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sur 322 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Sortent de la brume, par la magie de la plume de Kazuo Ishiguro qui m'emporte délicieusement avec ses pleins et ses déliés, des êtres fantastiques : Ogres, Elfes, Lutins, qui autrefois surgissaient d'un bois pour calmer la fin, pullulaient autour d'une eau stagnante ou pour les derniers s'aventuraient au sein du logis d'un humain. En ces temps maintenant révolus, ces créatures étranges et de longtemps oubliées, non seulement, côtoyaient les hommes, mais parfois venaient à les tourmenter, le plus souvent à l'heure du premier sommeil, se mélangeant à leurs rêves agités, troublant leurs nuits, les maintenant éveillés. Et je n'ai pas encore parlé de la plus connue et terrible d'entre elles : Quéric, une Dragonne, crainte des monts aux vallées. Pour les hommes en ce haut moyen-âge, pas vraiment de quiétude, ou alors trompeuse, hasardeuse et temporaire, car ces êtres, dont nous n'avons plus qu'un très lointain et très vague souvenir, étaient bels et biens vivants, si pas dans la réalité à tout le moins dans l'imaginaire collectif des hommes; ce qui avouons-le, revient au même dans ces pays de brumes et de légendes.

Et puis le grand roi Arthur était mort de quelques années seulement que déjà son souvenir s'effaçait. La crainte qu'il inspirait peu à peu se dissipait dans les mémoires, les bienfaits d'une paix fragile bien moins vivaces que les affres des sanglantes batailles. Planait donc une menace voilée, le plus souvent ignorée, mais à l'Est, chez les Saxons, loin de la douceur de la brume, germaient la haine, le désir de la vengeance et l'appel du sang. Ainsi vivaient les hommes, sans grande lucidité et dans la précarité. S'agit-il de la verte Irlande avec ses lacs, ses rivières et ses tourbières, ses plaines et ses monts du Connemara ? S'agit-il du Lake district, ou au Nord du mur d'Adrien, des Midlands ou carrément les Highlands ? Peu importe car l'écriture d'Ishiguro, entre récit de chevalerie, épopée fantastique et merveilleuse odyssée, nous offre au long de ce lent cheminement une oeuvre mythique, universelle, intemporelle.

Axl et Béatrice sont mari et femme, depuis longtemps. Je les vois comme deux grands arbres, côte à côte, leurs feuillages se frôlent et souvent s'entremêlent, ils bruissent des mots tendres et doux, inlassablement. Inlassablement répétés, ils se touchent et s'appuient l'un sur l'autre, tantôt l'un, tantôt l'autre, pour résister aux vents contraires. Chacun frêle, mais se soutenant, à deux plus forts, et l'on devine que leurs racines plongent profondément et se sont enlacées à tout jamais. Ces deux-là sont passés à travers les grains et les chagrins, ils ont dû résister à bien des tempêtes, bien des tourments. A eux deux, ils forment une île, une île mystérieuse, une île au trésor, une île flottante au coeur de la brume. Leurs feuillages se frôlent et parfois se touchent, quand le ciel s'éclaircit ils se racontent ce qui leur reste de souvenirs des bons jours et quand la brume s'épaissit alors chacun garde pour lui ses petits renoncements, minimise ses faiblesses et oublie ses griefs. p.406 "Mais Dieu connaît le lent chemin de l'amour d'un vieux couple, et il comprendra que les ombres noires font partie de son entité."

La leçon pourrait n'être que belle, elle est sans artifice, sans recours à la facilité, point de larmes arrachées, de frayeurs générées, d'élans provoqués, elle devient transcendance et creuse au plus profond, vous prend et vous étreint, vous marque de son empreinte. L'écriture est cette longue mélopée intérieure, compagne fidèle des chevaliers errants qui rêvent leur vie, de ce Messire Gauvain chevauchant son vieil Horace à la poursuite ultime de la quête dont il se voit le garant. La magie d'Ishiguro s'est de faire remonter d'un très ancien déchirement venu d'une lance ou d'une épée, ce géant enfoui en chacun de nous dans les brumes de notre mémoire. Un moment rare de pure communion à travers les siècles, l'éblouissement lorsque la brume se dissipe avant de respirer l'essence dont sont faits les hommes.

