Le Cheikh souligne le fait que les êtres destinés à la Géhenne seront rassemblés avec les autres et soumis au Jugement, ce qui les obligera à reconnaître, eux aussi, la souveraineté d’Allâh. Du point de vue cyclique, il se produira alors un véritable « passage à la limite », qui marquera d’ailleurs la fin de l’état humain. Cette limite est « symétrique », en quelque sorte, de celle qui correspond à la Fitra primordiale, c’est-à-dire à l’état où se trouvaient les êtres à l’origine du cycle. Dans cet état ils reconnurent en effet, de manière explicite, la Seigneurie d’Allâh.
Celui-ci demanda aux Fils d’Adam : « Ne suis-je pas votre Seigneur ? » Ils répondirent : « Si ! Nous en témoignons ! »(1) C’est ce témoignage qu’Ibn Arabî rapproche de celui rendu au Jour du Jugement, les mettant en rapport, l’un et l’autre, avec les Noms divins « le Premier » et « le Dernier ».
Le déroulement du cycle humain apparaît ainsi comme une phase éphémère d’épreuve, d’illusion et de confusion existentielle du bien et du mal ; de même l’astreinte légale, avec les statuts d’obéissance et de désobéissance qu’elle implique, est envisagée ici comme une réalité accidentelle, qui ne contredit pas la servitude fondamentale inhérente à la nature intime des êtres, même lorsque ceux-ci n’en ont pas conscience.
Cette inconscience peut atteindre d’ailleurs ceux d’entre les hommes qui sont destinés au Paradis : c’est elle qui les confine au « Paradis des jouissances sensibles » et les empêche de parvenir au « Paradis de l’Essence » qui est l’aboutissement de la réalisation métaphysique proprement dite.
Quant aux « gens du Feu », leur reconnaissance finale de l’unique souveraineté divine entraîne pour eux une conséquence bénéfique dans l’allègement, puis la disparition de leur souffrance ; et cela parce qu’en réalité leur présence dans la Géhenne est conforme à la « qualité » et à l’exigence véritable de leur être. Le Cheikh utilise à ce propos le double sens de la racine dont est tiré le mot ‘adhâb, qui, notamment dans le Coran, est employé pour désigner le châtiment. Cette racine comporte en effet la signification inverse d’agrément et de douceur, elle-même applicable en l’occurrence.
(1) Cor., 7, 172. (Charles-André Gilis, pp. 53-54)
Kahina Bahloul est islamologue et depuis peu, imame. Souleymane Bachir Diagne enseigne la philosophie et s'intéresse de près aux intellectuels musulmans.
Pour elle, le poids de la tradition littéraliste et orthodoxe, l'inflation des lectures normatives, amputent l'islam de sa dimension mystique et bloquent l'accès des femmes au domaine religieux. Pour lui, les mêmes tendances freinent le développement d'une pensée islamique vivante et contextualisée.
Tous deux toutefois, soulignent la richesse intellectuelle de nombreux courants islamiques à travers les époques, du philosophe Averroès et du mystique Ibn Arabi, aux penseurs contemporains Mohamed Iqbal, en passant par les réformateurs du XIXème siècle comme Mohammed Abdu.
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer, l'invité était Kahina BAHLOUL / Souleymane Bachir DIAGNE (07h40 - 08h00 - 19 Avril 2021)
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