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EAN : 9782868398482
278 pages
François-Xavier de Guibert (06/06/2003)
4.12/5   4 notes
Résumé :
L'Islam entre Orient et Occident est une œuvre magistrale qui ne laissera aucun lecteur intéressé par les choses de l'esprit indifférent. À la fois travail remarquable de recherche multidisciplinaire, survol de l'histoire de l'humanité, étude comparative des prémisses fondamentales et des conséquences sociales, juridiques, politiques, culturelles, psychologiques et même artistiques des grandes idéologies concurrentes de ce monde, cet essai philosophique unique en so... >Voir plus
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Les poètes parlent de l’enfer de la grande ville et les marxistes de « l’idiotie de la vie à la campagne » (Manifeste). L’aversion pour la ville, aussi illogique soit-elle, est une réaction purement humaine, dans la mesure où tout homme est pour une part indiscutable un poète. Aujourd’hui comme hier, la protestation contre la ville et la civilisation urbaine vient de la religion, de la culture, de l’art. Rome était considéré par les premiers chrétiens comme l’empire de Satan, après lequel viendrait la fin du monde, le Jugement dernier.

La religiosité décroît avec la grandeur de la ville, justement avec la concentration des éléments urbains qui aliènent l’homme. Car plus grande est la ville, moins il y a de ciel au-dessus d’elle, moins de nature, de végétation, plus il y a de fumée, de béton, de technique ; moins il y a de personnalité, plus nous nous dégradons en masse. Plus la ville est grande, plus s’y commet de crimes. La religiosité se trouve en proportion inverse et le crime en proportion directe avec la grandeur de la ville. Ces deux phénomènes ont une cause commune. Ils ont un lien évident avec ce que nous pourrions appeler une esthétique expérimentale, pratique.

Au village l’homme a l’occasion de voir le ciel étoilé, des prés fleuris, des plantes et des animaux. Il est en contact quotidiens et immédiat avec la nature et les éléments. Un riche folklore, des noces coutumières, des chants et des danses populaires, dont le villageois n’est pas seulement le spectateur, mais le plus souvent l’acteur, procurent une sorte de vie culturelle et esthétique dont le citadin est presque toujours privé. Le citoyen moyen d’une grande ville est exposé à manquer de toute beauté, de toute spontanéité. La plupart du temps, il a grandi dans des casernes uniformes, bourré du savoir passif des moyens de communication de masse et environné des objets disgracieux de la fabrication en série. Et le sentiment du rythme, que possèdent tous les peuples primitifs, est presque atrophié chez l’homme contemporain. La croyance que le citadin a plus d’occasions d’aventures artistiques et plus généralement esthétiques fait partie des erreurs les plus grotesques de notre temps. Comme si les concerts, les musées ou les expositions que fréquente un pourcentage insignifiant des citadins peuvent être rapprochés des émotions quotidiennes, peut-être inconscientes, mais d’une grande valeur esthétique, que ressentent les villageois devant le spectacle inhabituel d’un coucher de soleil, ou le réveil de la vie au printemps. L’immense majorité des citadins éprouve ses plus fortes émotions dans l’atmosphère naturaliste d’un match de football ou d’un combat de boxe. Tout autour d’un villageois est vivant et élémentaire ; tout autour d’un ouvrier est mort et mécanique.

C’est ici, dans la différence du climat spirituel et de l’environnement et non dans celle des conditions matérielles de vie ou du degré d’éducation qu’il faut chercher l’explication de la religiosité du villageois et de l’athéisme de l’ouvrier. La religion relève de la vie, de l’art, de la culture ; l’athéisme, de la technique, de la science, de la civilisation. (pp. 85-86)
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L’étroitesse d’esprit de l’homme contemporain se manifeste dans sa certitude que pour lui tout est clair. Sa sagesse est la somme de ses connaissances et de l’immensité de ses ignorances, qu’il ne perçoit pas ou, pour mieux dire, qu’il conçoit comme un savoir. Même en face du plus grand mystère il se comporte avec suffisance et présomption. Il ne voit pas le problème et c’est précisément en cela que se voit la colossale mesure de son ignorance et de ses préjugés. Les hirondelles d’Europe centrale volent en automne vers les régions lointaines d’Afrique. Au printemps elles reviennent et se posent sur le toit sous lequel elles ont installé leur nid. Comment savent-elles qu’elles doivent partir et à quel moment elles doivent partir pour de lointaines contrées ? Comment savent-elles, au retour, trouver leur nid sous le toit d’une des maisons d’une ville d’un million d’habitants ? A cette question notre prétentieux ignorant répond tout de go que l’instinct les guide, ou qu’il s’agit de la sélection naturelle : l’espèce d’hirondelles qui a compris qu’elle doit en hiver voler vers les régions chaudes a survécu ; les espèces qui ne l’ont pas compris ont été anéanties. Dans la lutte permanente avec l’environnement naturel dans lequel cette race d’oiseaux se développe, les hirondelles ont progressivement compris qu’elles doivent déménager si elles veulent survivre. Leur instinct de déménagement est le résultat de cette sagesse accumulée par des milliers de générations.

