Éden utopie possède la force tranquille de ces récits qui revisitent la mémoire familiale. Nulle colère, nul règlement de compte, nulle glorification dans ce texte autobiographique qui se déploie dans un mouvement de balancier entre deux familles de la fin de la guerre à nos jours.
A priori, ce bouquin est de l'ordre de l'insignifiance. le style est lisse, la narration exhaustive, l'histoire adoucie par le temps qui patine ; c'est en premier lieu un récit à hauteur d'homme pour celui qui tente à travers son enquête familiale de se débarrasser des fictions auxquelles il s'abandonnait facilement lorsqu'il était plus jeune.
Mais en déroulant le fil ténu de la vie de trois générations, le texte est l'occasion d'une méditation intéressante sur le milieu social et ses codes, ses références politiques et culturelles, ses idéaux et le poids de l'héritage.
Car on constate que si la trajectoire de la famille maternelle de l'auteur est assez stable, celle de la famille de la cousine germaine est plutôt chaotique, et fascinante d'un point de vue romanesque.
Fabrice Humbert ne cesse de saisir les deux branches de la famille dans leurs différences : les liens qui les rendaient solidaires, à travers notamment la communauté protestante qui les réunissait autour du rêve de paix, se sont progressivement distendus sous l'effet de mai-68. Avec les années 70'-80', vient la déformation pernicieuse des rêves en doctrine, et le romantisme politique cède la place au radicalisme révolutionnaire dans lequel les cousins vont s'embourber.
L'histoire est même assez rocambolesque puisque la famille de l'auteur avec ses accointances avec la gauche caviar se verra proposer une protection contre la menace d'Action Directe mouvement soutenu par une partie de l'autre branche familiale...
Loin des grandes fresques familiales, Éden utopie a de quoi séduire avec son ton intimiste pour témoigner de deux itinéraires stupéfiants : une famille aux origine modestes qui acquiert l'aisance de manière fulgurante alors que l'autre famille installée dans la bourgeoisie voit inversement ses enfants se perdre dans l'ultragauche révolutionnaire. le bouquin se montre séduisant également dans le portrait en creux d'une génération qui porte en elle l'échec dans l'édification de l'utopie héritée des parents.
Malgré tout cela, je suis bien démunie pour émettre un quelconque avis définitif sur cette lecture. Peut-être parce qu'il m'est difficile de porter un jugement de synthèse à propos d'un récit intuitif, un peu vain mais qui n'exclut pas diverses réflexions fort intéressantes, des remarques justes, des idées pour lesquelles on ne peut que hocher la tête...
Et ce bouquin illustre quelque chose de fascinant au niveau de la politique française : la faculté de la gauche à se laisser piéger par les forces centrifuges qui s'exercent en son sein et les rapports conflictuels et inconciliables que cela génère.
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