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3,66

sur 588 notes
J'avais été très impressionnée par la noirceur atypique de Derrière les panneaux il y a des hommes. Je le suis encore par La Soustraction des possibles tant ce roman a du souffle et de l'ampleur pour raconter notre époque, bien au-delà du simple roman noir, mais toujours avec la même radicalité explosive et une plume au vitriol qui plaira ou pas.

De l'ampleur, assurément avec cette fresque ambitieuse qui se déploie telle une tragédie grecque dans l'univers des golden boys de la finance suisse à la fin des années 1980.

Dès le prologue, bref et fort, l'auteur se place en coryphée pour dire tout ce que seront les actes à suivre, tout ce qu'ils ne seront pas. Les mots clefs tiltent dans la tête du lecteur : fortune – crime – trahison – châtiment – désir – truands – vanité et ambition. Tout est annoncé. Assurément. Mais ce sera avant tout une histoire d'amour. Tragique, forcément tragique. En trois actes.

Dès les premières pages, on est saisi par l'âpreté terrible qui suinte derrière chaque mot pour présenter les personnages principaux : Aldo, le prof de tennis gigolo obsédé par l'argent qui n'a pas et convoite ; Svetlana, la jeune banquière qui comme lui à la rage de réussir chevillé au corps ; Odile, quinquagénaire désespérée, épouse richissime d'un banquier genevois. Leurs portraits, ainsi que ceux de tous les autres personnages qui vont graviter autour ( banquiers, mafieux, proxénètes, avocats ) sont incroyables, bien au-delà des caricatures habituelles et transforme le premier acte en véritable comédie humaine à la Balzac, trempée à l'encre noire.

Le deuxième acte bascule dans le thriller avec la combine géniale que croit monter Aldo et Svetlana au diapason de la passion amoureuse qui les emporte. le rythme s'accélère, le suspense happe. On est comme au cinéma, version ultra nerveuse. L'écriture est de plus en plus acéré. Joueuse aussi car Joseph Incardona continue à se la jouer coryphée avec ses apartés au lecteur / spectateur qui prennent des allures de sentences prophétiques, souvent drôles, toujours impitoyables.

Tout se fracasse dans le troisième acte comme on le pressentait dès le départ. C'est là que le talent de constructeur de l'auteur se mesure le plus. Tous les engrenages mis en place lors des actes précédent s'enchâssent implacablement. le roman devient une machine infernale à broyer ceux qui ont succombé à l'hybris, ces dominés qui ont naïvement cru qu'ils pouvaient duper les dominants, ses professionnels de la magouille financière, pour s'arroger le pactole.

Cette façon de dépecer à l'os l'homme et la société capitaliste qu'il a créé, est absolument brillante et hisse Joseph Incardona en moraliste affuté doublé d'un styliste hors pair.
J'ai vibré. Peut-être aurais-je aimé vibré plus, dans le sens de m'enflammer pour des personnages.
Finalement, ce n'est ni Aldo, ni Svetlana, malgré leur histoire d'amour à la Bonnie & Clyde, qui ont fait battre mon coeur ... inattendu, mais ce fut Odile, l'épouse fortunée et désoeuvrée qui redécouvre l'amour en la personne d'Aldo, lucide Odile qui sait que ce n'est pas réciproque et juste une histoire de fric, mais qui s'accroche comme une midinette :

« Elle pressent jouer ses dernières cartes. Elle a connu cette même intensité, il y a une trentaine d'années, cet accélérateur de particules qu'est la passion. René ( son mari ) n'était pas l'homme en question, mais un amour de vacances aux doigts fins et aux caresses subtiles ; René est venu après, son plus grand mensonge. L'arrogance de la jeunesse, sa beauté, lui laissaient croire qu'elle aurait l'essentiel : richesse, maternité, réussite sociale. Elle a simplement oublié l'amitié et l'amour, la connivence, l'éclat de complicité jubilatoire dans l'oeil de l'autre, l'odeur de sa peau. Ces phéromones leviers de l'univers. Il y a l'épiderme auquel on s'efforce de s'habituer avec le temps, et puis l'autre, celui qu'on lèche comme une évidence dès la première fois, dont on s'enivre et qui nous brûle.
Odile a choisi, oubliant la peau. La langue sur la peau. le goût de celui qu'on avale. Celui qu'on choisit dans son ventre.
Sauf que l'amour est revenu. Il a traversé les âges comme l'os lancé par le singe dans le film de Kubrick. Elle avait anticipé un adultère maitrisé, s'offrir le professeur de tennis comme un nouveau tailleur, mais pas cette déferlante d'hormones ayant pénétré par effraction, s'insinuant et rampant, bouleversant les équilibres, renversant les barrières sociales et psychologiques."

