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Maud Sissung (Autre)
EAN : 9782020058032
161 pages
Seuil (01/03/1981)
4.29/5   7 notes
Résumé :
On n'a pas oublié les "mises en garde" d'Ivan Illich à propos de l'école, de la médecine, de l'énergie, de la société industrielle en général. Les levées de boucliers n'ont pas manqué, venant d'horizons divers, mais tous "colonisateurs" à des titres divers. Les cinq essais qui composent ce nouveau livre s'adressent aux "colonisés", c'est-à-dire à une immense majorité de gens pris en main ("la colonisation du secteur informel"), pris en charge ("valeurs vernaculaires... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le Travail fantôme est constitué de cinq essais qui découlent des expériences atypiques vécues par Ivan Illich en Amérique latine. On imagine très bien que c'est à partir de son décloisonnement d'avec les sociétés conventionnelles de l'Occident que le sociologue a réussi à prendre un recul tel que sa pensée peut prétendre à être unique. En observant les différences qui régissent les structures dans lesquelles il a passé une durée plus ou moins longue de sa vie, Ivan Illich a réussi à faire ressortir les tournants majeurs des sociétés occidentales au cours des siècles passés.


Dans cet essai, le sociologue progresse pas à pas. Ils nous propose tout d'abord de réfléchir à la colonisation du secteur informel, avant d'évoquer les valeurs vernaculaires, la répression du domaine vernaculaire et son opposé de la recherche conviviale qui mènera enfin à la définition du concept qui donne son titre au livre : le travail fantôme.


Le développement est logique. Suivant un constat selon lequel le secteur de l'informel –ce qui relève de la vie privée et des occupations non-productives (du point de vue économique)- serait sans cesse envahi par le monnayable –l'école pour l'apprentissage et l'éducation, l'hôpital pour la convalescence, les biberons pour l'allaitement, les maisons de retraite pour les parents âgés, le psychologue pour le lien social…- Ivan Illich introduit la notion du « vernaculaire ». Il explique son choix par l'étymologie :


« le mot « vernaculaire », emprunté au latin, ne nous sert plus qu'à qualifier la langue que nous avons acquise sans l'intervention d'enseignants rétribués. A Rome, il fut employé de 500 av. J.-C. à 6OO ap. J.-C. pour désigner toute valeur engendrée, faite dans l'espace domestique, tirée de ce que l'on possédait, et que l'on se devait de protéger et de défendre bien qu'elle ne pût être un objet de commerce, d'achat ou de vente. Je propose que nous réactivions ce terme simple, vernaculaire, par opposition aux marchandises et à leur ombre. »


Toujours en restant dans le domaine du langage, Ivan Illich s'empare du cas Nebrija pour illustrer sa notion. Cet « espagnol », auteur d'une grammaire castillane, a insisté sur l'importance d'uniformiser la langue et d'éliminer ses patois locaux afin d'affermir la puissance royale et chrétienne de la nation, qu'il s'agisse d'assujettir ses habitants ou de faire une démonstration de sa puissance vis-à-vis des étrangers. Ivan Illich y voit le présage de toutes les métamorphoses à venir au sein de la société industrielle :


« Ce passage du vernaculaire à une langue maternelle officiellement enseignée est peut-être l'évènement le plus important –et pourtant le moins étudié- dans l'avènement d'une société hyperdépendante de biens marchands. le passage radical du vernaculaire à la langue enseignée présage le passage du sein au biberon, de la subsistance à l'assistance, de la production pour l'usage à la production pour le marché, des espérances divisées entre l'Eglise et l'Etat à un monde où l'Eglise est marginale, la religion privatisée, et où l'Etat assume les fonctions maternelles auparavant revendiquées uniquement par l'Eglise. »


