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4,09

sur 790 notes
Même si l'on n' avait qu'une vague idée de cette affaire qui défraya la chronique dans les années cinquante, il est certain qu'en refermant les 700 et quelques pages de ce récit, on n'est pas prêt d'oublier ce drame. Et tout cela grâce au talent de Philippe Jaelana, qui, avec un acharnement à la hauteur de celui des charognards qui ont démoli torchon après torchon la moindre chance que la jeune femme s'en sorte.
Certes, elle a tué son amant. Certes l'auteur est entièrement dévoué à sa cause. Mais tout de même, on est estomaqué par ce que l'on apprend. Quand Pauline prétend qu'elle est maudite, on la croirait presque. Un père froid qui lui donne toute jeune la solution pour rester digne devant l'échec : le suicide! Gageons que ces principes éducatifs ne constituent pas une base fiable pour une personnalité solide. Rajoutons à cela une probable faille narcissique qu'a provoqué ce milieu peu aimant, et la suite s'inscrit dans une logique imparable. Donc il y a mort d'homme et il y a pathologie psychiatrique, l'histoire est assez simple.

Mais là où on hallucine, c'est sur la légèreté inouïe de l'enquête, la détermination sans faille de la partie civile de prouver que l'on a affaire à un monstre, et l'acharnement de la presse qui colporte rumeurs et suppositions et se nourrit de ses propres mensonges pour noircir le tableau et démolir l'accusée. Même sans trouble de la personnalité , qui pourrait se relever un tel lynchage?

Et c'est là que le travail d'analyse de l'auteur ( que l'on aurait bien aimé constater a posteriori de la part des abrutis incompétents qui ont bâclé leur boulot à l'époque : on n'avait pas l'ADN, certes, mais l'analyse de la balistique, ça fait quand même un bail qu'on connaît, non?). Philippe Jaenada, comme le précise un extrait de critique, retourne chaque pierre, étudie chaque échange, reconstruit les faits, épluche les témoignages ( et là aussi, le traitement qui en a été fait lors du procès donne une piètre image de la justice française de cette période).

Justement parlons-en de la période : la France sort de la guerre qui a fait bien des victimes, et qui n'a pas contribué à mettre en valeur la grandeur d'âme de nos concitoyens. Et l'affaire semble concentrer la rancoeur qu'a le peuple à l'égard de ses propres ignominies. Cela fait partie de la malédiction déjà évoquée

Enfin et c'est sans doute ce qui vaut les cinq étoiles : c'est un récit drôle, malgré la noirceur de l'histoire! D'autres auteurs se sont penchés sur ce destin tragique, mais ici le ton est très ironique, vis à vis des professionnels qui ont précipité Pauline vers sa fin cruelle. Philippe Jaenada réinvente les patronymes par respect pour les familles, mais n'épargne cependant pas les hyènes et les vautours. Et ce ton, drôle , décalé, irrespectueux y compris sur le mode de l'autodérision que l'auteur pratique dans des digressions hautes en couleurs) est justement ce qui constitue le plus bel hommage que l'on puisse faire à la coupable (ou victime ?). Et l'on imagine pas qu'il puisse y avoir le moindre conflit d'intérêt dans cette plaidoirie bien à distance du drame, alors que la plupart des protagonistes ont contribué à l'entropie générale et redistribué les atomes de carbone qui les constituaient .

Cette liberté d'écriture et d'opinion est réellement réjouissante et il y a fort à parier que les autres écrits de l'auteur rejoindront mes projets de lecture

Un petit bémol : les histoires des co-détenues, avec qui Pauline s'est liée, alourdissent le propos sans apporter un éclairage utile.