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2020, catégorie roman.

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Genève, ton univers impitoyable !
Règlements de comptes… en banque.
Retour avec Joseph Incardona dans le monde des Golden boys de la fin des années 80. Fleurissent et volent les billets verts, comme au temps des romans de Paul-Loup Sulitzer. Calvin est enterré depuis bien longtemps. Les scrupules et les consciences aussi.
Coluche disait qu'en Suisse, on ne pouvait attraper que des médicaments, pas de maladies. Il se trompait. La fièvre de l'argent y circulait aussi vite que les valises pleines de billets qui fuyaient le fisc. le paradis fiscal brisa les ailes d'anges drogués à l'argent sale.
Pendant qu'Aldo, professeur de tennis et gigolo encanaillent des quinquas délaissées, la brillante Svetlana, jeune banquière issue d'une famille modeste de l'Europe de l'Est et mère célibataire, gravit à grand pas d'escarpins les échelons de la réussite.
A force de fréquenter les requins de la finance, les oursins qui colonisent les poches des costumes sur mesure, les piranhas en col blanc qui se dévorent, les sirènes qui se transforment en mérous sous l'effet de la chirurgie esthétique et les maquereaux assis sur les bancs, Aldo et Svetlana décident de plonger en apnée dans cet aquarium. Ces gros poissons ne fréquentent pas les eaux du lac Léman mais plutôt les piscines des Palaces. Les deux ambitieux vont découvrir le prix à payer pour barboter dans les hautes sphères. Très vite, ils n'auront plus pied.
Aldo va jouer les mules pour transporter des valises de la mafia corse de la France jusqu'aux banques suisses sans passer par la case Prison de cette partie de Monopoly. de son côté, Svetlana va devoir se rendre complice d'opérations financières illégales et léguer son corps aux puissants pour avoir sa part du gâteau (un Financier forcément…).
Ces deux destins se croisent et se lancent dans une OPA amoureuse. La tragédie helvète est en place.
J'aurai pu détester ce roman car le biotope des transactions boursières et des milieux affairistes des eighties ne me passionne guère. Je l'ai au contraire adoré.
Le rapport du sexe à l'argent a rarement été aussi bien mis en scène. Dans les hautes sphères, les mariages sont décrits comme des investissements, les divorces comme des krachs boursiers et les mélanges des corps comme des paiements avec contact. de même, l'auteur tend à montrer que l'argent n'est plus un moyen mais une finalité, une religion matérialiste.
Ce roman est construit comme l'algorithme d'un trader qui suivrait le cours des actions de chaque personnage en fonction sa rentabilité et de son paraître. L'honnêteté n'est pas vraiment un indice de croissance, la morale est un signe de faillite. le propos est froid, amoral mais l'histoire d'amour d'Aldo et de Svetlana humanise l'histoire et les incursions narratives de l'auteur en voix off impitoyable dopent les transitions.
Joseph Incardona décode aussi très bien le génome de l'ambition, cette volonté de s'élever dans la société pour rejoindre des castes hors-sols et hors d'atteinte.
Autre force du roman, même les personnages les moins recommandables ne sont pas présentés de façon manichéenne et ils ne sont pas exemptés de tourments. La maladie, la vieillesse, le deuil, les déceptions amoureuses et les amitiés artificielles font fi du statut social et fédèrent la tristesse de l'espèce.
Dès les premières pages, on sent qu'il ne peut y avoir de happy end pour les personnages mais rien n'empêchera tout ce petit monde qui baigne dans le grand monde d'aller au bout de ses obsessions.
Une lecture qui m'a fait penser au Wall Street d'Oliver Stone et au Bucher des Vanités de Tom Wolfe.




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Brillant et efficace!

Ça commence cool : un prof de tennis gigolo séduit une femme dont la cinquantaine nantie pèse sur les épaules. Son but : se faire du fric, c'est tout, lui qui est un ex-futur champion. Un raté en quelque sorte.

