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Critique de mariecesttout


Dans un entretien vidéo, Jablonka parle de son travail d'historien. Il part donc ici de l'histoire de sa famille, ses grands-parents paternels ont " disparu". Tous savent qu'ils sont morts, comme tant d'autres, à Auschwitz, mais leur vie elle-même, qu'en reste-t-il? Même pas une tombe.

"Je suis parti, en historien, sur la trace des grands-parents que je n'ai pas eus. Leur vie s'achève longtemps avant que la mienne ne commence: Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers. Ils ne sont pas célèbres. Ils ont été emportés par les tragédies du XXème siècle: le stalinisme, la Seconde Guerre mondiale, la destruction du judaïsme européen."

Matès est né au shetl de Parczew de parents juifs religieux dans une fratrie de 5 enfants, qui, tous, rejettent le joug d'une religion qui les étouffe et embrassent la cause communiste, dans l'idée de construire un monde meilleur.
Lui et son épouse Idesa, emprisonnés, persécutés, fuient la Pologne et arrivent en 1936 à Paris, sans argent, sans amis, sans papiers. L'accueil est basée sur la tracasserie administrative, le rejet et les menaces d'expulsion.
C'est sûr qu'il ne faisait pas bon être juif, communiste et pauvre dans la Pologne des années 30. Quand Jablonka retourne à Parczew, pour enquêter, il rencontre le fils d'un homme qui a été fait " Juste parmi les nations" pour avoir aidé des Juifs. Pas un vrai juif, bien sûr, il n'y en a plus. En fait, les derniers Juifs survivants ont quitté la ville après le pogrom de 1946...

Matès et Idésa, comme bien d'autres ( une partie de la fratrie était partie en Argentine) , ont tenté leur chance en France, patrie des Droits de l'Homme. Clandestins, sans papiers , misérables, vivant de petits boulots, ils ont survécu tant bien que mal et eu deux enfants, dont le père d'Ivan.

Matès a été arrêté une première fois en mai 39, Ivan retrouve le registre d'écrou:

"Nous tournons les pages fébrilement. Emotion: il est là.

Je crois que je suis devenu historien pour faire un jour cette découverte. La distinction entre nos histoires de famille et ce qu'on voudrait appeler L Histoire, avec sa pompeuse majuscule, n'a aucun sens. C'est rigoureusement la même chose. Il n'y a pas, d'un côté, les grands de ce monde, avec leurs sceptres ou leurs interventions télévisées, et, de l'autre, le ressac de la vie quotidienne, les colères et les espoirs sans lendemains, les larmes anonymes, les inconnus dont le nom rouille au bas d'un monument aux morts ou dans quelque cimetière de campagne. Il n'y a qu'une seule liberté, une seule finitude, une seule tragédie qui fait du passé notre plus grande richesse et la vasque de poison dans laquelle notre coeur baigne. Faire de l'histoire, c'est prêter l'oreille à la palpitation du silence, c'est tenter de substituer à l'angoisse, intense au point de se suffire à elle-même, le respect triste et doux qu'inspire l'humaine condition. Voilà mon travail; et, en caressant cette archive du tribunal, en suivant des yeux les traces laissées par la plume du greffier, je ressens un soulagement indicible."

Et son travail, Jablonka le fait, comme un bon historien, de façon méthodique. Tout est examiné, étudié, tout peut servir à reconstituer un parcours.

Il n'est resté en prison qu'un mois, la première fois, Matès. Puis on avait besoin d'hommes , il s'est engagé. Enfin, ces bataillons n'étaient pas la bienvenue au coeur de l'armée française. Etrangers, juifs.. pour aller se faire tuer, passe encore, mais il ne fallait pas prétendre à autre chose:


"Pourtant, leur courage ne leur vaut pas d'être traités en hommes. Comme le dit le lieutenant Garandeau, du 12ème Etranger, " les Juifs polonais de nature peu courageuse, ont fait leur devoir."Valeureux youpins!"

Démobilisé, c'est la suite de la galère pour lui et sa famille. Car maintenant, c'est leur judaïté qui va les contraindre à se cacher encore et encore, espérant échapper à l'étau qui se resserre. Ils sont arrêtés le 25 juin 43, et là commence une partie de l'histoire que Jablonka n'arrivera pas à élucider. Les enfants, heureusement, ont été confiés à des amis, et une dernière lettre , déchirante, leur sera écrite.

Après, l'itinéraire connu. Drancy et terminus Auschwitz. Là aussi, que sont-ils devenus, l'historien se heurtera au mystère. du moins, partiellement. Il apprendra certaines choses, c'est une grande part du livre, cette enquête.


Comme le dit Jablonka dans l'entretien, l'histoire de ses grands-parents est d'une banalité tragique. Et leur itinéraire fait écho à tous les autres. Tous n'ont pas eu un petit fils historien , soucieux de réparer le monde" , qui a oeuvré à retrouver toutes les traces de leurs courtes existences.

En exergue:

"L'âme des pères, qui, tant de siècles, souffrirent et moururent en silence, revint dans les fils-et parla."( Jules Michelet: Histoire de la Révolution française)
"L'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie."( Georges Perec: W ou le souvenir d'enfance)



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