Existe-t-il un fantasme dans le domaine de l'épouvante qui soit aussi tenace que celui de la maison hantée ? Qui n'a jamais fait le cauchemar de se trouver dans une maison inconnue, sans aucun repère, et peut-être même soumis(e) à des phénomènes paranormaux ?
Hill House est une vieille bicoque baroque et gothique comme les architectes du XIXème siècle ont seuls su en bâtir, rivalisant de tourelles et d'échauguettes, crénelées de corbeaux en pierres de taille et ornementées d'un nombre conséquent de gargouilles, à faire pâlir d'envie une cathédrale. Or cette gentilhommière dont vous devinez sans peine l'aspect lugubre ne semble pas uniquement renfermer entre ses murs quelques chauve-souris et autres noires araignées. Le Dr Montague, chercheur dans le domaine parapsychique, est attentif aux rumeurs qui affirment qu'aucun locataire n'a pu dormir à Hill House plus de deux nuits, et il ne lui en faut pas davantage pour vouloir percer ce mystère. Convoquant à ses côtés trois jeunes gens - qui offrent toutes les apparences de la "bande à Scooby-Doo" -, le digne professeur se tient prêt à affronter les mystères de la sinistre baraque.
Ce roman d'épouvante tient toutes ses promesses. Rythmé, efficace et d'une écriture très accessible, "Maison hantée" de Shirley Jackson m'a transportée entre les murs hostiles de Hill House en compagnie de Luke, Éléonore et Théodora. Mes quelques craintes de départ - motivées par la recommandation de Stephen King le décrivant comme "le meilleur roman fantastique de ces cent dernières années" (sachant que Stephen King n'a jamais réellement réussi à me faire frisonner) -, je me suis laissée prendre au jeu des ombres et des secrets.
Une lecture divertissante dans son genre, de celles qui font courir un inhabituel frisson glacé le long de la colonne vertébrale quand on la découvre tard le soir, dans une maison solitaire... Un huis-clos au charme un peu kitsch mais addictif ; le charme discret d'un téléfilm du dimanche après-midi sur M6.
Challenge MULTI-DÉFIS 2017
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Il était bien entendu que des derniers romans que j'ai lus, un seul convenait parfaitement pour une critique en ce 31 octobre. Bien que qualifié de l'un des "meilleurs romans fantastiques du XXème siècle" par Stephen King, son adaptation cinématographique par Robert Wise, La maison du diable (The Haunting), - dont on sait d'autant moins qu'il est tiré du roman de Shirley Jackson que son titre français est nul, absolument inapproprié, et qui ferait plutôt penser à la tuerie d'Amityville - est sans doute bien plus célèbre. Il existe une autre adaptation de 1999, mais je préfère ne pas m'y référer (c'est une nullité).
La maison hantée (The Haunting of Hill House) est d'abord l'histoire d'une jeune femme, Eleanor, avant d'être celle d'une maison ou d'une expérience pseudo ou réellement scientifique. Une histoire que Shirley Jackson dirige d'une main de maître.
Le docteur Montague, docteur en anthropologie (ce qui pose des questions sur ses motivations réelles, l'anthropologie étant bien une science), a décidé de mener une expérience sur les manifestations surnaturelles et, en l'occurrence, sur une maison hantée. Pour ce faire, il a choisi Hill House, manoir sur lequel s'ouvre le roman, maison abandonnée par ses propriétaires depuis 80 ans et sur laquelle il se raconte nombre d'histoires. Bref, Hill House serait hantée. Par quoi, comment se manifeste la hantise, on ne le sait pas, du moins pas tout de suite. Pour son expérience, le docteur Montague a choisi de s'adjoindre les services de personnes inconnues de lui, mais dont les facultés psychiques sont censées sortir du commun. C'est ainsi qu'Eleanor et Theodora, l'une ayant subi (ou provoqué) une pluie de pierres sur sa propre maison, l'autre semblant dotée de pouvoirs télépathiques, répondent à l'invitation du docteur. L'héritier en titre de la maison, à la demande des propriétaires, complète l'équipe (ce qui est louche, et nous amènera à nous demander s'il est complice d'une supercherie, ou bien d'une étude "masquée", comme on en pratique de nos jours en psychologie sociale, par exemple).