Mais voilà, si dans un premier temps , son objectif semble atteint, il a mis le doigt dans un engrenage mortifère qui immerge le lecteur dans le milieu de la corruption et le blanchiment d'argent sale. Et dans ce milieu, quiconque, et surtout les pions exécuteurs des basses oeuvres, risque fort d'y laisser quelques plumes, voire tout son quota de duvet.


C'est avec une intensité croissante que la narration progresse, prenant vite le ton et la manière du thriller. Mais pas seulement. L'auteur s'immisce dans les pages, en tant que créateur, qui tient les ficelles qu'il manipule sans parfois garder le contrôle sur le destin de ses personnages. Comme si les événements et leur logique lui échappait.

Certes c'est un polar qui se déroule dans le milieu du grand banditisme, mais la présence précieuse de l'auteur qui intervient en voix off est précieuse pour remettre les choses dans contexte et en tirer des leçons de philosophie et pointant pour nous les failles du monde où nous vivons.


Un excellent moment de lecture.
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Ex presque-champion de tennis, désormais coach dans un club fréquenté par la société genevoise la plus huppée, Aldo arrondit ses fins de mois en jouant les gigolos. Sa rencontre avec Svetlana, jeune financière aux dents de louve, est un coup de foudre amoureux, mais aussi la confluence de deux insatiables appétits de richesses qui va les conduire bien au-là de leurs prévisions…


L'histoire est efficace et musclée, le mécanisme implacable et la chute impitoyable. Mais, au-delà du suspense et de l'action qu'elle contient, c'est la construction de son épais contexte qui lui donne tout son relief : dans les années quatre-vingts, le capitalisme triomphe avec la chute du bloc soviétique, la finance internationale s'emballe pour le plus grand bénéfice des Golden Boys mais aussi des paradis fiscaux, le blanchiment d'argent prend des dimensions inédites… Décortiquée avec un cynisme d'un noir absolu, se dessine dans ces pages une société qui a troqué toutes ses valeurs contre l'unique obsession de l'argent, sacrifiant morale et sens commun dans la quête infinie d'un Graal qui la rend folle.


Le style narratif est original : n'hésitant pas à se mettre lui-même en scène, apostrophant ses personnages pour leur rappeler que le « grand architecte » de cette histoire, c'est lui, ou commentant leurs choix comme s'ils menaient l'intrigue à sa place, l'auteur scrute, souligne, critique, et enrichit sa narration d'une foule d'observations et de digressions qui finissent par conférer à ce thriller une dimension sociologique.


Impressionnée par l'habileté de ce roman qui prend le temps de nous convaincre de la noirceur de ce monde mais réussit encore à nous surprendre par l'absolu machiavélisme de sa chute, j'ai eu toutefois du mal, assez inexplicablement, à m'absorber dans sa lecture : peut-être trop touffue et déprimante pour mon état d'esprit du moment…

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La soustraction des possibles ne pouvait se dérouler ailleurs qu'à Genève, vitrine de la finance internationale et des grosses fortunes. Au coeur de ce roman gorgé de noirceur : le pognon, l'oseille, les flux d'argent opaques qui attirent au bord du lac Léman de futurs oligarques russes à la veille de l'effondrement du bloc de l'Est, des bandits corses soucieux du blanchiment de leurs capitaux, des hommes d'affaires et des banquiers qui accueillent à bras ouverts la perspective de la mondialisation.

Avec une plume tranchante qui ôte toute part d'empathie au récit, Joseph Incardona met en scène une réalité invisible où se dissimulent des puissances féroces. En araignée inspirée, il tisse une histoire qui piège ceux qui tentent d'interférer dans ce monde sans concession où la violence tient lieu de monnaie d'échange.
Pas de longues descriptions, des personnages pathétiques, des scènes glaçantes, une écriture qui ne s'attarde guère sur les détails, l'auteur a composé une matière romanesque qui entretient avec le thriller une proximité évidente. On peut se retrouver étourdi par ce monde de la finance totalement clos qui obéit à une mécanique qui lui est propre et par la vulnérabilité des personnes qui l'utilisent qui en sont autant de talons d'Achille.
Ce livre est même assez effrayant, mais retient la plupart du temps le lecteur ou la lectrice. Peut-être parce que Joseph Incardona n'hésite pas à délaisser sa table d'écrivain pour le siège de scénariste. Il a su trouver un rythme séduisant pour déployer son histoire riche en rebondissements.
Sans réelle finesse de narration, criard à certains endroits, notamment lorsque les ambitions s'entrechoquent, il n'en reste pas moins un livre qui se lit facilement.

