Dès 1819, Lamennais, dans ses Mélanges religieux et philosophiques, jetait un cri d'alarme : "On ne lit plus, on n'a plus le temps. L'esprit est appelé à la fois de trop de côtés ; il faut lui parler vite où il passe. Mais il y a des choses qui ne peuvent être dites, ni comprises si vite, et ce sont les plus importants pour l'homme. Cette accélération de mouvement qui ne permet de rien enchaîner, de rien méditer, suffirait seule pour affaiblir et, à la longue, pour détruire entièrement la raison humaine". 1819 ! La phrase resta inaperçue. Elle s'éclaire maintenant d'un jour brutal...
... si l'homme regardait, savait regarder avec ses yeux, et non avec ses habitudes, avec ses préventions et ses croyances.
... Que dire de l'homme civilisé, trop intellectuel, dressé, depuis des générations, à tout percevoir par l'entremise des seules idées ! Nous sommes nourris, bourrés de dogmes sur l'art, de définitions devenues convictions, tellement assimilées que nous les prenons pour des instincts, alors qu'elles se substituent à eux, et, interposées, les empêchent de se faire jour. Les coquilles mortes de nos nourritures abstraites ont élevé autour de nous, sans que nous y prêtions attention, une muraille de détritus qui nous cerne et nous enferme et que nous finissons par prendre pour un horizon.
Fait divers terrorisant et sex-appeal sont devenus les deux ressorts de l'attention publique. Un seul mot couvre de sa clameur répétée le placard de publicité ou l'annonce de spectacles : Sensation ! Sensationnel ! L'anglicisme répond, en écho : Exciting ! C'est ce que Valéry appelait "la rhétorique du choc".
Et l'image, simplifiée, étalée, provocante, tonitruant de ses couleurs et de ses formes ramassées, devient l'instrument d'un racolage universel qu'attend l'avidité des regards et qui déclenche dans les centres nerveux les réflexes de convoitise, d'appétit.
Qu'aux époques analphabètes, la Société ait sollicité l'art de faire toucher aux yeux ce qui aurait dû être lu, que l'Eglise ait voulu faire de lui "la bible des pauvres", il n'y a eu là qu'une opportunité historique, un pis-aller.
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Et d'ailleurs l'instinct des artistes savait bien dépasser la mission qui leur était assignée.
Il est des villes flamandes, où au seuil du XVe siècle, les peintres étaient rangés dans la corporation des fabricants de glaces. A Bruges, la ghilde de Saint-Jean associait les miniaturistes aux calligraphes ; mais celle de Saint-Luc ne séparait pas les peintres des verriers-miroitiers. .... En Italie, Léonard explique "comment le miroir est le maître des peintres".
René Huyghe "Formes et forces"
André BOURIN interviewe
René HUYGHE, conservateur au
musée du Louvre sur son livre "Formes et forces". A l'aide d'exemples l'auteur démontre que l'
art imite
la nature et ainsi introduit-il une nouvelle notion : la connaturalité.