Contrairement à Nous avons toujours vécu au château, où le personnage principal est aussi la narratrice, Shirley Jackson avait choisi pour La maison hantée (écrit plus tôt) un parti-pris différent. Elle y utilise toujours le style indirect. Or, on ne sait pas toujours très bien si on voit Eleanor du dehors, d'un point de vue distancié, ou si c'est le point de vue propre d'Eleanor qui nous est imposé. Ainsi la présentation du docteur et des protagonistes semble relever du discours d'un narrateur hors-champ. Mais très vite, on va se rendre compte que l'on suit uniquement les faits et gestes d'Eleanor, et son voyage vers Hill House, ponctué de fantasmes liés à telle ou telle maison aperçue sur la route (Eleanor n'ayant pas de maison à elle), nous fait comprendre que nous sommes bien dans l'esprit de la jeune femme. Et c'est ainsi que, durant tout le roman, Shirley Jackson joue avec le lecteur, le laissant se poser des questions sur l'expérience du docteur Montague, sur la présence des deux domestiques - dont l'une parle comme un robot, répétant les mêmes phrases quelles que soient les questions qu'on lui pose -, sur Luke, l'héritier, ou sur Theodora, qui se lie très vite d'amitié avec Eleanor.
Pour ce qui est des phénomènes paranormaux eux-mêmes, puisqu'il faut bien qu'une maison hantée en soit pourvue, il vous faudra attendre plus que la moitié du roman pour y être confrontés. Shirley Jackson sait prendre son temps, et c'est tant mieux. Mais rien que la vue de la maison est glaçante, suscite la répulsion ; sans parler de toutes les bizarreries qu'elle recèle - et qui seront expliquées rationnellement par le docteur, du moins d'un point de vue architectural (pour le reste...) C'est une maison-labyrinthe aux angles curieux (géométrie non euclidienne ???), qui a, et il l'a dit, inspiré Stephen King pour Shining, mais peut-être encore davantage Kubrick pour le film.
Puis viennent les bruits, nocturnes, signes de hantise obligés propres à la fin du XIXème siècle. Une journée passe. Les inscriptions écrites avec une substance gluante rouge, qui mentionnent Eleanor, prennent le relais. Une journée passe. Les bruits reviennent, le froid s'insinue partout et persiste dans une pièce en particulier, les inscriptions et les taches rouges et gluantes se multiplient. Puis viennent les visions. Peu à peu, on voit le docteur Montague, Luke, et peut-être surtout Theodora, se comporter de manière étrange. Un passage étonnant montre Eleanor les espionnant : on s'aperçoit alors que chacun d'eux, lorsqu'il mentionne les autres occupants, ne parle jamais d'Eleanor... Eleanor passe successivement d'un sentiment affectueux à la répulsion pour chacun d'entre eux, et spécifiquement à l'égard de Theodora. Enfin, Eleanor, qui s'est toujours sentie rejetée et qui souhaite de toute ses forces être acceptée, va pousser l'expérience jusqu'à ses limites.
Histoire d'une jeune femme instable, tyrannisée pendant toute sa vie d'adulte par une mère malade qui vient de mourir, rongée par la culpabilité, et dont Hill House va révéler les failles. Roman horrifique, certes, mais roman bien tout autant psychologique, La maison hantée laisse un goût amer, d'une grande tristesse.
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Hugh Crain, richissime industriel du XIXè siècle a construit Hill House, un monstrueux manoir labyrinthique et ténébreux. La légende veut que son fantôme l'habite encore, entouré des enfants qu'il retenait prisonniers dans ses usines. C'est dans cette maison que le Dr. Montague réunit la jeune et belle Theo, le vénal Luke, et Nell, jeune femme fragile, sensible et vulnérable, sous le fallacieux prétexte de les guérir de leurs insomnies chroniques. Mais le docteur, lui, veut étudier les mécanismes de la peur.
