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Critique de SFuchs


Dans le Manuel de sagesse païenne, Thibault Isabel considère que le temps des monothéismes est en passe d'être révolu... a-t-il vraiment tort ? Face aux grands déséquilibres provoqués par une mondialisation sans réels contre-pouvoirs, l'Eglise semble d'autant moins diserte qu'elle ne fut pas étrangère à l'universalisation des modes de pensées pour convenir à ses dogmes. Cette uniformisation fut la première étape du mouvement de mondialisation qui s'est par la suite imposé. L'islam, tout comme les monothéismes qui l'ont précédé, serait promis au même reflux de son influence en tant que religion révélée. Les manifestations spectaculaires de ses franges intégristes seraient le signe d'un ultime soubresaut.

Il s'agit donc de découvrir, ou plutôt de redécouvrir des sagesses capables de relayer les monothéismes, notamment abrahamiques. Ceux-ci ont en commun de se focaliser sur la relation de l'homme à un Dieu créateur, ils sont de ce fait peu adaptés aux enjeux éthiques de notre époque. Ils s'intéressent peu à la nature tandis que son altération n'est, aujourd'hui, ni une vue de l'esprit ni un problème à la marge. La nature humaine est sous le feu des projets transhumanistes, le biotope s'appauvrit dangereusement, la pollution globale progresse. Thibault Isabel considère que le paganisme peut répondre à de tels enjeux, en portant l'enchantement de notre regard sur le monde qui nous entoure plutôt qu'en direction d'un arrière-monde qui, d'ailleurs, a été évacué de l'horizon imaginaire avec l'hégémonie du matérialisme.

Je souhaite ici apporter un contrepoint au manifeste de Thibault Isabel, il se loge dans une nuance. Si, en effet, il est vain de spéculer sur la réalité qui se situe au-delà des capacités d'entendement de l'esprit humain, on ne peut affirmer pour autant qu'une telle réalité n'existe pas. Thibault Isabel écarte l'option panenthéiste, qu'il assimile à la première marche conduisant aux monothéismes et à leurs dérives. le panenthéisme est une façon de concilier l'immanence du monde et son aspect non pas surnaturel, mais peut-être « super-naturel ». On est en droit de se demander si les dieux ne sont pas une réalité plutôt qu'une mythologie produite par la seule psyché humaine. On est en droit, à l'instar de Carl Gustav Jung, d'au moins suspendre son jugement sur la question. Et de nous demander de quel esprit on parle lorsqu'on parle de l'esprit dans le monde et dans tout ce qui le peuple ? Qui sait si, un jour, l'homme ne trouvera pas les réponses à ces questions à la faveur d'un saut évolutionnaire, celui-là même qui a fait se distinguer l'humanité des autres espèces du règne vivant ? Dès lors, l'humanité pourrait accéder à cette réalité super-naturelle qu'aujourd'hui, elle ne fait que deviner au travers de l'expérience religieuse, mystique ou du sacré.

Thibault Isabel considère donc que la dérive dogmatique était en germe dans les panenthéismes tels que l'orphisme, les cultes à mystères égyptiens, l'hindouisme qui a introduit les divinités pour faire du védisme un système religieux, notamment. Non sans ajouter avec lucidité que des dérives comparables ont émergé dans des contextes résolument païens : on pense notamment au stoïcisme ascétique de Marc-Aurèle, virant au puritanisme et à la crispation durant la phase de déclin de l'Empire romain. Et de mentionner également la dérive idéaliste du platonisme ayant succédé aux philosophies présocratiques d'Héraclite ou d'Anaximandre. Cet idéalisme nous a éloignés d'une vision de l'existence tragique plus difficile à porter, mais peut-être plus juste. Faut-il donc considérer, à l'instar de Nietzsche, que le passage des philosophies naturelles aux sagesses idéalistes ou aux croyances révélées fut le signe d'une dévitalisation de l'existence et d'un déclin de la pensée ? Peut-être s'agit-il plus simplement d'une évolution des systèmes de croyances répondant aux contextes de leurs époques et à la grande loi des cycles de naissance, d'apogée et de déclin des civilisations.

L'ouvrage de Thibault Isabel est empreint d'une sagesse pratique, il peut être mis au service d'un projet de société, d'un projet politique pourrions-nous dire si seulement le terme n'avait pas été tant déprécié et galvaudé. Si thèse il y a de la part de l'auteur, c'est autant pour exposer avec minutie et force d'arguments la sagesse de la vision païenne que pour affirmer la pertinence de cette vision au regard des enjeux actuels. le propos est accessible et d'une grande clarté, l'exercice m'a convaincu.
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