AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de candlemas


Je ne m'attendais pas à cette vision du monde selon Garp, en ouvrant ce best-seller de 1978. le ton, certes plein d'humour, de John Irving, n'a rien à voir avec le film que j'avais vu quelques années auparavant, mettant en scène Robin Williams et Glenn Close dans un cadre tout aussi loufoque mais beaucoup trop léger.

La vie de John Irving, en revanche, traverse ce roman de manière évidente, depuis la conception de Garp, pratiquant comme lui la lutte gréco-romaine et mis au monde presque sans père par une mère d'exception, jusqu'aux succès d'un écrivain qui doute. L'environnement universitaire américain, les contrastes entre les villes progressistes et les campagnes reculées de Nouvelle -Angleterre, ou de Vienne dans la vieille Europe, sont aussi clairement ancrés dans le réel.

Bien qu'on puisse en effet trouver une tentative d'enchantement du réel par le roman et l'humour, bien que Garp puisse suscite l'affection par sa lutte d'enfant, puis de père de famille, pour exister autrement que dans la lutte contre autrui et contre soi, le film évoqué plus haut est pour moi clairement à contre-sens du livre.

Le monde de Garp n'a rien à voir avec Forrest Gump, et ne lasse aucune chance à son héros d'échapper à son destin, si ce n'est celui de l'accepter, aves les souffrances absurdes qu'il transporte : John Irving se situe résolument dans un veine tragicomique. le rire au vitriol se noie souvent dans les larmes et l'horreur du "crapaud du ressac" qui vient détruire les vies... c'est un livre violent, amer, concupiscent, profond et morbide.

Comme l'écrit Garp dans ses propres romans -romans dans le roman-, les ellen-jamessiennes à la langue coupée, les scènes de viols, d'accident de voiture et de membres arrachés sont là pour rappeler combien la réalité peut parfois rattraper la fiction... c'est d'ailleurs à force de vivre que Garp abandonnera la fiction et reprendra le flambeau du réel légué par sa mère, avant de mourir à son tour tragiquement dans la force de l'âge.

Socialement, le monde de Garp dénonce toute forme d'intolérance, renvoyant dos à dos les excès des féministes comme ceux du machisme ambiant, et l'on peut donc comprendre le succès de ce roman dans les années 80. John Irving y décrit crûment et largement le comportement de prédateur sexuel des mâles, que son héros lui-même devra combattre toute sa vie. Il y combat toutes formes de préjugés, au nom d'une condition humaine que l'amour seul permet de supporter.

Ainsi, une gravité angoissée sourd à chaque instant, cachée sous le burlesque parfois outrancier, laissant le lecteur dans un sentiment de malaise... malgré les apartés romanesques du héros qui ne mènent nulle part, et ne font que répéter le réel en le grimant, si ce n'est à des questions sans réponses.

Le héros et sa mère tiennent le lecteur en haleine. Le fil de leur destin se dévide imperturbablement, tandis que l'on cherche avidement et vainement dans la prochaine péripétie une suite logique, une raison d'être... qui ne vient jamais...

Bref , un roman à ne pas lire dans un moment de déprime, et avec beaucoup de second degré ; un roman plus compliqué que le laisse croire le film, un bon roman, révélateur d'une époque, d'une certaine Amérique, du mouvement de la beat generation, qui qui me rappelle à ma lecture inachevée d'Henri Miller, et au projet de m'attaquer à Jack Kerouac.

Cette découverte de John Irving ne restera pas dans mes préférés, manquant parfois de nuances, jouant d'un savant mélange d'intellectualisme et de crudité qui n'est pas de mon goût. J'en ai aimé le cynisme chaotique, mais pas les longues digressions autocentrées sur le statut de l'écrivain célèbre. J'en suis sorti groggy comme après un match de lutte gréco-romaine, écrasé par le poids d'un adversaire implacable et ruisselant de sueur, plus mort que vif... je n'ai pas aimé l'expérience, mais elle n'en fut pas moins édifiante...


Commenter  J’apprécie          870



Ont apprécié cette critique (66)voir plus




{* *}