Et moi tel un de ces étranges bateliers de te poser la question : " Ami(e), oseras-tu cette traversée ?"


PS. Ici à Mons ce dimanche 22 mai au combat dit Lumeçon, tous de s'écrier "El biète est morte"*, lorsque St Georges achève le Dragon mais deux jours plus tard s'inscrit en lettres de feu "In vla co pou ein an"* pour terminer la ducasse et rappeler aux esprits embrumés par forces ripailles et moultes bières que le combat entre l'ordre et le désordre est sans cesse à recommencer. Il faut recommencer, année après année, pour ne pas oublier le Dragon, souffle de liesse et liberté, terrassé par St Georges engoncé dans son armure, conforté par le bon droit, main armée aux ordres de l'autorité. Où est le Bien ? Où est le Mal ? Qui en décide ? Faudrait-il oser l'année du Dragon, lui accorder notre confiance ? Ou continuer à préférer la quiétude de l'oubli à une année de folie ? Ici l'histoire se répète, sa magie serait-elle moins forte que celle d'Ishiguro ?

* La bête est morte
* En voilà encore pour un an
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Spontanément, je n'aurais probablement jamais lu cette merveille. Mais une librairie ouverte tard tous les soirs, au pied d'une cathédrale, dans un vieux quartier, une entrée dans une rue pavée, l'autre par un pont enjambant un étroit canal, un libraire-éditeur passionné, un Labyrinthe en effet que ce repaire inattendu, et ses piles de livres, pas juste là pour décorer, pas de fauteuil pour se poser, il y a longtemps que tout est envahi par les livres. Et les clients, lecteurs amicaux, discussions animées, conseils éclairés, opinions tranchées mais courtoises, argumentées et souriantes: un avant-goût du paradis? Et me voilà munie, sur la foi de la critique enthousiaste d'un lecteur inconnu, de ce Géant enfoui.
Cela se passe donc dans un pays brumeux, où cohabitent Saxons et Bretons, Angleterre, peut-être, Pays de Galles, Écosse, peu importe, une contrée en tout cas qui a connu le roi Arthur, ses chevaliers et son enchanteur. Un pays où les elfes se montrent sur les rivières, les ogres enlèvent des enfants, et une dragonne sommeille dans sa tanière. Un pays où deux vieilles gens, mari et femme déterminés, entreprennent un long chemin pour rejoindre leur fils. Mais leur mémoire se perd dans la brume. La mémoire collective est dissoute dans le brouillard . Au fil des rencontres, l'histoire des uns rencontre le destin des autres, les rêves et la réalité se rejoignent. Il est question du sire Gauvain et de Merlin l'Enchanteur, mais sans folklore inutile, puisque bien sûr, les sorts sont aussi réels que le vent, la pluie, le soleil et le brouillard. Il y a des montagnes et des tunnels, des bois magiques, des aubépines et des orties, des pins et des chênes, des lapins et des chèvres. Il y a deux vieillards riches d'un amour profond, un orphelin , un guerrier, un chevalier d'Arthur montant un cheval vieillissant , un batelier qui interroge pour faire franchir un bras de mer, une île enchantée. Un livre qui parle de la puissance de l'amour, de l'importance des souvenirs, de la mémoire, de la validité des souvenirs. Un livre qui se lit comme un roman plein de tendresse sans une once de mièvrerie, plein de légendes sans une ombre de clinquant, de combat sans une trace de complaisance.
Un livre, quelques grammes de papier, plusieurs heures de bonheur.
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Un amour inconditionnel uni Axl et Béatrice. Sans que cela épique, impossible ou incroyable, ils ont conscience que l'un sans l'autre ils n'y arriveront pas. Soutenant toujours Béatrice, Axl fait fi des souvenirs qui lui reviennent progressivement et ne dévoile à sa bien aimée aucun trouble ni animosité. Une belle histoire à mon sens, et une fin... A découvrir.