Le mal n’est pas dans cette vaine réponse. Il est dans le fait que notre interlocuteur ose donner une quelconque réponse ; en un mot, qu’il élimine le problème, lequel est la premiére condition de la recherche et de la découverte de la vérité. Une réponse trompeuse est aussi dangereuse qu’un médicament trompeur. Il ne soigne pas, mais il bloque nos efforts, il crée une assurance trompeuse. Pour la théorie de la relativité universelle, nous pouvons remercier Einstein d’avoir vu un problème là où pour les autres tout était clair.

D’ailleurs la signification de tous les arts, philosophies et religions consiste à attirer l’attention des hommes sur les problèmes, les mystères, les questions ; cet éveil de notre conscience nous apporte souvent moins un savoir et une connaissance qu’un changement d’une ignorance dont nous ne sommes pas conscients en une ignorance dont nous sommes conscients. Là réside l’infinie différence qui sépare le sot du sage. (pp. 62-63)
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La civilisation est la suite du développement technique et non spirituel, comme l’évolution darwinienne est la suite du développement biologique et non humain. La civilisation représente le développement des forces potentiellement accordées à nos ancêtres animaux ; elle est, en réalité, la suite des éléments naturels, mécaniques, donc inconscients, irréfléchis de notre existence. Pour autant elle n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise. L’homme doit créer la civilisation, comme il doit respirer et prendre de la nourriture. Elle est l’expression de nos besoins, de notre absence de liberté, comme la culture est le sentiment permanent du choix, la manifestation de la liberté humaine.

Pour l’homme sa dépendance de la matière augmente continuellement dans la civilisation. On a calculé que chaque Américain – homme, femme et enfant – consomme par an dix-huit tonnes de différents matériaux. En créant toujours de nouveaux besoins, et en développant même le besoin de l’inutile, du superflu, la civilisation tend à intensifier l’échange de matière entre l’homme et la nature, à stimuler partout la vie extérieure aux dépends de la vie intérieure. Produire pour gagner, gagner pour gaspiller, c’est dans la nature de la civilisation. Au contraire,chaque culture – c’est là son caractère religieux – tend à diminuer le nombre des besoins de l’homme ou au moins le degré de leur satisfaction, et sur cette base à augmenter la liberté intérieure de l’homme. Là est le sens profond de l’ascèse et des différents renoncements que connaissent toutes les cultures et qui ont reçu leur forme absurde dans le vœu de saleté – des moines ou des hippies, pareillement. Contrairement à la maxime du bouddhisme : « Anéantissez vos désirs », la civilisation devait, selon les règles d’une logique inverse, mettre en relief la devise opposée : « Créez-vous toujours de nouveaux désirs ». On ne comprend le sens exact de ces demandes contradictoires que si on saisit qu’elles ne sont ni l’une ni l’autre le fruit du hasard. L’homme s’y affirme comme un être discordant, et elles reflètent la dualité de la nature humaine, ou l’opposition de la culture et de la civilisation.

Le porteur de la culture est l’homme, le porteur de la civilisation est la société. Le but de la culture est le pouvoir sur soi-même à travers l’éducation ; le but de la civilisation est le pouvoir sur la nature à travers la science. A la culture appartiennent l’homme, la philosophie, l’art, la poésie, la morale, la foi. A la civilisation appartiennent l’État, la science, les villes, la technique. Ses instruments sont la pensée, la langue, l’écrit. La culture et la civilisation sont entre elles comme l’empire du ciel et celui de la terre, comme la Civitas Dei et la Civitas Solis. L’un est drame, l’autre utopie. (pp. 75-76)
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Biographie de Alija Izetbegović

Philosophe et chef de guerre, avocat et militant islamique, opposant politique et chef d’État, embastillé pendant huit longues années, assiégé plus de trois ans en sa capitale au cœur même de l’Europe, la vie haute en couleur d’Alija Izetbegović est fascinante à plus d’un titre.