Pour se définir à l'opposé de cet exemple nocif, Ivan Illich cite Hugues de Saint-Victor. Doit-on l'appeler « philosophe », « homme de sciences », « penseur » ? On n'oserait trancher, en tout cas pas devant Ivan Illich qui semble vouer à Hugues de Saint-Victor une admiration sans faille qui dépasse l'expression verbale. Il définit le type même de la recherche conviviale -qui avait déjà fait l'objet d'un essai d'Ivan Illich-, image de l'homme qui se livre à l'apprentissage dans le plaisir, non dans l'objectif de soumettre l'inconnu à sa domination humaine, mais afin de poursuivre plus loin vers l'inconnu dans une quête dénuée de tout aboutissement. Bien sûr, on comprend tout de suite en quoi la recherche conviviale s'oppose aux bureaux de R&D ou à la science des machines, entièrement tournée vers la production pour l'homme et pour la rentabilité économique.


Tout cela posé, Ivan Illich arrive enfin à la dernière partie de son essai et nous retrace l'historique de l'apparition du travail fantôme, qui ne doit être confondu ni avec le chômage, ni avec le travail salarié :


« Pour saisir la nature du travail fantôme, nous devons éviter deux confusions. Il n'est pas une activité de subsistance : l'économie formelle s'en nourrit mais non la subsistance sociale ; il n'est pas non plus un travail salarié sous-payé. Il est un travail non-payé dont l'accomplissement permet précisément que des salaires soient payés. »


Le constat d'Ivan Illich est donc effrayant : plus aucune dimension de notre vie privée ne serait épargnée par le travail de la machine économique, dont nous dépendons entièrement, jusque dans la constitution de notre famille ou dans nos choix de vie les plus anodins. Sous une apparence maternelle, la société s'introduit jusque chez nous et nous impose, sous couvert de bons sentiments, des services soumis aux règles de l'économie classique qui viennent rendre obsolètes ce qui relevait jusqu'alors du « vernaculaire ». Ivan Illich répond aux contestations qu'on pourrait lui faire : non, nous ne sommes pas obligés de souscrire à tous les services « obligatoires » ou « recommandés » par la société (transports publics, école, hôpital, alimentation industrielle, etc.). Mais tout de même…rares sont ceux qui peuvent s'en détourner, et ceux-ci constituent les derniers privilégiés de notre société moderne.


