Si la raison de l'homme lui donne une grande supériorité sur les autres animaux, ses besoins sont multipliés en proportion; tout son temps, toutes ses capacités, son activité, son courage, et sa passion trouvent largement de quoi s'employer dans la lutte contre les malheurs de sa présente condition, et sont souvent, non, presque toujours trop minces pour la tâche qui leur est assignée. On n'a peut-être pas encore fabriqué une paire de chaussures ayant atteint le plus haut degré de perfectionnement auquel cet article peut prétendre. Il est pourtant nécessaire, ou du moins très utile, qu'il y ait dans l'humanité des politiciens et des moralistes, et même des géomètres, des poètes ou des philo-sophes. Les pouvoirs des hommes ne sont pas supérieurs à leurs besoins, si l'on considère seulement cette vie, que ceux des renards et des lièvres, compte tenu de leurs besoins et de leur espérance de vie. L'inférence par raisonnement analogique est donc évidente.
Le sommeil, qui n'a sur le corps qu'un effet très minime, s'accompagne d'une extinction temporaire, ou du moins d'une grande confusion, de l'âme. La faiblesse du corps et celle de l'esprit dans la prime enfance sont exactement proportionnées, leur vigueur dans l'âge adulte, leur désordre empathique dans la maladie, leur commune dégradation dans la vieillesse. L'étape suivante semble inévitable: leur dissolution commune dans la mort.
Très certainement, les animaux sentent, pen-sent, aiment, détestent, veulent, et raisonnent même, bien que d'une manière plus imparfaite que les hommes; leur âme aussi est-elle immatérielle et immortelle?
La
nature humaine selon David Hume
Causerie de
Gilles DELEUZE,
philosophe, sur
David HUME : sa
théorie de l'association des idées, son
analyse du principe de causalité ; ses ouvrages principaux, dont le "Traité de
la nature humaine", sa conception de
la nature humaine.