Notre auteur naît le 8 août 1925 dans la petite ville de Bosanski Šamac1, au sein de ce qui est alors le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes — la future Yougoslavie. Issu d’une famille historiquement distinguée mais appauvrie par le reflux et la chute finale du dernier des califats, il descend de la plus fine aristocratie ottomane des Balkans : son ancêtre Izetbeg Jahić, un noble de Belgrade, s’est installé dans le vilayet ottoman de Bosnie après le retrait des dernières troupes musulmanes de Serbie. Les Izetbegović ont, par la suite, conservé des liens très forts avec la Turquie : alors que le grand-père d’Alija servait dans l’armée du sultan à Istanbul, il a ainsi épousé une femme turque avant de s’installer avec elle à Bosanski Šamac. Devenu maire de cette petite bourgade de province, l’homme s’est fait connaître et respecter non seulement de ses coreligionnaires musulmans, mais également des Serbes orthodoxes, après avoir sauvé quarante des leurs des représailles aveugles des autorités austro-hongroises après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand par un nationaliste serbe, en juin 1914 — l’événement à l’origine de la Première Guerre mondiale.

Durant la Première Guerre mondiale, justement, le père d’Alija, Mustafa Izetbegović, est mobilisé dans l’armée austro-hongroise et combat sur le front italien, dont il revient — comme beaucoup — semi-paralysé. Après une faillite professionnelle, en 1928, il s’installe avec sa famille à Sarajevo, la plus grande ville de Bosnie, où ses enfants reçoivent une éducation essentiellement profane et non religieuse. Malgré tout, en 1941, à seize ans à peine, Alija Izetbegović prend déjà part à la fondation d’une association islamique créée sur le modèle des Frères Musulmans égyptiens — les « Jeunes Musulmans » (Mladi Muslimani). En pleine Seconde Guerre mondiale, la région est alors divisée entre trois forces en présence, dans un chaos qui semble inextricable : l’Allemagne nazie, qui a envahi les Balkans, et ses collaborateurs locaux, le régime nationaliste croate des Oustachis et la division Waffen-SS Handschar, formée en grande partie de soldats bosniaques musulmans, sous la houlette du grand mufti de Jérusalem, Amîn al-Husaynî; les nationalistes et royalistes serbes, les Tchetniks ; et enfin, les partisans communistes yougoslaves menés par Tito — chacun des camps faisant copieusement usage du massacre de civils et, dans le cas des Oustachis, d’un véritable nettoyage ethnique de grande ampleur. Quoi qu’Alija Izetbegović, à peine sorti de l’adolescence, semble se tenir soigneusement à l’écart de l’un ou l’autre de ces camps, il est arrêté par les Tchetniks en 1944, mais relâché par gratitude envers le rôle de son grand-père dans la libération des otages serbes, trente ans plus tôt — dans la région, on a la mémoire longue.

Après la guerre, Izetbegović, qui a entre-temps obtenu un diplôme en droit de l’université de Sarajevo, est néanmoins arrêté en 1946 par les communistes yougoslaves, accusé — à tort, et sans la moindre preuve — d’avoir collaboré avec l’occupant nazi et condamné à trois ans de prison — une incarcération précoce qui semble surtout liée à son opposition au nouveau régime socialiste de Tito et à son activisme considéré comme une forme « d’extrémisme islamique ».Après avoir purgé sa peine, et tout en exerçant son métier d’avocat, Alija Izetbegović n’en reste pas moins engagé en politique — toujours dans une forme d’opposition plus ou moins ouverte au pouvoir. Organisateur d’activités éducatives et sociales islamiques, entre autres conférences et écrits, il est pendant plusieurs décennies une source constante d’inspiration intellectuelle et spirituelle pour des milliers de jeunes musulmans bosniaques.