La réflexion est intéressante, cela ne fait aucun doute, et explique une partie du malaise dont la population occidentale se dit aujourd'hui largement victime. Malheureusement, Ivan Illich n'échappe pas aux propres travers qu'il dénonce. Je pense aux nombreuses dualités qu'il met en jeu et qui opposent par exemple vernaculaire et économique, convivialité et travail, industriel et individuel… dans une vision parfois réductrice qui semble n'avoir qu'un seul objectif : se faire le contempteur d'une société moderne qui a perdu le charme des siècles précédents. En ce sens, le discours du sociologue sonne souvent sur le ton du désespoir et tout son texte est bercé par cette litanie : « C'était mieux avant », ou par sa variante : « C'est mieux ailleurs ». Mais hormis le voyage dans le temps, ou le déménagement hors de la société occidentale, Ivan Illich ne propose pas de solution concrète. On se contente alors de sa réflexion pure, qui ne remplit aucun critère du rendement productif. Totalement stérile mais d'une beauté absolue, elle correspond tout à fait à sa démarche de la Recherche conviviale, et il faut avouer qu'on y goûte avec un triste plaisir.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
Jusqu’à nos jours, le développement économique a toujours signifié que les gens, au lieu de faire une chose, seraient désormais en mesure de l’acheter. Les valeurs d’usage hors-marché sont remplacées par des marchandises. Le développement économique signifie également qu’au bout d’un moment il faut que les gens achètent la marchandise, parce que les conditions qui leur permettaient de vivre sans elle ont disparu de leur environnement, physique, social ou culturel. L’environnement ne peut plus être utilisé par ceux qui sont dans l’incapacité d’acheter le bien ou le service.
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La famille nucléaire n’est pas nouvelle. Ce qui est sans précédent, c’est une société qui fait de la famille de non-subsistance une norme, impliquant ainsi une discrimination à l’encontre de tous les autres types de liens entre deux personnes ne prenant pas pour modèle cette nouvelle famille. / Cette nouvelle entité apparut au XIXe siècle sous la forme de la famille du salarié. Son but était d’accoupler un salarié principal et son ombre. Le foyer devint le lieu où était dépensé le salaire. […]
Ceci demeure vrai de nos jours, même lorsque tous les membres d’un foyer, d’une part gagnent leur vie, et d’autre part contribuent au travail ménager. Cela demeure même vrai pour la « studette du célibataire » équipée d’un « mini-frigo pour foyer d’une personne ».
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Un quatrième masque est placé sur le travail fantôme par la majorité des féministes qui se penchent sur les tâches ménagères. Elles savent que c’est un travail pénible, elles fulminent parce qu’il n’est pas payé. A l’inverse de la plupart des économistes, elles considèrent que le salaire perdu, loin d’être insignifiant, est considérable. De plus, certaines d’entre elles croient que le travail des femmes a beau être « non productif », il est cependant la principale source du « mystère de l’accumulation primitive » -contradiction sur laquelle même Marx avait buté. Elles ajoutent des verres teintés féministes aux lunettes marxistes. Dans leur optique, la ménagère est mariée à un patriarche salarié dont la paye, et non le pénis, est le premier objet d’envie. Elles ne semblent pas avoir remarqué que la redéfinition de la nature de la gemme, après la Révolution française, allait de pair avec celle de l’homme. Ainsi sont-elles doublement aveugles à la conspiration des ennemis de classe du XIXe siècle au service de la croissance et à sa réactivation par un genre inédit de guerre entre les sexes au sein du foyer.
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La plupart des gens sont probablement tout disposés à reconnaître qu’il y a une énorme différence de goût, de sens et de satisfaction entre un dîner cuisiné à la maison et le plateau-repas produit industriellement à l’intention des téléspectateurs invétérés. Mais l'examen et la compréhension de cette différence peuvent aisément être découragés, particulièrement chez ceux qui défendent l’égalité des droits, l’équité et l’aide sociale à l’égard des pauvres. Ils savent combien de mères ont les mamelles taries, combien d’enfants dans la partie sud du Bronx souffrent d’une carence en protéines, combien de Mexicains –entourés d’arbres fruitiers- sont rachitiques par avitaminose. Dès que je soulève la distinction entre valeurs vernaculaires et valeurs susceptibles de quantification économique et, par là même, de distribution, il se trouve toujours un tuteur autodésigné du prétendu prolétariat pour me dire que j’esquive la question critique en donnant de l’importance à des subtilités non économiques. La première chose n’est-elle pas de rechercher la juste distribution de ce qui répond aux besoins fondamentaux ? La pêche et la poésie s’y ajouteront ensuite tout naturellement. Ainsi en va-t-il de la lecture de Marx et de l’Evangile selon saint Matthieu interprétée par la théologie de la libération.
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Le jargon économique dirait que les coûts sociaux excèdent non seulement les bénéfices tirés de la production des seaux en plastique mais également les salaires versés à ceux qui les fabriquent. Encore ces coûts externes ne sont-ils qu’une face de la facture que le développement nous impose. L’autre face, c’est la contre-productivité. Pour ce qui est des coûts externes, s’ils n’entrent pas dans le prix payé par le consommateur, ils n’en devront pas moins, à un moment quelconque, être payés, que ce soit par lui, par d’autres, ou par les générations futures. Mais la contre-productivité est une espèce neuve de déception, qui naît de l’usage même de la marchandise achetée. Cette contre-productivité intrinsèque est en elle-même une composante inévitable des institutions modernes. Et elle est devenue la permanente frustration de la clientèle la plus pauvre de ces institutions, une frustration intensément ressentie mais rarement définie.
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Videos de Ivan Illich (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ivan Illich
Et si l'école n'était qu'un instrument destiné à produire des élèves dociles, prêts à obéir aux institutions ? C'était la thèse du philosophe Ivan Illich, dès les années 1970.
#école #éducation #cultureprime _____________
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