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Joseph Incardona est renommé pour ses romans et ses scénarios policiers. Avec La soustraction des possibles, il avait l'envie d'en renouveler le genre. Dans un court prologue, usant d'une mise en page travaillée, il prétend d'ailleurs nous mettre en garde : ce roman ne serait pas une histoire d'argent, pas une histoire de truands ni une histoire de désir ou d'ambition. Ce serait juste une histoire d'amour… Moi, je veux bien !

Pas une histoire d'argent ? N'empêche qu'il nous plonge, à Genève – sa ville –, dans le maelström discret de la finance d'il y a trente ans. Internet n'existe pas encore, les échanges financiers sont peu numérisés et les valises circulent, lourdes de liasses. Au coeur de ces échanges, UBS, la banque suisse emblématique, tant par sa puissance que par les scandales qui émaillent son histoire. Des golden boys, entourés de jeunes femmes canons, fraient avec la grande et élégante bourgeoisie locale, très fortunée, lors de soirées somptueuses dans les villas de rêve des rives du lac Léman.

Pas une histoire de truands ? N'empêche qu'il n'y a qu'un pas de l'évasion fiscale au blanchiment d'argent sale. L'auteur n'hésite pas à nous faire voyager. Il nous emmène dans l'Ile de Beauté prendre un verre chez de placides bergers corses, puis, dans une parodie de scénario en CinémaScope, nous fait survoler les enfers et les paradis liés aux cartels mexicains de la drogue.

Pas une histoire de désir ? N'empêche qu'une femme du nom d'Odile et qu'un homme prénommé Christophe, chacun de leur côté, auront leurs sens portés à une telle incandescence qu'ils pourraient faire n'importe quoi… et même en crever ! Et que de sublimes escort girls originaires d'Europe orientale feront des ravages bien au-delà de ce qu'on aura pu imaginer.

Restent l'ambition et l'amour, qui en l'occurrence, pourraient aller de pair. Une sorte de coup de foudre entre un prof de tennis beau gosse au profil de gigolo et une jeune fondée de pouvoir de banque aussi rouée que bien roulée, va révéler un partage de frustration et d'ambition débridées. Aldo et Svetlana ne vont plus se satisfaire des ruissellements de richesse qui leur sont dévolus selon la norme, ils vont se croire aptes à jouer dans la cour des grands et convoiter les morceaux de choix que se réservent les vrais puissants. Aïe !...

Un roman plus que noir : une histoire tragique. Comme dans une tragédie antique, Joseph Incardona, auteur et narrateur, se donne aussi un rôle de commentateur. Il philosophe, nous prend à témoin, nous, ses lectrices et lecteurs ; il nous ménage ses effets et se permet même de nous les dévoiler. Il déambule, invisible, autour des personnages auprès desquels, tel le diable de certains romans, il joue les bonnes ou mauvaises consciences. Il fait mine de subir les caprices des personnages, et bien qu'étant le concepteur de l'histoire, son grand architecte en quelque sorte, il les subit réellement. Parce que La soustraction des possibles est une tragédie et que dans une tragédie, ce sont les dieux qui décident du destin des personnages, l'auteur n'étant que leur porte-parole. Dans un scénario de ce genre, les possibles se soustraient en toute logique, la fin est écrite d'avance.

Des digressions, d'apparence incongrue, ralentissent intelligemment le développement des intrigues et font monter notre tension de lecteur, avant que nous n'admettions que les réponses que nous attendons nous seront données quand l'auteur le décidera. Quelques invraisemblances, ici et là, mais comme le dit l'auteur : on s'en fout éperdument quand on est pris par une histoire.