Challenge pavés 2015-2016

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Après le remarquable « Sulak », Jaenada se lance dans un travail gigantesque, pour démontrer que Pauline Dubuisson (accusée du meurtre de Félix Bailly en 1951, son ex petit ami), a été victime non pas d'une erreur judiciaire mais d'un procès honteusement à charge. Va alors s'abattre sur la jeune femme un flot de haine, de mensonges, de détournements de témoignages pour en faire une coupable calculatrice, froide et orgueilleuse. du pain béni pour une société misogyne ou l'émancipation féminine était vu comme un terrible fléau.
En plus de 700 pages (ne vous effrayez pas, ça se lit tout seul), Jaenada met en contradiction ces accusateurs, s'appuyant sur l'énorme travail de recherches effectué. Pauline Dubuisson le paiera toute sa vie (bien courte il est vraie), le trio de justice et la presse bien pensante se chargeant de la représenter de la pire des manières.
Avec le ton qu'on lui connait, Jaenada allège son récit d'évènements propres à sa propre vie, son humour toujours bienvenu en habille certains pour plusieurs hivers, même si parfois son empathie pour Pauline, lui fait écrire des vacheries gratuites sur certains protagonistes. Mais « La petite femelle » est avant tout un remarquable travail du meilleur avocat qu'aurait aimé avoir Pauline. Sa vie n'aura été que tragédies et injustices. Philippe Jaenada ne la réhabilite pas, il montre simplement que son procès n'aura été qu'une vague fumisterie. Et que «La petite femelle » méritait bien ce gros pavé. Passionnant.
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C'est un pavé, un sacré pavé de sept cent pages bien remplies.
Mais ce n'est pas une brique, il se lit (presque) d'une traite.
Ce n'est pas un roman, ce n'est pas une biographie, ce n'est pas une fiction : ce livre est inclassable.
Philippe Jaenada raconte qu'un jour quelqu'un lui a apporté le livre "Les femmes criminelles au 20ème siècle" et dit : "feuilletant distraitement ce livre, je tombe sur le chapitre consacré à Pauline Dubuisson et, là, je tombe en arrêt devant sa photo. C'est une photo d'elle prise pendant son procès, elle est sur le banc des accusés, elle ne baisse pas la tête et elle regarde droit devant elle. A l'époque, ce cliché avait précisément été utilisé dans la presse pour illustrer sa prétendue arrogance, pour montrer qu'elle ose toiser les hommes."
Le personnage fascine l'auteur : c'est décidé, il va en faire le sujet de son prochain ouvrage.
À quoi tient l'inspiration quelquefois !

Philippe Jaenada s'est passionné pour Pauline Dubuisson et a réalisé un extraordinaire travail de documentation. Il s'est plongé dans les témoignages de l'époque, les dossiers de police, le dossier d'instruction, et a passé une année à tout décortiquer.
On peut dire qu'il connaît Pauline Dubuisson mieux que personne et tout ce qu'il a appris l'a amené a s'attacher à elle, à développer de l'empathie pour elle, et finalement, lui a donné envie de la défendre, plus d'un demi-siècle plus tard, bien mieux que ne l'avait fait son avocat.
Ce livre à part est une longue plaidoirie en faveur de cette accusée maudite, rejetée parce qu'elle ne se pliait pas aux conventions.
Pauline, femme émancipée, en avance sur son temps, que la bonne société condamne pour se donner bonne conscience.

Pauline est coupable, Philippe Jaenada ne le nie pas. Mais selon la loi, elle aurait dû avoir un procès équitable. Or, il ne l'a absolument pas été.
L'auteur révèle tout, preuves et arguments à l'appui : les incohérences, les faux témoignages, les fausses accusations, les sous-entendus malfaisants, les ragots puants. Il démonte d'une façon magistrale toute la mécanique de ce procès nauséabond. On s'aperçoit que chaque détail compte : un mot pour un autre, une approximation, et c'est tout un témoignage qui bascule dans l'autre sens.
Il est terrifiant de voir comment on peut s'acharner ainsi sur une personne, travestir la vérité, mentir et cacher ce qui ne va pas dans le "bon" sens pour faire de Pauline Dubuisson un portrait au vitriol et combler un public avide de sensations.
Philippe Jaenada, à travers un cas particulier nous offre une belle réflexion sur le fonctionnement de la machine judiciaire et nous fait prendre conscience du caractère très fragile de la justice.

Emporté par son élan, mu par sa fascination pour Pauline, il en fait quelquefois un peu trop, mais le lecteur passionné lui pardonne. du moins, c'est ce que j'ai fait, sans hésitation.
En tout cas, si Pauline Dubuisson avait eu Philippe Jaenada comme avocat, le procès n'aurait certainement pas pris la même tournure.
L'auteur manie beaucoup l'ironie et utilise un style assez particulier pour glisser dans son texte un tas de petites réflexions pour démonter la mécanique qui s'est mise en marche contre l'accusée. Cette façon de rédiger surprend au début, les phrases étant parfois à rallonge et remplies de parenthèses imbriquées. Ce n'est pas gênant du tout, et donne au livre un caractère très original. Les idées sont quelquefois mélangées dans un désordre qui n'est qu'apparent, mais tout est parfaitement maîtrisé et la lecture avance à un bon rythme.
J'avais été bouleversée par le roman de Jean-Luc Seigle, Je vous écris dans le noir, La petite femelle m'a totalement captivée.

