La colère, la rage, la haine étaient les sentiments légitimes que tout individu ayant vécu cette horreur, toute cette souffrance, aurait dû ressentir. Pourtant, malgré les centaines de lignes durant lesquelles son patient avait très méticuleusement décrit les différents sévices qu’il avait subis, jamais Charly n’avait évoqué son ressenti. Aucune émotion ne se dégageait de ses notes. Ce qui était assez troublant. Son jeune patient gardait tout en lui, et c’était le rôle du psychanalyste de l’aider à exprimer cette douleur, la faire sortir pour exorciser ses démons. Il en allait de sa santé mentale.
" C’est un combat terrible qui se produit entre deux loups. Le premier est mauvais, il n’est que colère, envie, tristesse, regret, avidité, arrogance, auto-apitoiement, culpabilité, ressentiment, sentiment d’infériorité, mensonges, faux orgueil, sentiment de supériorité et ego. Alors que le second loup n’est que bonté et joie, paix, amour, espoir, sérénité, humilité, bienveillance, empathie, générosité, vérité, compassion et foi. C’est une bataille intérieure vécue par chacun d’entre nous sur cette Terre. Ce terrible combat se passe aussi en toi, et à l’intérieur de chacun."
Charly se doutait que le docteur Beaugendre était un très bon observateur, et qu’il remarquait les moindres détails. Pas étonnant qu’il ait pu lire entre les lignes du manuscrit et combler les blancs. Malgré les non-dits, il avait pu traduire ce que son patient ne disait pas mais qui se ressentait à travers son texte. Sa colère ! Bien que Charly ne cherchât manifestement pas à traduire cette rage en rédigeant ses lignes. Il avait essayé d’être le plus factuel possible, mais le docteur Beaugendre, fin limier, avait su extrapoler.
Cette femme égoïste et sans cœur n’avait éprouvé aucun remords quand son fils unique avait connu un destin tragique, et elle n’en éprouvait pas plus de savoir son petit-fils condamné lui aussi à subir un sort identique s’il demeurait dans le monde où sa mère le faisait grandir.
Elle n’avait donc pas le temps de s’occuper d’un enfant, et avait laissé son fils unique aux bons soins de nourrices qui s’étaient acquittées au mieux de leur tâche. Mais l’affection d’une nourrice, aussi sincère qu’elle fût, n’était pas celle d’une mère.