Citations sur Marthe et Mathilde (15)
" Tout au long de ce voyage de dix jours à travers le Sud de l'Allemagne, nous n'avons rencontré aucun homme, aucune femme(et pourtant la majorité des femmes avaient été fascinées par Hitler) qui ne l'aient pas renié. Tous les allemands que nous avons rencontrés nous ont juré, main sur le coeur, qu'ils n'avaient jamais été membres du parti. Il n'y a jamais eu de nazis en Allemagne !..."
En ces lendemains de guerre, les vainqueurs déploient leurs cartes d'état-major et se partagent l'Europe. Ils rangent chaque peuple dans une case aux contours strictement délimités. L'Allemagne cède l'Alsace-Lorraine à la France. Le droit du sol de la République française est transformé de facto en droit du sang. L'Etat français instaure exceptionnellement en Alsace un droit allemand.
C'est cette chanson que les hordes de jeunes Alsaciens haineux entonnèrent en regardant les Allemands expulsés de 1918 quand ils traversèrent le pont de Neuf-Brisach à pied, leurs valises à la main. Mathilde a voulu tendre ce fil symbolique d'un bout à l'autre de sa vie. C'est son histoire qu'elle nous fait chanter. En face du Schnepfenried, tout là-bas au loin par temps clair, Mathilde voit la forêt-noire.
l'Allemagne est toute proche.
Chacun lance une poignée de terre. Mon frère rebouche le trou. Personne n'a pensé à apporter une croix de bois.
J'ai copié les paroles de la chanson. Je distribue le texte . Et nous chantons, doucement d'abord, puis à tue-tête et tous en coeur "Muss i denn zum Städele hinaus". Soudain ce dernier acte n'est plus ridicule. Pour la première fois je comprends le sens de ces paroles. Cette chanson parle du départ, du mal du pays. Mais elle porte la promesse d'un retour prochain à la ville.
Ces végétariens la perturbaient. Elle avait envie de manger de la viande. Elle se jurait de s'échapper en douce pour aller déjeuner d'un pied de porc juteux dans un restaurant bourgeois de la ville d'à côté. Devant la tasse de tisane de mélisse d'Yvette sur la table du petit-déjeuner, Rita avait déposé une prière indienne: "Oh, esprit puissant, fais que je ne condamne pas mon voisin avant d'avoir parcouru un kilomètre dans ses mocassins."
Le sort des "Malgré-nous" suscitait immanquablement une vive émotion autour de la table familiale. Après la défaite de 1940, une bonne partie des Alsaciens se replièrent sur eux-mêmes, se bornant à entretenir un minimum de relations avec les nouveaux maîtres des lieux. Le Gauleiter Robert Wagner, redoutable chef de l'administration civile en Alsace, un nazi convaincu, leur reproche cette tiédeur : "Les Alsaciens ne peuvent plus se contenter d'assister en spectateurs passifs à la lutte décisive que mène la nation. Ceci est incompatible avec leur sens de l'honneur."
Le 25 août 1942, le Gauleiter Wagner décide par décret l'incorporation de force des Alsaciens dans les armées nazies. Le Führer a besoin de troupes fraîches sur le front. Il espère que le service sous l'uniforme allemand fera enfin des Alsaciens de vrais citoyens du IIIe Reich, des nazis convaincus. Ce décret est une violation de la convention d'armistice signée avec la France en juin 1940 et des conventions de La Haye qui interdisent à une puissance occupante de mobiliser la population d'un territoire occupé. L'incorporation de ceux que l'on appelle les "Malgré-nous" est donc un acte illégal.
J'aurais aimé qu'elle discipline ces bribes asynchrones dans le corset d'une chronologie fiable.
Mes grands-mères s'appelaient Marthe et Mathilde. Leurs prénoms commençaient par les deux mêmes lettres. Elles étaient nées la même année, en 1902. Mathilde, le 20 février. Marthe, le 20 septembre. Elles moururent l'une après l'autre en 2001. A quelques semaines d'intervalle, tout au début du nouveau siècle et à la veille de leur centième anniversaire.
Il y a dans la vie de tous les rebelles un événement qui fait dévier le tracé prévisible de leur destin. C'est un moment précis, facilement repérable dans la chronologie touffue des années. A partir de là, il y a toujours un avant et un après.
Alice était une vieille fille sacrifiée au bien-être de la famille. Une de ces âmes dévouées qui n'existent plus aujourd'hui. Elle s'occupait des vieux, des malades, des tombes, des déclarations d'impôts de toute la famille, de la gestion et de la réparation des immeubles dont les deux soeurs avaient hérité de leur père. Elle n'avait pas de vrai statut. Marthe et Mathilde étaient les grands-mères toutes-puissantes. Elles se partageaient les premiers rôles. Tante Alice était une figurante dont le scénario familial aurait aisément pu se passer.