De sulfureuses vacances

Encore plongée dans une délicieuse béatitude, Edie Stevens conduisait à vive allure sur la voie rapide traversant Cape Cod. Cela faisait douze heures qu’elle roulait depuis Cleveland, regardant varier le paysage. Mais, maintenant que la fatigue se faisait sentir, elle était pressée de descendre de sa belle voiture.

Pour l’occasion, elle avait loué une Mustang décapotable, coiffé un foulard, chaussé ses lunettes de soleil et roulé en grand style toute la journée. Au début, elle s’était follement amusée à foncer sur la route 90 avec la musique à plein volume mais, à présent que le soleil descendait sur l’horizon, elle aspirait à lâcher le volant.

Elle obliqua dans une petite rue en hésitant. Etait-ce la bonne rue ? Elle chercha le panneau des yeux, mais fut très vite distraite par la vue qui s’offrait à elle : une longue étendue de sable et, par-delà, l’océan.

L’Atlantique. Qu’elle voyait pour la première fois.

Elle s’arrêta, coupa le contact, sortit de la voiture et s’approcha. Des gens se promenaient sur la surface humide dégagée par la marée basse. Des chiens galopaient au bord de l’eau, reniflant avidement à droite, à gauche, et un éclat de rire lui échappa lorsqu’elle vit un crabe prendre une pose aussi comique que défensive sous le nez d’un chiot. Son rire attira l’attention de l’animal qui, trempé comme une soupe, se précipita vers elle.

Aïe.

— Bon chien, hein, attends, bon chien… Assis ! bredouilla-t-elle.

Elle leva les deux mains pour lui faire signe d’arrêter, mais en vain.

Il se calma finalement, leva de grands yeux bruns vers elle tout en agitant la queue. Soulagée, elle se détendit et, le trouvant adorable, ne put que sourire quand il s’ébroua, projetant eau et sable partout alentour. Aspergée de boue, elle se protégea le visage des mains.

— Oh, ce n’est pas vrai ! Désolé ! s’exclama une voix masculine.

Elle baissa les mains et vit approcher un homme au torse imposant. Il avait un visage juvénile très agréable, barré par un beau sourire. La vingtaine, peut-être ? Parcourue d’un petit frisson, la future trentenaire lui rendit son sourire. Draguer un homme plus jeune qu’elle ? Voilà qui pourrait bien figurer sur sa liste de choses à faire pendant ses vacances.

— Il vous a toute salie, fit l’homme, la mine consternée.

— Ce n’est pas grave. Un coup de machine à laver et c’est propre ! répondit-elle avant d’ajouter, diplomate : Il est mignon comme tout, votre chien.

— Merci. Il se montre juste un peu trop amical parfois, surtout avec les femmes. Il n’a jamais pu résister à une jolie fille, répondit l’homme d’un ton badin.

Edie n’en revenait pas. Ses vacances s’annonçaient décidément bien ! Elle n’était pas à la plage depuis cinq minutes qu’elle flirtait déjà…

L’homme poussa un énorme soupir et jeta sa serviette sur un dossier de chaise.

— Eh bien, il semble que vous ne vous êtes pas trompée, aussi vous prierai-je d’accepter mes excuses, mais nous n’en avons pas moins un gros problème. Je suis Joël Roberts, le propriétaire de cette maison. J’avais pourtant exigé qu’ils ne louent pas la maison ce mois-ci, mais ils se sont manifestement mélangé les crayons. Désolé.

Edie prit note de son ton conciliant, mais l’instinct lui souffla qu’il n’était pas prêt pour autant à rectifier la situation.

— Eh bien, l’erreur ne venait en tout cas pas de moi. J’ai loué cette maison pour deux semaines — et j’ai réglé la location il y a des mois de cela, maintenant. J’arrive de Cleveland, c’est un trajet très long.

— Malheureusement, il faudra que vous trouviez autre chose, ailleurs. Je veillerai à ce que vous obteniez un remboursement intégral, dit-il d’un ton si naturel et autoritaire qu’Edie vit rouge.

— Je ne veux aucun remboursement, et je refuse tout autant d’être coincée dans un motel bondé près de la voie rapide, riposta-t-elle, bien décidée à camper sur ses positions. J’ai payé à l’avance — et en toute bonne foi — pour résider ici, et c’est ici que je veux passer mes vacances. Cela m’a déjà coûté assez cher en temps et en argent pour arriver ici, et je tiens à avoir les vacances pour lesquelles j’ai payé. J’ai tous les reçus sur moi, ajouta-t-elle, ravie d’avoir pensé à emporter un double du contrat et du reçu.

Son métier de comptable lui avait appris qu’il vaut toujours mieux avoir sur soi trop de documents que pas assez.

L’homme sembla un instant déconcerté par sa véhémence mais, au bout d’un instant, il secoua la tête.

— Je suis désolé. Vraiment désolé. Je comprends votre position, mais je suis ici encore quelques semaines, et c’est chez moi. J’ai pas mal de contacts à Cape Cod et je vais passer des coups de fil dès demain afin de vous trouver une autre résidence comparable à celle-ci, et peut-être même plus agréable, d’accord ? En attendant, vous pouvez passer la nuit ici.

— Vous voulez qu’on passe la nuit ici ? Ensemble ?

Il lui décocha un sourire qui n’atteignit pas ses yeux.

— Ne vous en faites pas. C’est juste pour une nuit, et vous ne courez aucun danger avec moi.

Quand bien même, il devait forcément y avoir un moyen de le convaincre. La maison était assez grande pour ça, non ? Ils pourraient trouver une solution, songea-t-elle en retrouvant son optimisme naturel.

Et si elle commençait par l’amadouer avec ses talents culinaires ? Puisqu’il était trop tôt pour aller au lit, et qu’elle mourait de faim, pourquoi ne pas descendre et tenter d’impressionner le fameux Joël avec des recettes de son cru ? Voilà un moyen bien plus sûr de le gagner à sa cause.

Elle repensa soudain au spectacle de son hôte à demi nu et encore ruisselant, si musclé, si beau… Autant se montrer sous son meilleur jour ! Elle se changea et choisit un débardeur noir particulièrement sexy, qu’elle avait acheté précisément pour ces vacances. Il dévoilait son décolleté avec plus d’audace que les autres mais, pour que Joël l’autorise à rester ici, autant user de toutes les armes en sa possession, non ?

Elle prit une grande inspiration, recoiffa ses cheveux et, croisant les doigts pour que son stratagème fonctionne, descendit le retrouver.

Quand ils s’étaient réveillés, emmêlés l’un à l’autre, il lui avait fait l’amour avec lenteur, la mettant sans dessus dessous alors que le plaisir saturait son âme. Et davantage même.

Qu’entendait-il par là ? Y avait-il un sous-entendu dans sa proposition ? se demanda Edie, légèrement inquiète. Peut-être s’était-elle montrée trop ouverte avec ce parfait inconnu. Il recula d’un pas et lui décocha un sourire rassurant, comme s’il avait perçu ses doutes.