Citations sur L'espèce fabulatrice (135)
Il est pour ainsi dire impossible, aux membres de notre espèce, d’admettre que nous n’avons aucun mérite à naître ceci ou cela.
Les primitifs sont convaincus que tout arrive pour une raison (la main de Dieu, la malveillance des voisins ou des esprits, etc).
Il y a énormément de primitifs en Occident moderne. « Il n’y a pas de hasard », disent-ils par exemple. « Je ne crois pas au hasard ». « La main invisible », « la ruse de l’Histoire », « le réel est rationnel » ... Pensées religieuses, magiques.
Dans les stades ultimes de la maladie d’Alzheimer, par exemple, nous continuons de parler, mais nous cessons d’interpréter. La personne est vivante, mais l’histoire de sa vie est terminée.
Comme le terrorisme n’est ni plus ni moins que le résultat de mauvaises fictions, ce que nos gouvernements devraient faire, au lieu de fabriquer toujours plus d’armements, c’est, dans les pays où il sévit, favoriser l’éducation, et promouvoir par tous les moyens possibles la traduction, la publication et la distribution des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Rien ne pourrait être plus important, ni plus utile.
La famille nucléaire est l’une des grandes spécificités d’homo sapiens. Au lieu de se battre constamment pour obtenir les faveurs des mêmes femelles, les mâles humains pouvaient revendiquer chacun les droits totaux sur une –et, du coup, partir travailler ensemble, l’esprit tranquille. Cette collaboration exceptionnelle entre les mâles de notre espèce a engendré… la civilisation.
En pénétrant dans notre cerveau, les fictions le forment et le transforment. Plutôt que nous ne les fabriquions, ce sont elles qui nous fabriquent – bricolant pour chacun de nous, au cours des premières années de sa vie, un soi.
On ne nait pas (un) soi, on le devient. Le soi est une construction, péniblement élaborée. Loin d’être toujours-déjà là, en attente de s’affirmer, c’est d’abord un cadre vide et ensuite une configuration mobile, en transformation permanente, que l’on fixe que par convention.
Sous toutes ses formes, l'amour est une histoire que l'on se raconte pour rendre la vie vivable.
Pour le meilleur et pour le pire, le propre de notre espèce est de faire, de tout, un tintouin.
C’est cela : les personnages des romans, à l’instar de ceux des récits religieux mais de façon bien plus complexe, nous fournissent des modèles et des anti-modèles de comportement. Ils nous donnent de la distance précieuse par rapport aux êtres qui nous entourent, et – plus important encore – par rapport à nous-mêmes. Ils nous aident à comprendre que nos vies sont des fictions – et que, du coup, nous avons le pouvoir d’y intervenir, d’en modifier le cours.
Raconter : tisser des liens entre passé et présent, entre présent et avenir. Faire exister le passé et l’avenir dans le présent.