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Critique de isasymai


Que des Africains aient participé de façon active à la traite négrière n'est pas un sujet si souvent abordé bien que connu. Dans cet essai Randy J.Sparks, professeur d'histoire à l'université de Tulane en Louisianne, nous en démontre la réalité à partir de l'exemple d'Annamaboe, simple petit port de pêche de la Côte de l'Or (actuel Ghana) qui devint à partir du XVII ème siècle mais surtout du XVIII la plaque tournante du commerce triangulaire de cette partie de l'Afrique.
Ce sont les Portugais qui les premiers s'installèrent sur la Côte de l'Or vers 1430 pour y faire commerce de diverses denrées mais surtout de l'or. Ils y introduisirent entre autre, la culture du maïs.Suivront les Hollandais puis les Anglais.Tout au long du XVII ème Annamaboe dépend politiquement des villes de l'arrière pays et ne joue pas de rôle politique important. Tant que le commerce de l'or prédomina les états de l'intérieur eurent l'avantage. Mais avec l'essor de la traite négrière, l'équilibre des pouvoirs se modifia au profit des états du littoral. Annamaboe se transforma. Elle contrôlait un riche arrière pays où le maïs et d'autres denrées étaient cultivées, en faisant une escale obligées pour les navires négriers en partance pour les divers états d'Amérique.
Deux fortes personnalités contribuèrent à l'essor d'Annamaboe. John Corantee commandant militaire de l'ethnie Fante, commerçant prospère et fin diplomate. Corantee n'était pas simplement un marchand d'esclaves mais un négociant qui vendait des marchandises européennes dans l'arrière pays et y achetait des esclaves qu'il transportait sur la côte. Fin politique, il n'avait pas hésité à envoyer deux de ses fils, un à Paris, l'autre à Londres (celui qui est sur la couverture du livre) afin d'avoir des renseignements de première mains pour de mieux manipuler les rivalités des nations européennes.Par les guerres incessantes qu'il livra aux états voisins, il contribua à réduire en esclavage des milliers d'africains dont lui et sa famille tirèrent des revenus considérables, occupant une place aussi importante que les européens dans cette économie de la traite.
L'autre acteur important d' Annamaboe se nomme Richard Brew, natif d'Irlande. Agent de la Royal African Company et négociant indépendant, il s'établira de façn permanente sur la Côte de l'Or , se mariera avec la fille de Corantee, donnant naissance à une famille créole éminente dans l'histoire du Ghana.Il fut le marchand britannique le plus actif de la Côte de l'Or, même s'il pesta souvent d'être obligé de traiter "là où les nègres sont maîtres". Jouant les Fante contre les Ashantis, il importa pendant 20 ans des quantités gigantesques de marchandises de traite qu'il troqua contre des captifs. Il était célèbre non seulement à Annamaboé et sur la Côte, mais dans tout le monde atlantique où ses vues sur le commerce africain, largement diffusées influençèrent les politiques de Londres.
L'abolition de la traite décrétée par la Grande Bretagne en 1807 et les Etats Unis en 1808 mettra un coup d'arrêt à l'expansion d'Annamaboé. L'invasion de la ville par les Ashantis fera le reste. La ville perdit les deux tiers de sa population, l'arrière pays fut dévasté et dépeuplé. L'arrêt de la traite mit fin à ses activités économiques : sans les navires négriers venant s'approvisionner et embarquer mes captifs, la raison d'être du port disparut et Annamaboé redevint ce qu' elle était avant le commerce : une petite ville sans importance.
Dénommée à présent Anamabu, les autorités actuelles souhaiteraient en faire un haut lieu de tourisme. Sans grand succès semble t-il.
J'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique dont je remercie Babelio.
Cet essai très documenté (en atteste plus de 20 pages de notes et un glossaire en fin de livre) est très intéressant et très vivant . Ce qui ne peut laisser personne indifférent, bien que cela ait déjà été très souvent évoqué, c'est que tout au long de ces 300 pages, malgré quelque chapîtres réservés au sort des esclaves, il n'y ait question que d'argent gagné ou perdu et de marchandises.Où des gallons de rhum et des mètres d'étoffes s'échangent contre des êtres de chair et d'os sans que grand monde ne s'en émeuvent à l'époque des Lumières. Comme l'affirmait Thomas Jefferson " le principe régulateur du commerce et des commerçants, c'est l'argent, pas la morale". Ce n'est pas Thomas Thomson, premier missionnaire sur la Côte de l'Or qui le contredira lui qui décrivait la traite : " comme un commerce ouvert et public, encouragé par des actes du parlement que l'on peut justifier comme toute autre forme de commerce".
Une bien cruelle vérité, toujours d'actualité, sous des formes guère plus évoluées dans le fonds, si elles le sont dans la forme et bien que des voix s'élèvent régulièrement contre les Etats qui s'adonnent à cette pratique.
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