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Critique de Patsales


Il est toujours étonnant d'entendre ses voisins de travée étouffer une bonne grosse toux dès que la lumière s'éteint dans la salle. Au théâtre, au concert, dès que les conversations cessent, le corps prend sa revanche : alors même qu'on s'apprête à célébrer l'Art et l'Absolu, voilà le grattement de gorge qui s'immisce.
Et quand bien même nous pourrions oublier nos narines qui picotent ou nos genoux qui atteignent presque notre menton (les places n'étaient pas chères, on aurait dû se méfier), en écoutons-nous pour autant les interprètes en frac ou robes longues pour qui nous faisons silence ? Bien sûr que non. La musique ne sert que de bruits de fond à nos pensées, des plus triviales (« Les Quatre Saisons », ah oui, faut que je rappelle Pôle emploi) aux plus cruelles (Ça lui fait quel âge, maintenant, à la mezzo ?) en passant surtout par un stream of consciousness carabiné qui nous emporte des dernières vacances ( con allegrezza) aux prochains motifs d'engueulade (rinforzando).
Nancy Huston s'immisce dans la tête de 30 spectateurs (et une claveciniste) et de cette forme un peu futile, c'est tout ce qui reste des variations Goldberg. La musique comme passe-temps. « Et est-ce qu'ils se rendent compte qu'ils vieillissent en m'écoutant ? » se demande l'interprète. La musique pour ne pas s'avouer qu'on n'a rien à se dire. « Vite ! la radio. Un peu de reggae. Ça nous remet ensemble. On risquait de partir chacun dans sa parano privée. Maintenant on peut taper du pied ensemble, ça montre qu'on est sur la même longueur d'onde. ». La musique pour se la péter. « La musique, c'est la fuite chic […] Tu peux prendre un air pénétré, ajuster ton corps dans la position numéro 52 dite de Béatitude esthétique, puis te payer une heure de fantaisies gratis et bye-bye Bach. » La musique pour s'endormir. « le silence a été maté, et je suis comme pulvérisé par la musique. Si je parviens à prolonger cet état encore quelques minutes, le temps de me déshabiller, de mettre mon pyjama, d'accrocher mes vêtements dans l'armoire et de me laver les dents, je tomberai enfin dans un sommeil de plomb. » La musique pour civiliser notre sauvagerie. « Les filles qui pleurent, les garçons qui rêvent d'être Mick Jagger ; les milliers de spectateurs qui se piétinent pour arriver plus près de la scène, plus près des cinq corps fétiches, si bien que ces corps doivent être entourés et protégés par une douzaine d'autres corps d'hommes forts, sans quoi la foule arracherait aux musiciens leurs chemises, leurs pantalons, leurs instruments, leurs chaussettes et leurs cheveux : la volonté de destruction inhérente à ces soirées ne pourrait plus être contenue. » La musique parce qu'il est bon d'y être sensible. « Je pleure parce que c'est beau ! Mais qui t'a dit que c'était beau ? N'est-ce pas parce que tu connais les noms de Bach et d'Oïstrakh que tu penses que ça doit être beau ? » La musique parce que le classique est une histoire de classes. « C'est ainsi que la musique que nous sommes en train d'entendre fut appréciée : par les grandes dames des salons littéraires et leurs amis oisifs, sous des chandeliers et des plafonds peints en or, alors que la grande majorité des Français vivait dans la misère. »
Enfin, ça, c'était avant. Aujourd'hui, il manque une 31° variation qui les engloberait toutes : la musique vivante parce qu'avoir des voisins qui se raclent la gorge, soufflent bruyamment et sont trop grands d'au moins 15 cm, depuis un an, on en rêve tous.
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