N'hésitez pas à plonger à votre tour dans ce livre passionnant de bout en bout. Une fois ouvert, vous ne pourrez le refermer que lorsque vous l'aurez achevé. C'est un peu comme un bon gros plat d'hiver dont vous vous dites après que l'on vous a copieusement servi "Mais c'est trop, je ne vais jamais finir !"... et puis sans vous en rendre compte, vous videz toute votre assiette.
Pour un peu, vous en reprendriez !
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Chevalier blanc des contre-enquêtes en recherche de vérité.
Philippe Jaenada avait déjà brillamment refait l'histoire avec Sulak, destinée flamboyante d'un cambrioleur gentleman. Il revient dans un gros bouquin de 700 pages (il s'agit de s'y préparer) sur une affaire judiciaire de l'après guerre, qui déchaîna les passions dans le public, la presse et les prétoires.

Pour faire court, Pauline Dubuisson, étudiante en médecine de 26 ans, tue son amant Felix de trois balles de revolver et est condamnée à la perpétuité.
Un drame passionnel et passionnant pour une France avide de sensationnel, une instruction manifestement à charge que le recul du temps permet de décortiquer dans ses lacunes et ses contradictions.

Accumulant telle la fourmi les témoignages, les rapports judiciaires, les papiers presse, Philippe Jaenada ne laisse rien dans l'ombre, et met en lumière les incohérences des enquêtes de moralité, la part de rumeurs et de ragots, le déchaînement journalistique et la pression populaire. Il dresse un portrait de femme intime, avec réalisme et empathie, s'autorisant une psychologie de bon sens, déchargée de toute pression.

C'est un récit, dramatique et touchant, empli de vitalité par une plume caustique et ironique. L'humour et l'autodérision font bon ménage pour alléger le propos. Les fameuses digressions de l'auteur, la plupart du temps justifiées, peuvent agacer mais m'amusent beaucoup. L'écriture est décomplexée et naturelle, qui s'adresse au lecteur comme en conversation.

On peut aussi saluer un travail d'enquête approfondi, un reconstitution historique maitrisée ( la poche de Dunkerque dans la tourmente de la guerre est cinématographique).
J'ai rarement lu un auteur capable de si bien montrer son plaisir d'écrire. On sent une boulimie, les mots se bousculent, les faits s'empilent, les sentiments personnels s'intercalent, les histoires parallèles s'incrustent dans le sujet principal.

Sa fascination pour son sujet est telle que l'on peut sans doute lui reprocher de pêcher par excès. On pourrait finir asphyxié mais il nous garde captif.
Un excellent roman!
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« Les moindres actes d'une vie, anodins ou pas sur le moment, sont épinglés sur nous comme des poids de plomb le jour où on déraille et où tous les regards se tournent vers nous ».
Pour Pauline Dubuisson, née en 1927 à Malo-les-Bains, près de Dunkerque, cette affirmation se vérifie tout à fait.
C'est vrai qu'elle a eu une enfance très spéciale, entre une mère molle et un père très autoritaire imbu de Nietzche et de sa fille ; c'est vrai qu'elle a connu au sens biblique quelques Allemands durant la guerre et pour cela a été tondue à la libération ; c'est vrai qu'elle se voulait libre, sans les attaches du mariage, avec au coeur un rêve : devenir pédiatre.
Malheureusement pour elle, les hommes pétris de principes, de supériorité et d'autoritarisme se sont acharnés sur elle alors après qu'elle ait tué son ex-fiancé, un jeune homme bien sous tous les rapports (ce n'est pas moi qui le dis). Les hommes et quelques femmes, dont une chroniqueuse judiciaire.
« Toute vie, pour être approchée, exige le recueillement. Ce procès ne fut que tumulte et ricanements » (Jacques Vergès, qui deviendra avocat 2 ans plus tard)
La presse, l'appareil judiciaire, le peuple, tous les bien-pensants de la Nation y vont de leur petite opinion vengeresse. Veulent-ils s'absoudre de leurs désastres intimes en faisant ployer une pauvre fille mal aimée, mal élevée, mal dans sa peau ?
« de la rue (la vraie vie, les témoins) à la rue (l'opinion publique façonnée par la presse) en passant par le filtre de l'enquête et de la procédure, une fille comme une autre se transforme en créature de l'Enfer ».

