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Illich commence un peu là où les thèses de Günther Anders s'arrêtent : l'homme crée des outils qu'il ne comprend pas tout de suite, qui le dépassent, et qui modifient sa vision du monde et son comportement, l'entraînant à s'adapter, à se surpasser de manière désespérée pour concurrencer la machine. Là où Anders interroge prudemment – mais la réponse est évidente – la viabilité de ce futur dicté par les technologies, Illitch pose d'emblée ce détraquement et la nécessité de limites. Il se sert de la notion de seuil au-delà duquel une technologie devient néfaste.
Ilich part aussi de cet acquis – par exemple chez Franz Fanon – qu'il est inutile de s'opposer à la classe propriétaire des outils (telle qu'on le voit dans une compréhension simplifiée de la pensée de Marx), celle-ci sera remplacée par une autre élite qui fera le même usage des mêmes outils. Il faut s'opposer aux institutions qui soutiennent ce système et ont intérêt à la défense de ces techniques et technologies qui justifient leur spécialisation et donc leur supériorité de classe. L'école, l'administration, la santé, légitiment leur hiérarchisation, et donc le système d'inégalités qui va avec, par la maîtrise de certains outils techniques et technologiques. Rendre par exemple, la quête de diplôme moins valorisante, la culture perfectionnée et académique moins nécessaire, la possession de diplôme, de papiers, de permis… moins obligatoire, la prolongation de la vie en mauvaise santé et de la bonne santé dans un travail déséquilibrant moins obsédante, c'est retirer tout pouvoir à ces institutions. Or, pour ce faire, il faut retirer de l'importance à certains objets industriels qui légitiment la supériorité de ceux qui ont escaladé l'échelle de ces institutions : si l'on utilise moins les voitures, le permis perd donc de sa valeur, si l'on demande moins de services perfectionnés à l'hôpital, si l'on refuse le travail à l'usine pour des travaux conviviaux où l'outil ne détruit pas la santé ; si le boulot manuel que tout le monde peut exécuter et l'artisanat prennent plus de valeur marchande que la capacité à surveiller une machine, alors le diplôme perd de sa valeur et la société industrielle perd aussi ces forces qui la soutiennent.
Cette position très polémique de poser comme néfastes et même perverses les institutions officiellement reconnues comme les plus utiles et positives que sont l'école et la santé, est particulièrement difficile à expliquer car c'est bien là que se tient toute la complexité de la société de consommation. Les révolutionnaires se lèvent souvent contre les gouvernements et donc contre l'élite d'un temps, propriétaires des biens et des outils de production de richesse, s'insurgent devant les grandes entreprises leaders de la production industrielle, créateurs évidents d'une dépendance, d'une frustration, et d'inégalités terribles, responsables de la destruction de l'environnement, mais très rarement contre des institutions comme l'école et la santé, qui seraient pourtant celles à revoir en priorité pour redéfinir un monde convivial.
Illich dénonce tout simplement l'obligation scolaire, ainsi que la dépendance à la possession de diplômes pour occuper des fonctions importantes dans la société. Cette obligation rend donc obligatoire elle aussi une ségrégation entre diplômés et échoués du système scolaire, et donc la constitution de classes ou castes sociales.
de même, il dénonce le vice de la médecine qui s'approprie le droit de soigner – même les symptômes les plus évidents – de par ses diplômes, et surtout s'évertue à soigner des maladies et des blessures au lieu de s'attaquer à ce qui les provoque. L'institution sanitaire, et l'obligation de passer par elle, entretiennent ainsi un système déséquilibré et destructeur.
Ces positions supérieurs des cadres, justifient l'usage de certaines technologies : comment imaginer tous les professeurs, les médecins, les cadres supérieurs… sans leur voiture, sans leur ordinateur, sans internet, sans colloque à l'étranger… Illich critique ainsi l'illusion des transports rapides : la voiture permet de se déplacer plus loin en moins de temps, étendant donc la possibilité de travailler, de se procurer les biens de première nécessité, etc. ; or, le travailleur ne gagne donc pas de temps puisqu'il s'installe plus loin – provoquant au passage la fermeture des commerces de proximité, le groupement des écoles et des administrations… – il devient même dépendant à sa voiture et aux dépenses d'entretien qui y sont attachées, si la voiture casse, il devient défectueux pour le patron. Illich pose ainsi le seuil de perversion des outils de transport au vélo qui seul reste convivial car il ne nécessite pas d'énergie extérieure, ni de compétence particulière, dont la technologie peut être réparée et maîtrisée par les usagers…
Mais Illich n'est pas totalement opposé à toute production industrielle, mais au monopole que celle-ci peut acquérir, et donc à l'écrasement et à la destruction quelle provoque sur le reste du champ sociétal – production artisanale, anciens outils ne nécessitant pas d'énergie, etc. Ainsi, si Illich critique les transports en commun et le train, souvent vus comme des outils moins polluants et plus positifs socialement, car créateurs également d'une dépendance à l'énergie et à la technologie, d'une obsession du temps, il ne leur enlève pas tout intérêt mais leur enlève le rôle de solutions technologiques à la dérive d'une société technologique. C'est presque cinquante ans plus tard qu'apparaissent l'évidence de ces fausses solutions technologiques : le nucléaire comme fournisseur d'énergie propre, le TGV comme moyen de transport ultra rapide pour une élite… le bus comme réponse à la voiture individuelle est un leurre pour Illich, le transport collectif n'est qu'un des outils de l'ensemble du pack transport à haute vitesse qui rend possible et même nécessaire une société accélérée, polluante, énergivore, urbaine… En rendant populaires et accessibles même aux plus pauvres les transports rapides comme le métro, la société impose à ses pauvres cette utilisation, cette disponibilité dans l'espace – vous ne pouvez refuser un job à l'autre bout de la région.
Autre forme de faux progrès dénoncée par Illich, ce sont les normes attendues pour la construction d'un logement décent qui empêchent ainsi l'auto-construction peu coûteuse pour les classes pauvres et renforcent le pouvoir des architectes diplômés seuls à même de valider une construction. Illich montre ainsi comment les normes et les droits sont maintenant devenus les défenseurs de la société industrielle. Pourtant, c'est aussi par eux – la justice, la police – que peuvent se renverser l'équilibre de cette société. En faisant appel au vrai rôle de ces institutions protectrices, on peut renouer avec ce qui fait le coeur identitaire d'une société et donc influencer les lieux de décision. La redéfinition et réorientation de la justice et de la police, est nécessaire pour l'avènement d'une nouvelle société.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Les visions d'illitch sont originales et souvent enrichissantes. La notion de « seuil », généralisé à tout les domaines de la vie courante, est extrêmement pertinente et apporte un complément aux dires des autres « auteurs radicaux » de la modernité occidentale.

