Le recueil est composé de 8 nouvelles. C'est en 1973 que 18 récits d'
Inoué Yasushi ont été regroupés en un recueil publié sous le titre : « Enfance.
Nuages garance ». La traduction française, parue en 2001 en livre de poche, ne conserve que 8 de ces nouvelles, ce qui peut être regretté.
Mais elles suffisent pour révéler une grande cohérence, la cohérence d'un écrivain qui sait décrire l'enfance et en rendre l'atmosphère (cela renvoie d'ailleurs à son récit autobiographique, «
Shirobamba »)
Il s'agit en fait du regard que les enfants jettent sur le monde des adultes. Ce monde leur paraît mystérieux, difficile à comprendre, mais en l'observant ils ont sur lui des intuitions qui les font voir juste.
Inoué sait fort bien se cacher suffisamment derrière ses petits héros pour conserver ce point de vue de l'enfance. Bien sûr, lui et nous comprenons ce que les enfants ne comprennent pas, mais leur regard nous fait sentir autrement ce qui aurait pu être un autre récit vu par les adultes.
Nous y retrouvons la vie quotidienne des petits garçons de la campagne traditionnelle, avec quelque chose d'universel par moments, et à d'autres moments un très fort ancrage dans les moeurs et coutumes japonaises. Ils font ce que font toutes les bandes de jeunes garçons libres d'évoluer autour du village : ils s'inventent des aventures, des ennemis à pourfendre, des bandes rivales à attaquer, des couples d'amoureux à poursuivre de leur espionnage ou de leurs sarcasmes.
Mais des évocations nous ramènent dans le Japon de la première moitié du XXème siècle.
C'est par exemple celle de la maîtresse (« Mort d'une femme »), qui peut être une geisha, cette deuxième femme de l'homme qui parfois devient si importante dans la saga familiale…
Inoué a été élevé pendant quelques années par « grand-mère », qui était en fait l'ancienne geisha de son arrière-grand-père depuis longtemps décédé.
Mais le thème récurrent qui me frappe le plus, c'est celui du shinju (ce mot s'écrit avec les kanjis successifs du coeur et du milieu, il s'agit des deux coeurs réunis, réunis dans la mort) : le shinju, c'est le suicide à deux (qui peut devenir un suicide en groupe, mais ici on ne retient que le double-suicide amoureux). Les enfants que décrit
Inoué sont très préoccupés par ce comportement d'adultes, par cette longue tradition à la fois littéraire et de vie réelle dans le Japon traditionnel. « Cette inquiétude n'était pas réservée aux enfants, car à cette époque, lorsqu'un homme et une femme d'une autre région venaient séjourner à l'auberge, les adultes aussi les soupçonnaient immédiatement d'être venus là pour se suicider »(« le chemin qui descend à la cascade »). « Et si ces deux-là allaient se suicider, suggéra Tomekichi ? Je me dis que c'était tout à fait possible et instinctivement je me retournai. L'homme et la femme avaient disparu .»(« Branches nues »)
Ce recueil de nouvelles, même s'il n'est pas l'apothéose de l'art d'
Inoué, mérite notre visite….