Philippe Jaenada signe ici un livre personnel, stupéfiant de vérité, criant de psychologie, flamboyant.
Il retrace les étapes de la vie de Pauline Dubuisson de manière très détaillée, après avoir fait sa propre enquête, après avoir parcouru les mêmes rues, après avoir lu les documents de l'époque, du commissariat au procès, en passant par l'hôpital et la chambre. On ne peut que vivre la vie de Pauline avec lui, on ne peut qu'adhérer à ses propres opinions.
D'autant qu'il narre cette vie ratée en y intercalant des anecdotes de sa propre vie qui permettent de se détendre (et je peux vous assurer que c'est hilarant !) ; en y ajoutant des tonnes de parenthèses montrant ses propres réactions face aux nombreuses aberrations, abominations des témoins de la vie de Pauline ; et enfin en posant comme jalons ici et là les autres procès de l'époque.

Je vous recommande à tout prix la lecture de ce livre-choc, qui relate à la perfection la vie d'une « créature de l'Enfer », se voulant libre avant l'heure, en cette époque (1940-1960) où les femmes n'ont qu'un seul seigneur et maître : l'homme.

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On ne gagne pas à tous les coups...

La Serpe m'avait retournée comme une crêpe, instruisant à charge puis à décharge contre Georges Arnaud, et emportant très brillamment la mise: une réhabilitation sans faux-pli de son héros.

Sulak vient de me conquérir sans la moindre résistance et je voudrais qu'on pût remonter le cours du temps et rectifier les terribles pas de côté de la scoumoune pour redonner à sa vie la trajectoire sans accroc de funambule au grand coeur qu'il aurait méritée, et lui éviter la fin funeste qui a été la sienne.

Bref, voilà deux fois que Jaenada réussit haut la main dans deux romans-fleuves-enquêtes à me subjuguer par sa documentation, me convaincre par sa logique exigeante et m'embobeliner dans son ironie irrésistible, ses parenthèses poilantes dans lesquelles sa petite vie dérisoire et attachante emboîte le pas à celles, illustres, qu'il entreprend de débrouiller. .

C'est dire si mes attentes étaient gigantesques en lisant, après tout le monde, La petite femelle , le livre qui l'a rendu célèbre auprès du public..

Je n'avais pas très envie de le lire, après l'excellent Je vous écris dans le noir , de Jean-Luc Seigle, qui portait sur le même sujet: la vie de Pauline Dubuisson, tondue à 20 ans, en 1945, condamnée en 1953 pour le meurtre -ou l'assassinat?- de son amant et morte par suicide en 1963, à 36 ans.

Ce n'était pas le Jaenada de trop, rassurez-vous: j'aime toujours autant le bonhomme, le styliste inimitable qu'il est, j'aime toujours qu'il essaie sans désarmer de réhabiliter les maudits, les incompris, de faire comprendre les introvertis , les taiseux, de confondre les idées préconçues, de demonter les mauvais procès et de faire éclater au grand jour les erreurs judiciaires.

Mais cette fois-ci, il ne m'a pas entièrement convaincue. Pourquoi?

D'abord c'est trop long, trop appuyé, trop répétitif et même décentré telle la fin, avec ces biographies successives (et peu succinctes ) des co-détenues de Pauline, au moment le plus pathétique, celui où, pour la dernière fois, la jeune Pauline repart au combat, à sa sortie de prison et tente une nouvelle vie- une veritable faute de composition.

Non que toutes les digressions soient inutiles: j'ai adoré toute la reconstitution de la vie à Dunkerque sous l'occupation, dont j'ignorais les particularités- à l'exception de l'éprouvante bataille qui vit l'embarquement tragique des Anglais- . Autant j'ai trouvé cette digression indispensable à la compréhension de l'intrigue et à celle des choix de la toute jeune Pauline dans cette "poche"funeste de Dunkerque - autant les longueurs et les interminables mises au point sur le procès de 1953 , certes inique et scandaleux, avec le trio infernal Floriot-Lindon-Jadin comme des Erinnyes vengeresses accrochées à leur proie, finissent par jouer à contre-emploi et à fatiguer la bienveillance du lecteur - par un étrange retour de balancier de ce qui s'est produit au procès, où tant d'acharnement a fini par paraître suspect...