!!! ATTENTION DANGER !!! : en personnes responsables, on saura mettre prudemment de côté de nombreuses idées absolument intolérables (des opinions bien suspectes que je n'ai pas besoin de citer ici). Il semble que l'on se réfère à cet auteur bien trop légerement.
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Ivan illich explique dans ce livre l'aliénation que représente l'existence dans une société où l'on dépend d'un système de production reposant sur l'utilisation d'outils qui ne sont maîtrisés que par une minorité d'experts. Il introduit dès lors la nécessité selon lui d'instaurer un seuil, quand l'utilisation de l'outil est acceptable car facilement maîtrisable et accessible à tout le monde, seul horizon souhaitable concernant l'usage de la technologie.
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La pensée d'Ivan Illich est dérangeante car elles est largement datée par des raisonnements et le jargon des années 70 et 80 donc avant l'apparition d'internet qu'il a rendu largement obsolète.
Elle contient cependant une analyse visionnaire, qui reste plus actuelle que jamais basé sur l'existence d'échelles et de limites naturelles, de seuils à ne pas franchir au-delà desquelles l'outil, les structures, les organisations ne sont plus au service de l'homme mais deviennent des despotes. Une idée déjà présente dans la philosophie grecque antique, manifesté par l'hubris
Les exemples qu'il donne sur l'école publique, la médecine, la construction ou les transports résonnent avec les problématiques du développement durable, la bureaucratisation paralysante, l'Etat omnipotent et donc impotent et la nécessité de mettre la subsidiarité au coeur de la construction de l'avenir : « Small is beautiful », le gigantisme et le centralisme aliènent, la convivialité nous indique une voie de sortie à explorer.
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Ouvrage publié en 1973. Il est prophétique même s'il fait grincer des dents lorsqu'il parle des 'réussites' de Mao et évoque la 'révolution culturelle' comme une solution. Prophétique car, avant même la publication du rapport du club de Rome, il annonce l'impasse de la civilisation productiviste et consumériste, voyant bien qu'en cela, la société communiste soviétique et la société capitaliste courent dans la même impasse.
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Une réflexion sur ce que pourrait être une société conviviale c'est à dire libérée de la production industrielle et des impératifs de croissance.
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C'est bon
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On peut apprécier ou pas Illicht mais difficile de ne pas le voir comme visionnaire. Il y a de la prophétie à la Orwell dans ses prévisions énoncées voici un demi-siècle. Véritable bible verte, Illicht avait tout prévu de l'écologie actuelle. Rien que cela justifierait déjà la lecture. Mais Illicht est intéressant pas la radicalité de ses propos. Sans la moindre concession, il coule au pilori toutes les institutions de notre monde moderne, de l'école qu'il propose de supprimer, à l'industrie dominante en passant par la médecine qui fait plus souffrir qu'elle ne soigne. Radical, avons-nous dit !