Le profond malaise qui caractérise ce roman est à tel point contagieux que le lecteur devient instantanément le cinquième protagoniste de cette histoire. A moins que la maison, Hill House, ne soit celui-là... Car jamais un édifice n'a été ainsi personnifié, incarné, rendu... vivant ! Porte déformée, escalier brinquebalant, statues aux visages effrayants, corridor interminable, bruits sourds et rires démoniaques se succèdent dans le plus simple appareil, ceci n'empêchant nullement nos épidermes de frémir à ces sensations parfaitement reproduites. Finement alcoolisée de peurs, La maison hantée oscille régulièrement entre une atmosphère lourde et des récurrences liées à nos terreurs ancestrales le tout dans une sobriété sincère collant admirablement avec le contexte. le climat oppressant, la paranoïa ambiante, l'angoisse qui suinte même des murs aux perspectives affolantes car improbables. Et cette porte qui n'en finit pas de se déformer sous la pression d'une force mystérieuse, jusqu'à devenir une véritable bulle de bois... Cette porte, justement, Jackson ne l'ouvre jamais, aucun monstre, aucune apparition ne viendra apaiser notre imagination galopante. Car c'est là le pouvoir hypnotique et terrorisant de ce récit : faire de notre esprit un cheval fou lancé dans une frénésie spéculative...
Cependant plus qu'une histoire de maison hantée, ce roman est aussi le portrait d'une femme qui perd peu à peu la raison en se laissant progressivement dépasser par les événements. Ainsi à travers la description de la folie d'Eleanore dite Nell, le récit semble rester volontairement ambivalent en progressant à la fois sur un mode objectif qui décrit une action autonome de la maison alors qu'au point de vue d'Eleanor dont la nervosité, la culpabilité et l'exaltation morbide ne cessent d'augmenter durant toute l'intrigue, on peut penser alors à travers un mode subjectif que les événements paranormaux sont le fruit de la sensibilité pathologique de certains de ses hôtes. Car c'est peu dire que "La Maison hantée" est fortement empreint de psychanalyse. le concept freudien de l'inquiétante étrangeté parcourt tout le livre. Ce retour du refoulé lié aux expériences infantiles en rapport avec la relation parents/enfant et qui se rappelle à nous dans quelque chose de familier, c'est dans les grandes lignes ce qui arrive à Eleanor. Son arrivée à Hill House réveille ses peurs et ses remords envers sa mère sur laquelle elle a veillé des années durant jusqu'à sa mort, dont elle se sent en partie responsable. le manoir est comme un miroir qui lui renvoi sa culpabilité et son mal-être. Est-ce si surprenant dès lors que Hill House semble étrangement vivant, comme s'il possédait une âme qui lui était propre ?
Un roman d'épouvante intelligent et très prenant. Un chef d'oeuvre inoubliable.
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Une maison hantée, porteuse de tous les fantasmes
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Lu dans le cadre du challenge Pioche dans ma Pal d'octobre, choisi par @fuyating .
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Le thème est de saison puisqu'on approche d'Halloween, nuit où les créatures surnaturelles sortent du bois.
Ce roman classique de l'épouvante ne comporte pourtant pas de personnages maléfiques ou d'êtres féeriques. Mais bien de phénomènes paranormaux. On pourrait presque penser au film "Poltergeist" tant l'héroine du roman semble possédée par un esprit vengeur de maison.
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Qu'en est-il de l'intrigue? Hill House est un manoir du 19e, construite par un industriel féru d'architecture gothique. Le hic est à l'intérieur. Des phénomènes terrifiants sont le lot de cette maison.
Justement, un célèbre professeur/écrivain/spécialiste des sciences occultes la loue et propose à deux jeunes gens de participer à une recherche.
Un quatuor hétéroclite campe donc dans cette demeure pour quelques semaines. Le professeur, Nell la timide jeune femme, Théodora la vamp ainsi que Luke le futur héritier.
D'évènements étranges en faits inquiétants, la vie à Hill House suit son cours jusqu'à un point de non-retour.
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Je l'ai lu en 3 nuits, couchée chaudement dans mon lit. Je voulais me faire peur. Le deuxieme matin était folklorique puisque j'avais la sensation bizarre de vols d'objets. J'ai bien erré plusieurs minutes dans la chambre en ayant des réminiscences d'évènements lus la veille. Comme quoi, il a fait son petit effet !
Mais malgré la bonne réputation de ce classique, j'ai tout de même été un poil déçue. Il faut dire que j'ai visionné la série TV éponyme (parue sur Netflix récemment) racontant cette histoire. (enfin une adaptation assez libre puisque le synopsis est complètement différent.) . Pour une fois, j'ai préféré la série (effets visuels et auditifs m'effrayant bien souvent):).
