Louis Claude de Saint Martin, le philosophe inconnu, a été un théosophe français de la fin du 18ème siècle. Il se détourna des pratiques théurgiques de Martinès de Pasqually, dont il avait été l'élève, pour revenir à l'homme intérieur, et découvrit alors l'oeuvre de
Jacob Boehme dont il allait devenir, malgré les difficultés du style, le traducteur. L'auteure de cette étude insiste beaucoup sur la valeur poétique des écrits de Saint Martin, du rôle joué au sein d'un processus de régénération par le langage. Il faisait un usage parfois excessif des métaphores - véritables jaillissements qu'il compare à des éclairs ou des étincelles, manifestations du centre de son être - marquant ainsi son originalité par rapport à un idéal classique qui était encore en vigueur. Saint Martin, en donnant une grande liberté à son imagination, annonce le Romantisme. L'auteure souligne aussi les aspects dramatiques de ses écrits. En héritier de la Gnose, Saint Martin voit la matière comme une prison. le monde de la chute est le lieu de la privation, de l'informe, du désordre, de l'illusion et du mensonge, et l'homme est happé par ce monde. Mais en même temps il peut par le jeu de ses facultés revenir à l'unité primordiale, à l'harmonie qui fut celle d'Adam. Il y a donc chez lui une sorte d'ambivalence, « l'homme du torrent » à côté de «
l'homme de désir », le désir étant ici associé au Divin. Saint Martin a été aussi un homme de son siècle. Bien que d'une inspiration différente, son oeuvre ne marqua pas une opposition radicale au rationalisme des lumières. Il était curieux des nouveautés des sciences et partageait avec les philosophes du siècle une certaine rigueur intellectuelle et morale, et une liberté de pensée. Il fut un admirateur de Rousseau. Quant à la Révolution Française sur laquelle il laissa un récit curieux « le crocodile », un poème « épico-magique », il y voyait l'acte de la providence, une sorte de jugement dernier, avec d'une part les châtiments d'un ancien régime coupable de ses excès et de son égoïsme et de l'autre les possibilités d'une société nouvelle, un élan vers le progrès et la fraternité. Bref, Saint Martin a été un « illuminé » attachant, orignal et prolixe, et ses ouvrages, d'une grande qualité littéraire, méritent sûrement d'être redécouverts. C'est en tout cas l'envie que donne cette étude qui peut aussi servir d'introduction.