Outre cette histoire d'amour dont on parle dès la quatrième de couverture, cette épopée arthurienne est envoutante, entêtante et très addictive. On peut être choqué ou troublé tout du moins par ce Haut Moyen Age, car on ne s'attend pas à ce genre d'histoire. J'avoue même qu'au début il faut un petit temps d'adaptation, mais le premier chapitre passé, on ne parvient plus à poser ce livre.

Empreint de réalité tout comme de fantastique, ce roman a tout d'une aventure : les combats d'épée, le dragon, le chevalier en armure... Mais le tout est raconté sans rage, avec minutie. On apprécie d'autant plus les scènes de combat à l'épée, car tel une caméra miniature, on suit chaque mouvement, chaque contraction musculaire et chaque oscillation de la lame.

Loin du Trône de Fer de Georges RR Martin et du Seigneur des anneaux de JRR Tolkien, le Géant Enfoui s'en rapproche malgré tout : il y a un mystère envoutant à vouloir créer une mythologie de l'Angleterre.

Le thème le plus important du livre reste à mon sens le Souvenir : depuis de longues années, la région est en proie à l'oubli. Béatrice a surnommée ce phénomène une Brume qui retire les souvenirs. L'enjeu est donc de les retrouver. Mais Béatrice, en le souhaitant, a en même temps une peu car les mauvais souvenirs, méritent ils d'être retrouvé? Est ce que cela aura un impact sur les relations avec Axl?

Lien : http://lecturedaydora.blogsp..
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Etonnée par le mode de vie au haut moyen-âge de ces petits vieux qui oublient tout si facilement, dont la vie est régie de mains de fer, au millimètre près, où la paix entre saxons et bretons est si fragile. La peur de l'inconnu(e) de passage mène les habitants à préférer la violence à la générosité, ce climat de suspicion enveloppe les protagonistes. J'ai été transportée avec eux sur la route, j'ai fait des rencontres attachantes, surprenantes (elfes, ogres...), bouleversantes, intemporelles : Sir Gauvain, qui veille au bien-être des gens, continue la mission donnée par le roi Arthur décédé depuis peu, veillé à la sécurité du peuple en l'éloignant de Quéric, la dernière dragonne ; un chevalier saxon et son jeune apprenti. J'ai été touchée par les gestes tendres de ce couple aimant.
Lien : http://poesiedesmots.over-bl..
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Une épopée entre mythes et réalités où nous évoluons au rythme des souvenirs et des légendes.
Un conte d'une étrangeté délicieuse où le talent de Kazuo Ishiguro transforme les mots pour faire de ce récit une histoire onirique nous plongeant dans un univers riche et fantastique.
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Axl et Béatrice sont un couple âgé, vivant dans un village troglodyte où ils sont relégués dans un habitat périphérique, laissés sans lumière par les autres villageois. Peu à peu se dévoile le phénomène d'amnésie qui touche les habitants de la contrée : tous vivent un présent permanent, sans mémoire du passé – ancien ou récent. Chaque événement vécu se dissout aussitôt dans ce que Béatrice nomme « la brume ». Cependant, pour les héros, émergent peu à peu quelques souvenirs, suffisants pour leur faire songer qu'ils ont peut-être un fils quelque part, adulte, et pour les conduire à partir le retrouver.
Peu à peu, Ishiguro dévide l'écheveau de sa réflexion à travers son stratagème narratif. Cette mémoire perdue, que les héros veulent peu à peu retrouver, contient-elle réellement quelque chose de beau ? Recouvrer ses souvenirs, est-ce réellement désirable ? La mémoire perdue ne cache-t-elle pas plutôt des horreurs ? L'amour d'Axl et Béatrice est-il si pur ? Et au fond qui sont-ils réellement ?

