire d'être heureux, la gloire d'aimer le monde -- continuent d'exprimer, pour quelques rares lecteurs, et parfois pour eux seuls, leurs moments de grâce, leurs rencontres avec la beauté.
L'air salé lui caressait le visage sans arrêt. Depuis le début, il se demandait si le vent s'arrêterait de glisser sur lui car tous les vents ont des sautes de vent, ils tombent parfois, pour se relever plus forts ensuite. Mais pas ce vent-ci ; il était frais, salé, inaltérable. Comme si l'éternité avait choisi cet endroit pour venir s'y assoupir.
La poésie peut péricliter en tant que genre littéraire, elle n'en reste pas moins vivante au coeur de ceux des hommes qui conservent le sens de la prière. Je ne parle pas nécessairement de la prière chrétienne, mais de ces prières naturelles que sont l'attention, l'imagination, une tendre disposition du coeur, l'aptitude à s'émerveiller. Elle restera toujours nécessaire à ceux pour qui la vie est une raison suffisante de survivre. Une prometteuse aventure, une chance, un bonheur dont il faut témoigner.
Créer, aimer, détruire... L'essentiel est d'épuiser sa force, toute sa force avant de mourir.
Oui, comme il faut refuser ! Comme il faut tuer, briser, abandonner. Pour partir. Car la joie est un voyage. Et je ne sais pas ce qui nous exalte le plus dans ce voyage, de rompre ou de découvrir.
Et pourtant, quand vous désespérez, ce ne seront pas vos connaissances qui vous sauveront, mais une humble envie d'enfant : l'envie d'être heureux.
Préface de Michka Assayas
J'ai rencontré pour la première fois le nom de Jean-René Huguenin dans les Lettrines de Julien gracq. Il y traçait dans un court texte le portrait de celui qui avait été son élève au lycée Claude-Bernard. Je ne peux m'empêcher de restituer ce texte éblouissant :
"Il avait été mon élève. Mais un élève dont on ne sait rien. (....) Il me semble que chez Huguenin le niveau scolaire se marquait peu. Il y avait quelque chose en lui qui rappelait obstinément le plein vent : ce mouvement de tête fougueux de cheval sans bride, cette voix coupante qui défendait agressivement son quant à soi. Il paraissait plutôt de la race qui brûle ses cahiers et ne s'inscrit pas aux associations d'anciens élèves. (...)
Quand je reçus "la Côte sauvage", j'ouvris le livre et je le lus jusqu'à la dernière page, sans plus m'arrêter. (...)
L'automne, déjà ! --- la note déchirante, panique, de Rimbaud, qui ouvre la plus longue pente de la "Saison en Enfer" --- c'est je cois bien le sujet de ce livre. C'est un grand sujet, c'est-à-dire que ce n'est pas un sujet très neuf. Seulement voici : la mélancolie des vieillards devant les feuilles sèches et la vie qui se fige ne nous retient pas, et cette note ici nous atteint parce qu'elle retentit à l'instant juste où elle est à peine supportable, scandaleuse -- non parce qu'on sait l'auteur si jeune mais parce qu'à chaque page la fraîcheur dure de la jeunesse nous reste aux doigts. Une douleur très simple et non mystérieuse. Mais aussi toutes les complaisances qu'y met le coeur jeune, et l'envie irrésistible qui lui vient de mettre le feu à sa vie, quand il s'aperçoit que le monde autour de lui a déjà commencé de vieillir. (...).
La vraie virilité est enfantine. Une enfance reconquise, de haute lutte, pied à pied, poing à poing.
Je ne parviens pas à me perdre dans mon roman comme dans une forêt, je reste sur les sentiers, à suivre les ornières ignobles de toutes les charrettes précédentes. Il faut que mon coeur se mette en marche et devienne le bulldozer qui m'ouvrira mon propre chemin.
(...) je ne peux pas écrire la tête froide, il faut que ça bouillonne et que ça gronde.