Son activisme prend une nouvelle dimension avec la publication, en 1970, d’un essai à la fois religieux, moral et politique, « Le manifeste islamique », où il exprime ses opinions sur la relation entre l’Islam, l’État et la société, lance un appel au renouveau islamique et à la fondation d’un État sur cette base, et appelle à concilier la tradition musulmane, le progrès scientifique et la modernisation. En somme, par cette œuvre théorique, Izetbegović veut montrer comment l’Islam et l’État islamique peuvent exister dans le monde moderne. Naturellement, ces écrits ne sont guère au goût du pouvoir yougoslave, qui interdit aussitôt l’ouvrage. Ce n’est pourtant que treize ans plus tard, en avril 1983, qu’Alija Izetbegović et douze autres militants musulmans bosniaques sont arrêtés et jugés par un tribunal de Sarajevo au titre de différents chefs d’accusation : on les accuse, pêle-mêle, de conspirer pour refor-mer l’organisation interdite des « Jeunes Musulmans », de chercher à fonder et bâtir un État islamique en Bosnie, de «propagande hostile» et «d’attaques contre le socia- lisme», de «digressions fondamentalistes», d’avoir organisé une visite à un congrès islamique en Iran, ou encore «d’association à des fins d’activité hostile inspirée par le nationalisme bosniaque». Après une parodie de procès à la manière de la «justice» expéditive des régimes de l’Est, la sanction tombe pour notre auteur : quatorze années d’emprisonnement. En Occident, le verdict est très largement condamné comme une atteinte aux droits de l’Homme et à la liberté religieuse; c’est l’époque où les mouvements islamiques sont perçus comme des alliés naturels à l’Ouest, dans le contexte de la guerre froide face au communisme athée. Face au tollé international, la peine d’Izetbegović, dont l’on reconnaît qu’il n’a ni usé ni préconisé l’usage de la violence, est donc réduite à douze ans. Mais seulement cinq ans plus tard, en 1988, le bloc de l’Est vacille et le régime yougoslave entre, comme toutes les nations communistes à bout de souffle d’alors, dans une période de réforme et de libéralisation. Dans le cadre de cette tentative d’apaisement visant à sauver ce qui peut encore l’être, Izetbegović est gracié et libéré, quoique sa santé ait durement souffert de ces années d’emprisonnement, à soixante ans passés.

Quoi qu’il en soit, l’ouverture du système politique yougoslave à la démocratie et au multipartisme incite Izetbegović et ses camarades à fonder, dès 1989, un parti politique, la SDA (Stranka Demokratske Akcije — « Parti d’Action Démocratique»), pour défendre au mieux les intérêts des Bosniaques musulmans, tandis que les Serbes et les Croates du pays créent également les leurs sur une base ethnique. Dès les premières élections libres, le SDA remporte un tiers des sièges et la plus grande part des voix ; puisque, selon la constitution de Bosnie, les trois nations constitutives doivent se partager une présidence tournante multiethnique, Izetbegović devient alors le premier président du pays, qui est encore une partie inté- grante de la Fédération de Yougoslavie. Mais ces accords de partage du pouvoir s’effondrent vite avec l’explosion des tensions ethniques qui suivent les premiers combats entre Serbes et Croates dans la Croatie voisine, à l’été 1991. Pour éviter que la Bosnie ne sombre à son tour dans la guerre, Izetbegović propose une confédération aux liens très souples entre les trois communautés — une solution pacifique afin d’éviter le bain de sang. Mais les nationalistes serbes acèrent leurs armes et se préparent déjà à l’affrontement, car les revendications rivales des uns et des autres sont fondamentalement incompatibles : Bosniaques musulmans et Croates veulent une Bosnie indépendante, tandis que les Serbes souhaitent qu’elle demeure dans un reliquat de Yougoslavie dominé par eux-mêmes.

En février 1992, Alija Izetbegović organise un réfé- rendum sur l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine qui recueille 99,4 % de votes favorables sur 63 % des inscrits — les Serbes ayant boycotté le scrutin. Le 3 mars de la même année, il déclare officiellement l’indépendance de son pays, rapidement reconnue par les Européens et les Américains. Pendant ce temps, les Serbes ont quitté le gouvernement et sont prêts à engager l’épuration ethnique des populations musulmanes qui leur octroiera, pensent-ils, la « Grande Serbie » dont ils rêvent : la guerre est inévitable. Étrangement, le très idéaliste Izetbegović a semble-t-il pensé jusqu’au dernier moment que l’affron- tement armé serait évité, et l’armée bosniaque n’est donc en rien préparée lorsque les premiers combats éclatent. Face à des musulmans qui n’ont qu’un fusil pour deux hommes, les forces serbes de Bosnie, qui bénéficient de tout le matériel militaire de l’ancienne armée yougoslave, prennent donc rapidement le contrôle de vastes régions du pays, s’attaquant au passage systématiquement à la population civile musulmane qui est chassée, massacrée, violée ou détenue dans des camps, tandis que maisons et mosquées sont incendiées et détruites. Pire : les Croates de Bosnie, initialement alliés aux Bosniaques, se retournent contre eux et cherchent à se tailler leur propre «Grande Croatie» à coup, eux aussi, de nettoyage ethnique — c’est notamment dans le cadre de ces combats et massacres que le célèbre pont de Mostar est détruit. Seuls et isolés, les Bosniaques ne contrôlent plus qu’un quart du territoire du pays et semblent en voie d’annihilation. Alija Izetbegović, qui vit pendant trois ans et demi dans un Sarajevo assiégé et encerclé par les forces serbes, tient la barre comme il le peut dans cette situa- tion d’une extrême confusion et dénonce l’inaction de l’Occident qui observe les pires crimes de guerre depuis la Seconde Guerre mondiale sans réagir sérieusement — les Casques bleus ne servant guère que de caution human
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Le monde moderne se caractérise par une confrontation idéologique très prononcée. Nous en sommes tous partie prenante — que ce soit en tant que participants ou en tant que victimes. Quelle est la place de l’Islam dans cette gigantesque confrontation?

