Je termine l'année sur ce beau livre d'
Iman Mersal.
C'est l'histoire d'une quête et d'une rencontre par-delà le temps. L'auteure s'est mise sur la piste d'Enayat Zayyat, une écrivaine égyptienne, morte à 26 ans le 3 janvier 1963. Dans quelques jours, il y aura soixante ans.
Les raisons de la quête ne sont pas explicites. Elles semblent venir du trouble causé par la lecture de l'unique roman d'Enayat, L'amour et le silence. Cela cadre bien avec le refus de l'auteure d'écrire une biographie. C'est bien plutôt le récit de ses recherches qu'elle nous livre, avec ses déceptions, ses impasses, ses fausses pistes, mais aussi ses découvertes et ses révélations. Il en ressort un portrait fragmentaire dont elle ne cherche pas à combler les manques. Au contraire, elle tente de leur donner un sens.
Pour arriver à cela, elle entremêle plusieurs approches.
Cela commence par la généalogie bien sûr, difficile à établir, et qui montre l'effacement d'Enayat (la photo de couverture est floue).
Puis viennent les rencontres avec les personnes qu'elle a connues, de sa famille, de ses amis, de ses voisins. Une personnalité ressort: Nadia Lutfi, vedette du cinéma égyptien des années 1960 et meilleure amie d'Enayat.
A travers les personnalités se dessine une géographie de la trace ténue laissée par Enayat dans différents quartiers du Caire: Bab El Louk, Dokki, Zamalek, l'école allemande, l'Institut allemand où elle a travaillé, mais aussi la clinique psychiatrique où elle a été soignée. Et finalement, la recherche de la tombe dans le cimetière des Mamelouks.
L'époque est celle de la révolution de
Gamal Abdel Nasser, entre essor économique, modernité, nationalisme et autoritarisme. La condition des femmes évolue vite mais avec de nombreux contrastes.
Et bien sûr, il y a l'écriture, le roman, les nouvelles, le journal dont il ne reste que quelques bribes. L'on suit les méandres de la publication du roman, finalement édité à titre posthume quatre ans après la mort de l'auteure.
Par le prisme de cette enquête, nous apercevons quelques pans de l'histoire de l'Égypte aux 19e et 20e siècles. Et des réflexions sur le nationalisme nassérien, sur les thèmes littéraires "obligatoires" dans ce contexte. Le
rapport à l'archive est aussi évoqué, et les dédales de la bureaucratie.
Le livre d'
Iman Mersal a donc le double mérite de nous faire entrevoir une personnalité touchante et singulière et de nous introduire dans la société égyptienne.
Et finalement elle expose subtilement un moment de sa propre histoire d'auteure.
Je la rapprocherais volontiers du dernier livre celle que
Michela Marzano raconte dans son dernier livre:
Mon nom est sans mémoire. Deux de mes lectures marquantes de 2022.