Un grand roman, sans aucun doute, d'un auteur fondamentalement et radicalement pessimiste.
Lien : http://www.williamjoshbeck.c..
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Envoûtant, poétique, véridique, sensible, traitant des accommodements mensongers - mais néamoins tellements indispensables - de notre mémoire si fragile et prête à rompre, le fil du récit répond à l'extrême violence de la vie par des mots simples et le pardon. Et la synthèse est offerte à la princesse : "car si nous sommes mortels, brillons du moins de tous nos feux aux yeux de Dieu pendant que nous marchons sur cette terre"... Un psaume en prose.
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Pas tout à fait à la hauteur de "Auprès de moi toujours", mais l'ouvrage est loin d'être comparable. Nous sommes dans un autre monde, sur une autre planète dirais-je même ! Mais quand même, il faut le dire, j'ai beaucoup aimé ! L'univers créé par Ishiguro est captivant. L'histoire l'est aussi et l'auteur parvient à garder ses petits secrets jusqu'à la fin. Un grand auteur, aux multiples facettes !
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Le géant enfoui est un roman plein de symboles. du début à la fin, on pense lire une histoire d'heroic fantasy – ce qui est en partie le cas – et d'un conte de fée où les personnages du roman semblent évoluer dans une brume permanente.

Cette fameuse brume – qui semble réelle en raison d'un dragon – semble aussi fictive. On ne sait jamais jusqu'à la fin si le dragon est réel ou pas, s'il est la cause de la brume ou non. On se demande parallèlement si les personnages ne sont pas tous en train de rêver en permanence, incapables de se réveiller de leurs propres histoires, croyances, ou mythes.

L'histoire comprend des rites et des initiations. Pourtant, le sous-entendu de toute l'histoire apparaît finalement assez évident ce qui en est presque trop facile : le géant endormi est bien l'allégorie de l'enfouissement des mauvais sentiments des êtres humains et particulièrement de la haine, de la colère et de la vengeance.

Le géant enfoui est une ode à l'oubli pour avancer dans la vie, même si l'homme semble irrémédiablement en quête de ses souvenirs au risque de faire basculer son futur paisible vers un chemin plus chaotique.

À la suite d'un récit où l'esprit chevaleresque se marie à une écriture limpide et châtiée (« Monsieur » en permanence rythme avec merveille cet esprit chevaleresque), le couple de personnes âgées révèle leur amour avant un dernier adieu vers une île qui semble là encore l'allégorie du passage vers la mort.

La beauté de l'adieu dans les dernières pages et l'errance d'Axl sur la plage sont particulièrement touchantes. La brume semble se refermer sur lui comme sur cet ouvrage.

C'est vraiment un beau livre.
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Juste après Klara et le Soleil j'ai attaqué le Géant enfoui. Quelle histoire ! C'est magnifique, là aussi je l'ai lu d'une traite, et j'ai dû ralentir un peu sur la fin pour faire durer le plaisir… A travers un voyage pour retrouver leur fils, ce vieux couple (Axl et Beatrice) doit surmonter toutes sortes d'épreuves accompagnés de personnages mystérieux, fantastiques, mirobolants. Mais tout cela soutenu par une réflexion profonde et poétique sur nos vies, sur la mémoire, sur l'amour. On ne peut pas raconter ce livre, il faut le lire. Mais pour être le second livre lu dans ma découverte de Ishiguro, il m'a permis de déceler quelques « fondamentaux » de son écriture. Tout d'abord bien que les passages descriptifs ne soient pas absents, il faut noter une présence incroyable des dialogues. Des dialogues toujours emprunts de politesse, de respect, de courtoisie, d'humour… même avant un combat à mort ! Ahh le dialogue du dernier chapitre dont je ne dirai rien est de toute beauté ! Quelle réflexion profonde sur l'amour, sur la mémoire, sur le pardon, sur la mort, magnifique. Second point que j'ai surtout retrouvé dans mes lectures suivantes de Ishiguro, il a une capacité incroyable à ménager le suspense en annonçant des événements ultérieurs, en créant du lien entre les chapitres qui fait de ses livres des « page-turner » / « accrolivre ». Une écriture poétique d'une admirable efficacité !
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