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Je peux quand même vous dire que j'ai beaucoup apprécié la psychologie des deux jeunes femmes (ainsi que la thématique psychiatrique sous-jacente). On observe un malaise grandissant jusqu'à ce fameux point de non-retour. Il est clair que cette maison est carrément horrifique. Le riche vocabulaire permet de bien s'immerger (et je pense que la version originale est encore plus jouissive).
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Je recommande aux aficionados des fans de Lovecraft , mais pas aux amateurs d'hémoglobine ou zombies.
J'ai entamé de suite ses nouvelles (la Loterie et contes noirs) pour me remettre dans l'ambiance creepy.
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- C'est l'endroit idéal pour pique-niquer. Le déjeuner au bord de l'eau, sans oublier les œufs durs.
- La salade de poulet et le gâteau au chocolat, ajouta Théodora en riant.
- La limonade dans un thermos. Et le sel, pour le renverser.
Théodora roula voluptueusement sur elle-même.
- Tout ce qu'on raconte sur les fourmis est faux. Il n'y a pratiquement jamais de fourmis. Des vaches, sans doute, mais je ne me rappelle pas avoir jamais vu la moindre fourmi pendant un pique-nique.
- Par contre, est-ce qu'il n'y a pas toujours un taureau dans un pré ? Et quelqu'un qui dit : attention, on ne peut pas passer par ce pré-là, il y a un taureau ?
Aucun oeil humain n'est capable d'isoler l'élément précis, qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison. Il y avait là cependant un je-ne-sais-quoi - une juxtaposition insensée, un angle mal conçu, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture -, par lequel Hill House respirait le désespoir. Vision d'autant plus terrifiante que la façade semblait en éveil, avec ses fenêtres sombres évoquant les yeux d'un vigile, surmontées de temps à autre par le sourcil inquiétant d'une corniche. Presque n'importe quelle maison, saisie dans une perspective inhabituelle, peut revêtir un air éloquent. Une malicieuse petite cheminée, une lucarne pareille à une fossette, et le visiteur se sentira happé dans une sorte de connivence. Mais une maison qui exhale l'arrogance et la haine, qui jamais ne baisse la garde, ne peut être que mauvaise. Hill House paraissait s'être construite toute seule, s'érigeant selon ses propres plans entre les mains de ses bâtisseurs. Elle avait surgi par sa propre volonté et dressait sa gigantesque tête contre le ciel, sans rien concéder à l'humanité. C'était une maison dénuée de bienveillance, qui n'était pas destinée à être habitée, ne pouvait accueillir ni amour ni espoir.
Eleanor Vance avait trente-deux ans lorsqu'elle arriva à Hill House. Depuis le décès de sa mère, sa sœur restait la seule personne au monde pour qui elle éprouvât véritablement de la haine. Elle n'aimait pas non plus son beau-frère, ni sa nièce, âgée de cinq ans. Elle n'avait pas d'amis. Tout cela à cause des onze années qu'elle avait passées à soigner une mère invalide. Outre qu'elle était ainsi devenue infirmière autodidacte, elle souffrait désormais d'une sensibilité extrême à la lumière. Elle ne se souvenait pas d'avoir jamais été vraiment heureuse au cours de sa vie d'adulte. Son existence aux côtés de sa mère s'était religieusement ourdie autour de petites culpabilités, de reproches mesquins, noyés dans une lassitude permanente et un désespoir sans fin.
Le docteur désigna la porte d'entrée. "Chaque angle de la maison est légèrement faussé. Hugh Crain devait avoir horreur des gens raisonnables et de leurs maisons à angles droits. Il a donc construit celle-ci à l'image de son propre esprit. Tous les angles que vous croyez droits - parce que vous êtes habitués à voir des angles droits et que vous avez toutes les raisons de penser qu'ils le sont -, tous ces angles ont en réalité une fraction de degré en plus ou en moins. Je suis sûr, par exemple, que vous croyez être assis sur des marches parfaitement horizontales, parce que vous n'imaginez pas que des marches ne puissent pas être de niveau..."
Aucun œil humain n'est capable d'isoler l'élément précis, qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison. Il y avait là cependant un je-ne-sais-quoi – une juxtaposition insensée, un angle mal conçu une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture – par lequel Hill House respirait le désespoir. Vision d'autant plus terrifiante que la façade semblait en éveil, avec ses fenêtres sombres évoquant les yeux d'un vigile, surmontées de temps à autre par le sourcil inquiétant d'une corniche.
The Haunting (1999) Theatrical Trailer