Les péripéties s'enchaînent, captivantes, et les destinées tragiques s'accomplissent. Au passage, l'auteur dresse un tableau critique savoureux du mode de vie de la grande bourgeoise financière et de ses affidés, écartelés entre frustration refoulée et espoir de prime exceptionnelle. La soustraction des possibles nous ramène aussi à la littérature policière d'avant, quand les téléphones portables n'existaient pas. Les personnages d'Incardona s'appellent depuis des cabines téléphoniques, comme dans les Incorruptibles d'Elliot Ness, il y a presque un siècle. Ainsi va le temps qui passe et qui se rappelle à nous avec bonheur.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Dans le milieu affairiste suisse des banquiers ou des Golden Boys à la fin des eighties, les sentiments n'ont pas souvent lieu. Tout au plus quelques attirances irrésistibles, mais surtout des arrangements alambiqués avec les corps, les consciences, la sincérité et les convenances.
Aldo est professeur de tennis d'une quinqua vénale, s'il n'a pas lu Madame Bovary il connaît d'instinct les pouvoirs de son corps de sportif sur la frustration d'une vie bourgeoise éteinte auprès d'un industriel engraissé, qui ambitionne surtout de matelasser un siècle ou deux de fortune supplémentaire. Voitures de luxe, club de golf, jacuzzi, cognac et cigares, soirées mondaines et hypocrisie généralisée, seul Aldo et ses origines prolétaires pourrait être choqué. Ça serait sans compter sur son envie d'accéder à l'étage supposé supérieur, qui lui a soufflé la solution gigolo pour l'acculturation. Recommandé, il se retrouve intermédiaire dans le réseau fiduciaire du blanchiment helvète. Mais il n'est pas seul dans l'histoire Aldo, on s'en doute. Il y a aussi Svetlana. Son double ? Enfin de l'amour dans cette mélasse de cupidité financière, comme le préambule l'annonçait librement.
Une liberté de ton dont l'auteur ne se prive pas au long de son roman noir, très noir, au phrasé âpre, au déroulé cynique, sec et haletant, à la vision sans concession envers l'espèce homo financius. Un auteur capable ainsi de divulguer son sentiment sur ses personnages, celle-là je l'aime bien tiens, capable aussi d'une pause pédagogique pour le lecteur, quand l'échafaudage financier se complexifie. Pour une bien belle réussite finale.
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Je n'aurais jamais lu ce roman sans ma médiathèque préférée et le prix Cezam 2021 auquel celle-ci participe, et moi aussi en tant que lecteur.
La soustraction des possibles, c'est la quintessence de ce que produisait de plus horrible la fin des années quatre-vingt. 1989 précisément ici. Cela dit, rien n'a changé, c'est même pire, mais c'est peut-être là que tout a commencé avec outrance et sans complexe...
Le monde de la finance me barbe, je le hais, cependant il est là dans notre paysage, on n'y peut rien. Il m'arrive même parfois de l'effleurer dans ma vie professionnelle, mais vraiment c'est ce qui s'appelle un effleurement du genre : on ne s'est pas touché, hein ?! Bref ! Je ne suis pas un Bisounours, je sais que tout cela existe, ce qu'on voit ou connaît de la finance est une infime partie déjà pas très blanche d'un iceberg à la dérive et qui recèle dans ses fonds un morceau immense, abyssal, pas prêt de fondre. Bon, quand je parle de blancheur, vous pensez tout de suite à blanchiment et vous n'avez pas tort car c'est bien le sujet ici.
Le monde de la finance me barbe, que ce soit la finance propre ou sale (mais oui il y a de la finance propre, je vous en parlerai un jour) et les romans qui en parlent me barbent tout autant.
Alors ici pourquoi ce roman m'a plu, m'a captivé, car ici il est question de la finance non pas sale, mais très sale, tout ce qui a de plus abject... ? Tout simplement, parce qu'il y a de l'amour, une étonnante histoire d'amour qui m'a saisi, emporté, captivé... Je n'ai pas lâché le récit car je ne voulais plus quitter, lâcher les deux protagonistes... Je voulais savoir jusqu'où ils iraient en plongeant dans cet univers peuplé de requins...