D'emblée Illicht nous prévient que son opus ne donnera pas de solution concrète de remplacement de notre société, il faut l'inverser au profit d'une convivialité qui reste à construire. Comment n'est pas le propos ici.

Tous le livre sert donc de réquisitoire de notre société moderne, aveugle, intoxiquée au produit industriel et dominée par cette seule logique. Si les institutions faillissent sans être inquiétées c'est qu'elles dépassent des seuils qui l'éloignent de sa fonction initiale. D'abord, dès qu'elle commence à se mesurer à grand coup de statistiques, elle dérive vers ses propres objectifs et sert à elle-même. le deuxième seuil est dépassé lorsqu'elle produit peu à peu plus de mal qu'elle n'apaise de bien. Ensuite, bien installée, elle façonne nos vies en entravant notre autonomie et notre créativité, en un mot notre liberté.

La convivialité se présente comme seule réponse possible à ces dérives, seule planche de salut pour respecter l'être humain, créatif, unique, personnel et libre, une priorité qui ne se négocie jamais.






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Livre lu lors d'un arpentage donc pour le moment lu personnellement seulement une partie avant de mettre en commun par la suite.
Très impressionné par le côté visionnaire de l'ouvrage et donc de son actualité.
Les problèmes du dépassement et de l'asservissement de l'homme par ses propres outils, du rapport au temps, à l'absence de créativité, a la puissance de la norme et de la perte d'autonomie et de savoir de tout à chacun...

Vraiment beaucoup aimé donc cette ouvrage. On lui reprochera son manque de nuance dans l'analyse de la médecine notamment qui évoque un conspirationnisme curieux et délétère pour le traitement de l'ouvrage. de plus bien sûr son rapport à la chine de Mao est très problématique.
On regretté également le manque de clarté sur sa notion de convivialité dans les faits...
Je propose de lire Ecotopia notamment (car lu récemment) qui donne quelques idées d'une société qui semble conviviale au moins par quelques aspects sous les traits d'un pseudo/roman.
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