André Guyaux et Pierre Jourde proposent une édition très stimulante et très riche pour découvrir l’œuvre de Huysmans, connu surtout pour "À rebours".
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" Après l'aristocratie de la naissance, c'était maintenant l'aristocratie de l'argent; c'était le califat des comptoirs, le despotisme de la rue du Sentier, la tyrannie du commerce aux idées vénales et étroites, aux instincts vaniteux et fourbes.
Plus scélérate, plus vile que la noblesse dépouillée et que la clergé déchu, la bourgeoisie leur empruntait leur ostentation frivole, leur jactance caduque, qu'elle dégradait par son manque de savoir-vivre, leur volait leurs défauts qu'elle convertissait en d'hypocrites vices; et, autoritaire et sournoise, basse et couarde, elle mitraillait sans pitié son éternelle et nécessaire dupe, la populace, qu'elle avait elle-même démuselée et apostée pour sauter à la gorge des vieilles castes !
Maintenant c'était un fait acquis. Une fois sa besogne terminée, la plèbe avait été, par mesure d'hygiène, saignée à blanc; le bourgeois, rassuré, trônait jovial, de par la force de son argent et la contagion de sa sottise. Le résultat de son avènement avait été l'écrasement de toute intelligence, la négation de toute probité, la mort de tout art, et, en effet, les artistes avilis s'étaient agenouillés, et ils mangeaient, ardemment, de baisers les pieds fétides des hauts maquignons et des bas satrapes dont les aumônes les faisaient vivre !
C'était en peinture un déluge de niaiseries molles; en littérature, une intempérance de style plat et d'idées lâches, car il lui fallait de l'honnêteté au tripoteur d'affaires, de la vertu au flibustier qui pourchassait une dot pour son fils et refusait de payer celle de sa fille; de l'amour chaste au voltairien qui accusait le clergé de viols, et s'en allait renifler hypocritement , bêtement, sans dépravation réelle d'art, dans des chambres troubles, l'eau grasse des cuvettes et le poivre tièdes des jupes sales !
C'était le grand bagne de l'Amérique transporté sur notre continent; c'était enfin, l'immense, la profonde, l'incommensurable goujaterie du financier et du parvenu, rayonnant tel qu'un abject au soleil, sur la ville idolâtre qui éjaculait, à plat ventre, d'impurs cantiques devant le tabernacle impie des banques !
Eh ! croule donc, société ! meurs donc, vieux monde ! "
Joris-Karl Huysmans - À Rebours (1884)
Chapitre XVI, page 713 - Romans et Nouvelles - éditions la pléiade
Puisque, par le temps qui court, il n'existe plus de substance saine, puisque le vin, qu'on boit et que la liberté qu'on proclame sont frelatés et dérisoires, puisqu'il faut enfin une singulière dose de bonne volonté pour croire que les classes dirigeantes sont respectables, et que les classes domestiquées sont dignes d'être soulagées ou plaintes, il ne me semble, conclut des Esseintes, ni plus ridicule, ni plus fou, de demander à mon prochain une somme d'illusion à peine équivalente à celle qu'il dépense dans des butes imbéciles chaque jour, pour se figurer que la ville de Pantin est une Nice Artificielle, une Menton factice.
Joris-Karl Huysmans - À Rebours - Chapitre X, page 634 - Romans et Nouvelles éditions la pleiade
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« A Rebours », de Joris-Karl Huysmans, c'est à lire en poche chez Folio