Et puis il y a aussi une écriture, celle d'un écrivain que je découvre avec émerveillement, Joseph Incardona, une écriture enlevée, riche, érudite, qui m'a ouvert des chemins vers d'autres lectures inattendues d'ailleurs. J'ai senti ici un souffle, une dimension forte, une ampleur qui emporte le lecteur jusqu'au bout sans jamais qu'il ne lâche les pages... En tous cas, ce fut mon expérience.
Dans ce récit, il y a très peu de gentils. On va dire qu'il y a des très méchants, des méchants, des moins méchants, des qui ne sont parfois pas méchants mais presque et puis il y a les autres. Tout cela n'est pas forcément mon univers de prédilection, sauf lorsque je lis un polar. Ici il s'agit plutôt d'un thriller psychologique... Cela dit, ça tire dans les coins et il y a de l'hémoglobine sur le sol...
Bon, je vous parle des amants ? Je sais qu'il n'y a que cela qui vous intéresse. D'ailleurs, il n'y a que cela que j'ai compris dans le récit parfois complexe sur le plan finance, trafic, blanchiment d'argent, tralala... Surtout tralala ! du reste, j'ai apprécié que l'auteur, à un moment du récit, précise que ce n'est pas grave de ne pas tout comprendre de ce qui se passe dans l'intrigue, car lui non plus ne comprend pas tout ce qui se passe dans un récit qu'il écrit lui-même... Va comprendre Charles ! Ah ! C'est rassurant.
Alors, les amants les voici. Lui s'appelle Aldo, joueur de tennis beau comme un Dieu (je n'en ai encore jamais vu, mais ça doit être beau, non ? En tout cas Aldo est beau). D'ailleurs il le sait, il se sert de son physique pour côtoyer le monde justement de la finance et du blanchiment d'argent, il est amant d'une certaine Odile, dont le mari confie à Aldo en mal d'argent des missions pour transporter de l'argent entre Lyon et Genève.
Tout se passe bien jusqu'au jour où il découvre le véritable amour. L'amour ! L'amour ! L'amour ! Il le découvre auprès de Svetlana, une belle et jeune banquière arriviste et amoureuse. Elle aussi aime l'argent, mais je vous assure qu'ils s'aiment.
Cependant, tant qu'à s'aimer, imaginer l'eldorado où poser cet amour, et voir tout cet argent qui passe ici et là, je ne sais pas vous, mais eux ont une idée très claire tout d'un coup...
J'ai aimé la manière dont les personnages sont dessinés, fouillés, des personnages au début totalement lisses et puis les projecteurs, la lumière vers eux montrent quelques aspérités qui invitent au voyage.
J'ai adoré cette écriture cinématographique, qui claque, qui rebondit, j'ai adoré cette manière dont l'écrivain nous amène à nous interpeler, à s'adresser à nous lecteurs. C'est fait avec habileté.
J'ai adoré ce clan corse, solidaire, où la matrone, Mimi Leone, est aussi vive dans l'érudition que dans l'exécution de ceux qui la dérange.
C'est un récit où tous les coups sont permis, jusqu'au bout. Soyez prévenus...
Et puis, oui il y a cette histoire d'amour, elle est belle, elle tente d'enlever ces amants d'une réalité sordide pour espérer les élever plus haut qu'eux. C'est beau car brusquement, dans cet amour fulgurant, il y a quelque chose qui relève d'une tragédie antique... On y croit et en même temps on craint pour eux... On a sans doute raison...
J'ai trouvé cette lecture tout simplement addictive.
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Bienvenue dans les années 80 ! tout commence en douceur avec la rencontre d'Aldo et Odile, sur un court de tennis. Aldo, dont la carrière de futur champion de tennis est partie en fumée, s'est transformé en gigolo qui profite de son statut de « prof » pour draguer tout ce qui bouge, et peut lui rapporter quelque chose.