A-t-il un rôle à jouer dans le modelage du monde présent?

Ce livre tente en partie de répondre à cette question.

Il n’existe que trois visions intégrales du monde : la vision religieuse, la vision matérialiste, et la vision islamique.

Elles reflètent trois possibilités élémentaires (la conscience, la nature et l’Homme), chacune d’entre elles se manifestant sous la forme du christianisme, du matérialisme et de l’Islam. Tout l’éventail d’idéologies, de philosophies et d’enseignements, depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, peut être résumé et ramené à l’une de ces trois visions fondamentales du monde. La première prend comme point de départ l’existence de l’esprit; la seconde, l’existence de la matière; et la troi- sième, l’existence simultanée de l’esprit et de la matière. Si seule la matière existait, alors le matérialisme serait la seule philosophie conséquente. À l’inverse, si l’esprit existe, alors l’Homme existe aussi, et la vie de l’Homme serait insensée sans une forme de religion et de morale. L’Islam est le nom de l’unité de l’esprit et de la matière, dont la forme la plus élevée est l’Homme lui-même. La vie humaine n’est complète que si elle inclut à la fois tant les désirs physiques que spirituels de l’être humain. Tous les échecs de l’Homme se résument soit à la négation religieuse des besoins biologiques de l’Homme, soit à la négation matérialiste des désirs spirituels de l’Homme.

Nos aïeux avaient l’habitude de dire qu’il existait deux substances : l’esprit et la matière, des termes par lesquels ils entendaient deux éléments, deux ordres, deux mondes, avec des origines différentes et des natures différentes, qui n’émergent pas l’une de l’autre, et ne peuvent être réduites l’une à l’autre. Même les plus grands esprits du monde n’ont pu éviter cette différenciation; toute- fois, leur approche était différente. L’on peut imaginer ces deux mondes comme séparés dans le temps, deux mondes successifs (« la vie présente et la suivante »), ou les regarder comme deux mondes simultanés, différents par leur nature et leur sens, ce qui est plus proche de la vérité.

Le dualisme est le sentiment humain le plus proche de nous, mais il ne s’agit pas nécessairement de la philosophie humaine la plus élevée — au contraire, même, puisque toutes les grandes philosophies ont été monistes. L’Homme fait l’expérience du monde de manière dualiste, mais le monisme se trouve dans l’essence de toute pensée humaine. La philosophie est en désaccord avec le dualisme. Cependant, ce fait ne signifie pas grand- chose, car la vie, étant supérieure à la pensée, ne peut être jugée à l’aune de cette dernière. En réalité, puisque nous sommes des êtres humains, nous vivons deux réalités. Nous pouvons nier ces deux mondes, mais nous ne pouvons y échapper. La vie ne dépend que très peu de la manière dont nous la comprenons.

Par conséquent, la question n’est pas de savoir si nous vivons deux vies, mais seulement de savoir si nous le faisons avec compréhension. C’est en cela que réside le sens ultime de l’Islam. La vie est duelle. Il est devenu techniquement impossible à l’Homme de vivre une seule vie depuis le moment où il a cessé d’être une plante ou un animal, depuis le temps du qâlû bala, lorsque les normes morales furent établies, lorsque l’Homme fut « jeté dans le monde».

Alija Izetbegović

L’Islam entre Orient et Occident p29,30 et 31 éditions Héritage
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Présentation du livre par Thomas Sibille de la Librairie al-Bayyinah "L'Islam entre Orient et Occident" de Alija Izetbegovic aux Editions Héritage.
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