A l'origine, les feuilles de thé infusées étaient une médication. Bien des légendes circulent sur
Lu Yu, premier écrivain du thé (chinois né au VIIIe siècle) et conseiller révéré à la Cour Tang. Progressivement, le breuvage devient une boisson fondamentale et s'exporte. le
Camellia Sinensis a essaimé dans plusieurs régions du monde et notamment au Japon où se situe l'action de ce roman.
Enfin, quand je dis action, c'est accorder une grande importance à des faits jamais élucidés. A la fin du XVIe siècle,
le Maître de thé Riukyu se suicide sur l'ordre du Taiko (chef de guerre) Toyotomi Hideyoshi. Son assistant, le moine Honkakubo, s'interroge pendant près de trente ans sur les motifs qui ont poussé le samouraï à ordonner le seppuku à son Maître de thé. D'emblée, l'auteur nous apprend qu'il a inventé le journal intime de Honkakubo alors que tous les personnages sont historiques.
Ce brave moine fait, comme il se doit, de longues méditations, sert le thé comme le lui a enseigné son maître, vénère les objets rituels, et rencontre le maximum de personnalités qui ont fréquenté Maître Riukyu et ont assisté à ses chanoyus pour trouver des indices, voire des révélations qui justifieraient la décision irrévocable du guerrier.
Adepte du thé, je me faisais une joie de découvrir le b.a.-ba de la cérémonie du thé telle qu'elle était pratiquée jadis et qui nécessite, aujourd'hui encore, tant et tant de dextérité, de recueillement, de délicatesse et de détours avant d'arriver « simple et sain » dans mon bol. Je l'espérais d'autant plus que le manuscrit étalé sur la table commence par ces mots : « Tout d'abord, l'origine de la Voie du thé est… ». Les points de suspension laissent une place à prendre. Et plus loin, il est dit que « D'une manière générale, il n'y a, depuis l'origine de la cérémonie du thé, aucun écrit. Il faut simplement savoir reconnaître les ustensiles anciens chinois, rencontrer des hommes de thé qualifiés et pratiquer la cérémonie du thé avec eux, inventer son propre style, et pratiquer jour et nuit. Ceux qui sont conscients de ces préceptes sont des maîtres » (p. 47).
Rien d'autre ne sera dit (snif !) mais un grand respect est accordé à ce qui entoure la cérémonie : la simplicité du chawan (bol) en terre cuite, la finesse de la spatule en bois, la solidité élégante de la bouilloire, la joliesse du chasen (fouet) alliée à la souplesse du poignet de l'officiant Que l'on soit riche ou pauvre, la pièce réservée au thé est simple et rustique, les murs ornés d'une pensée calligraphiée ou d'une épure harmonieuse, seules en varient les mesures : deux tatamis minimum, quatre et demi maximum (un tatami fait 91 cm x 182 cm. Faudra que je mesure ceux du dojo où mon petit-fils suit la Voie du judo !). Ces objets, véritables compagnons de vie, reçoivent des noms après mûre réflexion et sont traités comme des personnes.
Le samouraï connaît aussi la Voie du thé, même si les objets sont moins délicats et le but de la cérémonie moins zen, car c'est bien souvent dans le sanctuaire du thé que des plans de bataille sont discutés, des ordres répartis et des décisions arrêtées. Preuve que la Voie de la Sagesse passe aussi par la Voie de la Guerre. le Taiko Hideyoshi était fier de son Maître de thé Riukyu mais peut-être un jour a-t-il confondu thé et saké avant d'ordonner le suicide d'une personne aussi précieuse et respectée ? C'est une hypothèse que ne retient pas
Yasushi Inoué.
L'histoire se termine donc comme elle a commencé, sur un mystère non élucidé.
Là-dessus, je vais me préparer un excellent thé vert sans cérémonie mais avec beaucoup de gourmandise.