Odile, la cinquantaine triste et solitaire, qui s'ennuie dans sa grande maison, et l'aisance sans limites dans laquelle elle vit, va lui tenter de combler ses besoins d'argent, le couvrir de cadeaux, de bons restaurants, bref l'entretenir. Mais, elle pense amour, alors qu'il veut aller jouer dans la cour des grands, des riches de la société genevoise.

Elle propose à son époux de confier à Aldo le transport des valises de fric entre la France et la Suisse, argent sale bien sûr, mais l'argent n'a pas d'odeur c'est connu.

Svetlana, jeune fondée de pouvoir dans une banque qui participe à l'évasion fiscale, qui a quitté sa Tchécoslovaquie natale pour réussir à l'Ouest (l'URSS existe encore, même si le bateau tangue sérieusement) a, elle-aussi, les dents longues, alors entre Aldo et elle, naît une histoire d'amour improbable, et le désir de « monter un coup » pour faire partie eux-aussi de la cour des grands.

Ce roman, qui démarre en douceur, sous fond d'histoire d'amour, va progressivement évoluer vers le mode thriller, car tous les coups sont permis, dans ce milieu dominé par l'argent, le pouvoir que celui-ci procure, et où l'honnêteté a depuis longtemps disparu. On rencontre des mafieux de tous ordres qui n'en ont jamais assez, les magouilles en tous genres, les soirées où l'on met à disposition des prostituées venant de l'Est, des petits malfrats qui pèsent peu à côté des gros bonnets.

Les banques et leurs méthodes peu orthodoxes en prennent pour leur grade, notamment UBS. « Je n'ai qu'un ennemi, le monde de la finance » clamait, non sans conviction, un candidat devenu Président…

Joseph Incardona a un style bien particulier, prenant le lecteur à témoin, citant Balzac (côté ambition, notre ami Eugène de Rastignac est battu !)au passage, n'hésitant pas à donner quelques éléments sur l'avenir de ses personnages.Il nous propose ici un portrait au vitriol et sans concession sur le monde le la finance (qui n'est pas allé en s'arrangeant depuis les années 80 !)

J'ai beaucoup aimé ce roman, au rythme de plus en plus endiablé, à un point tel qu'il en devient addictif, et toutes les réflexions qu'il porte, mine de rien, sur la société des années 80, les gens qui ont planqué leur argent en Suisse, à cause de l'élection de Mitterrand, la politique en général, le capitalisme… la fièvre de l'argent fait penser aussi à « Wall Street » le fabuleux film d'Oliver Stone sur les dérives de la finance (clin d'oeil aussi au passage au « Loup de Wall Street » de Martin Scorcèse sur le pouvoir de l'argent, les femmes, la drogue).

Un grand merci à Babelio et aux éditions Pocket qui m'ont permis de découvrir enfin ce roman et son auteur, grâce à cette opération masse critique.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Genève, fin des années 1980. le Mur de Berlin tombe, l'URSS implose, le capitalisme et l'ultra-libéralisme explosent, les riches deviennent de plus en plus riches. Tout se vend et s'achète, y compris le silence et ce truc à géométrie variable qu'on appelle le bonheur.
Et puisque règne le Dieu Argent, les croyants s'y asservissent et font tout pour obtenir le précieux viatique.
Ainsi, Aldo, beau gosse et prof de tennis dans un club chic et cher, qui se fait le gigolo de ces dames en mal d'affection.
Ainsi également Svetlana, bras droit d'un ponte d'une grande banque, et belle, jeune, ambitieuse, froide, indépendante, qui élève seule sa petite fille.
Les deux sont en manque d'amour, le vrai, le grand, avec un A majuscule, mais ils ne l'avoueraient pour rien au monde. Jusqu'à ce qu'ils se rencontrent : coup de foudre. Mais ils ne vont pas se contenter d'amour et d'eau fraîche. Grâce au réseau et à l'expérience de Svetlana en matière de transfert de cash, ils vont fomenter le casse du siècle dans leur coin.
S'ensuit une magouille financière qui fait intervenir mafieux corses et barons de la drogue latino-américains, banquiers rapaces et entrepreneurs ambitieux, hommes de paille et sociétés-écrans. Magouille à laquelle je n'ai pas compris grand-chose, mais bon, je ne suis pas une référence en la matière, le jargon bancaire et financier m'est totalement cryptique.
Bon, et sinon, on comprend dès le début que ça va mal finir : l'arroseur arrosé, la grenouille qui se voulait plus grosse que le boeuf, tel est pris qui croyait prendre, tout ça tout ça.
Et on nous explique (mais qui l'ignorait?) que le monde de la finance et des grands argentiers est un univers de requins, cynique, amoral et immoral, impitoyable, tout ça tout ça.
Je ne sais pas pourquoi j'avais ce pavé dans ma pile, mais l'intuition qui me l'a fait acheter n'était pas bonne. Je n'ai pas aimé les personnages caricaturaux ni l'hyper-présence de l'auteur dans le récit à travers ses commentaires sarcastiques (ce n'était pas utile d'en rajouter une couche, on avait compris l'idée). Certaines péripéties m'ont semblé incohérentes ou invraisemblables, mais sans doute que des choses m'ont échappé, et je n'avais pas envie de relire pour vérifier. Quant à l'épilogue, c'est tellement gros que je n'y ai pas cru.
A soustraire de ma pile, donc.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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