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Critique de le_Bison


Heureux qui n'a pas vécu un Thanksgiving entre amis fidèles depuis au moins trente ans. Se goinfrer et s'empiffrer comme des porcs, boire et se saouler comme des cochons. le soleil se lève et les préparatifs démarrent déjà pour cette soirée illuminée de retrouvailles et discussions animés. Ce n'est pas encore la porcherie à laquelle je me prépare, jean délavé et chemises à carreaux, rêve d'être bûcheron, que l'on sort une fois dans l'année au sein de la civilisation.

Je ne te fais pas la présentation de tous les invités, de douze à table, voir treize si on compte le marmot qui tête le sein de sa mère, sein bavant d'un lait maternel sucré au sirop d'érable. Sean, Patrizia, des hommes, des femmes, des couples, des divorcés et au milieu de tout ce beau monde, il y a moi l'insignifiant et Dieu le maître d'orchestre.

Première séquence : la préparation du repas où comment bien fourré une grosse dinde. Non, je ne parle pas de Patrizia toujours aussi callipyge avec son âge et des hanches à prendre encore d'envie, de désir, de plaisir. L'animal, la bête, d'abord l'épiler, puis lui mettre un doigt dans le cul. Non carrément la main pour la fourrer. La mettre au four. Plusieurs heures, de nombreuses heures. Pendant ce temps-là se souvenir du passé, des rencontres, des autres. Autre point crucial d'un repas de fête, la préparation du punch. Avec une triple dose. J'ai envie que les gens soient bourrés, alors je ne lésine pas sur les bouteilles de rhum et de cognac. Il n'y a qu'avec un coup dans l'aile – en revenir toujours à la dinde – que les langues se délient et que les gens apparaissent comme ils sont sans inhibition ni appréhension. le secret d'une fête réussie : le pourcentage d'alcool dans un verre de punch, sachant que moi, je vais m'enfiler une bonne bouteille de single malt, importation directe.

Deuxième séquence : les arrivées et les petits fours. Une tenue affriolante, robe noire mini et bien ajustée aux courbes encore gracieuses même vieillissantes. Et toujours cette même envie de la culbuter direct sur la table de la cuisine ou dans la cave. Non (clin d'oeil amusé)… il a ramené sa nouvelle femme qui a l'âge... d'être sa fille. Voilà de quoi entretenir une certaine jalousie entre les femelles de la soirée et de voir les hommes jouer au coq à la plus belle crête. Cocorico, me voilà sortir de la cave, quelques bouteilles de vin à la main. Les premiers verres, les premiers sourires, premiers échanges sur le souvenir. Tu te souviens quand on avait vingt ans et qu'on l'a fait dans le vieux combi Volkswagen ? Et tu t'en souviens quand tu m'as sucé pour la première fois, dans ce motel entre désaffecté et délabré ? Que de souvenirs, nostalgie, mélancolie. L'âge avance, les souvenirs restent. Encore… Signe que nous sommes tous en vie, pour combien de temps.

Effectivement, quand allons-nous mourir ? Dieu est là, entre chaque séquence, entre chaque plat, entre chaque moment de détente. Mc God, le maître de cérémonie, le chef d'orchestre, celui qui dirige et qui donnera la mort à chacun d'entre eux. Dans un an, dans dix ans, dans quarante ans encore. Dans un lit d'une belle mort après la fellation d'une putain de Vegas, ou contre un arbre après une soirée arrosée et un virage mal anticipée, ou sur des rails écrasés par un train de marchandise, un nombre incalculable de wagons venus broyés la chair de ce cher suicidé…

Troisième séquence ou quatrième, j'ai trop bu pour retenir les chiffres : les au-revoir, les embrassades, les oeillades et les mains sur les cuisses. J'ouvre la porte… Câlisse, de la neige, des monticules de neige qui ont enseveli la vallée. Tabarnak ! où est mon char ? Un blizzard à te faire dresser les seins et avoir frette. Fuck le blizzard. Impossible de repartir. Je me pose de nouveau sur le fauteuil en cuir. Un cigare. Un whisky. Juste un doigt. Pas un whisky, d'abord ? J'adore cette réplique, mon majeur en frétille de sourire. Sortir des couvertures, des sacs de couchages, ouvrir le canapé, déplier des draps. Tout le monde dort ici, comme une fête d'étudiant, l'âge en plus, mais les rides et le sourire encore plus charmants. Il faudra donc attendre demain. le café noir, les cheveux en batailles, l'haleine fétide…

Quelles monstrueuses fêtes, ces Thanksgiving américains. Et moi dans tout ça, où je me trouve ? Juste à côté de la cheminée (« un feu vous donne autre chose à regarder que vos pensées »), un coin sombre, un verre qu'une nana vient me remplir de temps en temps (« La vraie question est peut-être la suivante : ton Prozac peut-il s'entendre avec mon scotch »). J'observe, je ne parle pas. de toute façon, je n'ai jamais rien à dire (« Les gens ne changent jamais d'avis au cours d'une conversation. Ils ne le font que dans le silence et la solitude »). Parler ? Mais pour dire quoi… je ne sais même pas. du bulletin météorologique ? du prix d'une pipe dans le bois ? de la vie qui est derrière soi ? Peur d'ennuyer les autres assurément avec une conversation sans intérêt, une vie transparente. Mais est-ce ça, donc, les mondanités d'usage entre amis, parler pour ne rien dire, à tout va à tout vent, pour combler le silence au-dessus de la trompette de Miles. Alors j'observe, en silence, je passe une bonne soirée, je découvre ces vies, ces tranches de vie, ces morts. Je suis bien au chaud, la neige dehors, la chaleur d'un feu et d'un whisky, et Bitches Brew qui distille ses notes.
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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