C'est avec le souvenir ému de la lecture de «
le vieux jardin » que je me suis tournée vers un autre livre de cet auteur coréen
Sok-Yong Hwang. J'hésitais entre
Monsieur Han et
Au soleil couchant. J'ai finalement choisi ce dernier car son questionnement m'intéressait : Qu'est-ce qui permet de savoir si nous avons, ou pas, réussi notre vie ? Est-ce la réussite matérielle ? L'ascension sociale ? La fondation d'une famille ? L'amour ? de pouvoir assumer une passion malgré, éventuellement, des conditions de vie précaires ? D'avoir un travail en lien avec ses valeurs et ses racines ? Et que signifie d'ailleurs réussir sa vie ? Est-ce une fin en soi ? Réussir, aux yeux de qui ?
Park Minwoo est un homme qui a réussi sa vie, du moins apparemment : assez riche, employé dans une importante firme du bâtiment, marié et père d'une fille qui vit désormais aux États-Unis. Cette réussite est d'autant plus notoire qu'il vient d'une famille aux origines très modestes, ses parents ayant géré un petit commerce de pâte de poissons au sein d'un quartier pauvre, Dalgol, excroissance poussée à flanc de colline non loin de Séoul. Pour autant, peut-il dire qu'il est heureux ? Qu'est-ce qui permet de déterminer, de façon plus générale, si on a bel et bien réussi sa vie ?
C'est un message d'une petite amie de son enfance et de son adolescence, qui l'amène à replonger dans le passé, dans des souvenirs oubliés et à faire le point sur son parcours.
« La mémoire conserve parfois des versions fort différentes d'une même expérience, car avec le temps on oublie des choses ou bien on en garde des récits biaisés par l'état d'âme du moment ».
Les souvenirs ressurgissent alors que les lieux où se sont déroulées ces scènes de la vie passée ont été saccagés, rasés, démolis, reconstruits….par sa propre société étant, en effet, le chef d'orchestre de la reconstruction dans ces quartiers pauvres à coup d'évacuation des habitants qui ne savent souvent plus où aller. Il est, de façon symbolique, l'artisan de la destruction de son propre passé.
« Je vivais douloureusement l'inconfort que ressent, à l'égard du monde familier qu'il a quitté, celui qui est déjà passé dans un autre monde ».
C'est l'occasion pour lui, à l'automne de sa vie, de poser enfin des constats, plutôt amers, sur les choix opérés au cours de sa vie. Même si longtemps il s'est dit avoir eu de la chance d'avoir réussi à s'arracher à des conditions de vie misérable, sa vie n'est-elle pas pathétique ? Il a en effet coupé totalement avec ses racines et son milieu d'origine ; sa famille a éclaté, sa femme étant partie aux États-Unis rejoindre sa fille, il est désormais seul ; l'entreprise dans laquelle il travaille, et où les innombrables réunions, les repas arrosés, les rencontres sur les terrains de golf, les chèques cadeaux, les produits de luxe, sont aussi importants que la construction en tant que telle, est désormais engluée dans un scandale de corruption ; et son métier même consiste à faire table rase du passé alors qu'il devrait être au service de la population qui habite la ville. Des interventions de sa part ont rayé d'un trait ses propres souvenirs. Il est devenu une composante de ce système.
« Je revoyais les visages souriants des gamins dans les venelles étroites et enchevêtrées d'un quartier aux maisons couvertes de toits bas sur la pente d'une colline. Tous ceux qui ont été chassés de ces quartiers, où vivaient-ils à présent, qu'étaient-ils devenus ? Ces petites masures collées les unes aux autres comme des coquillages sur les rochers ont été remplacées par de gigantesques tours d'appartements défiant le ciel ».
Si j'ai trouvé intéressante cette façon de nous dévoiler des pans entiers de la société coréenne, tant urbaine que campagnarde, si la fin du livre m'a touchée car j'ai enfin compris le lien qui unit Park Minwoo et cette jeune fille Jeong Uhee dont on suit en parallèle la vie laborieuse entre petits boulots et réalisation de sa passion en tant que metteuse en scène au théâtre, j'ai trouvé que le livre manquait de rythme au point de m'ennuyer souvent, et de rester simple observatrice.
Seul le dernier tiers du livre a enfin réussi à faire éclore en moi une belle mélancolie, une nostalgie poignante, un sens à ce récit…à me parler enfin, intimement…quand on arrive à s'extirper d'un milieu très modeste, nombreuses sont les personnes à la psychologie complexe, pour ne pas dire compliquée, ballotées que nous sommes entre nos racines qu'il faut sauvegarder et ce nouveau monde conquis de haute lutte où nous nous sentons jamais vraiment à notre place…
« Je suis resté immobile, les yeux dans le vague, en plein milieu de la rue, ne sachant où aller ».