Troisième raison de mon bémol: Pauline elle-même, plus difficile à faire aimer que le pudique Georges Arnaud, ou le flamboyant Bruno Sulak, avec toutes ses ombres, tous ses silences, toutes ses ambiguïtés.

Jean-Luc Seigle a, d'une certaine façon, tourné la difficulté de la défense de Pauline en lui donnant la parole et en se fiant à la fiction de ce point de vue interne où l'écrivain rêve son héroïne plus qu'il ne la connaît.

Jaenada, lui, répugne à faire appel à la fiction : sa défense se veut objective, fondée sur les faits...mais ceux-ci semblent lui résister, tant l'héroïne a de facettes contradictoires-qui sont autant de titres de chapitres, jolie trouvaille, d'ailleurs, mais qui en dit long , je trouve, sur sa propre difficulté à cerner Pauline...- de ce fait on a l'impression qu'il piétine, qu'il ressasse, qu'il a du mal à être clair....

C'est ce que j'ai ressenti souvent, dans la partie consacrée au procès, où même les parenthèses amusantes sur les déboires sentimentaux ou la passion pour les saucisses de l'auteur m'ont paru non plus d'hilarants apartés entre lui et nous, mais de pesantes et épuisantes diversions...

Reste un beau portrait de jeune fille, nuancé, et complexe- voyez les titres des chapitres en table des matières!- née trop tôt, dans la mauvaise famille et au mauvais moment, figure moderne et tragique d'une liberté de choix refusée aux femmes, fussent-elles de ravageuses petites femelles...


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Un immense coup de coeur pour ce "roman", en lice pour le Renaudot.

Le 17 mars 1951, Pauline Dubuisson, jeune femme de 24 ans, tue son ancien ami, Félix Bailly, en tirant sur lui à trois reprises (dans une petite chambre de bonne qu'il occupait rue de la Croix-Nivert à Paris) avant de tenter de mettre fin à ses jours.

Tous deux sont jeunes, beaux, étudiants en médecine, originaires du Nord, mais si Félix est doux, gentil, romantique, confiant, gauche, un brin lisse et naïf, Pauline est une ravageuse que la vie a rudement malmenée.

Elevée comme un garçon, à l'écart des autres et sans affection, par un père protestant pénétré de philosophie nietzschéenne et par une mère frêle, transparente, soumise, qui ne la regarde pas, qui ne regarde du reste personne, qui ne se regarde pas davantage, Pauline apprend à s'endurcir, à encaisser, à taire crânement ses sentiments. La force est un devoir. La faiblesse une faute.

La guerre éclate. André Dubuisson, entrepreneur de travaux publics germanophile, choisit alors d'utiliser sa fille - Pauline a 13 ans en 1940 - pour faciliter ses transactions avec les allemands. Il faut dire qu'elle est ravissante, fière, orgueilleuse, qu'elle fait tourner les têtes des lieutenants, des capitaines, des colonels ... C'est bon pour pour ses affaires. Pauline se retrouve dans le lit de l'occupant ce qui lui vaudra, à la Libération, une réputation sulfureuse.

A 17 ans, Pauline, qui a vécu la guerre à Dunkerque, bombardé en permanence, dans les gravats, avec la mort qui décime nuit et jour, n'est déjà plus une jeune fille respectable. Mais une femme très avertie, une agicheuse, une tondue, un esprit dominateur, indocile, scandaleux, qui ne se soumet pas aux normes.

Devenue étudiante à la Faculté de médecine de Lille, elle attire Félix dans ses filets.

Il tombe fou amoureux et propose maintes fois le mariage à cette insoumise qui le prend de haut, le méprise, se joue beaucoup de lui et de ses sentiments.

Si Pauline accepte de prendre avec lui du plaisir, de l'initier, elle refuse de se laisser enfermer, d'abandonner ses études, de devenir une épouse, seul rôle convenable dévolu aux femmes.

De guerre lasse, Félix, qui n'a cessé d'avaler d'indigestes couleuvres, finira par se détourner et décidera de poursuivre ses études à Paris.

Sitôt Félix disparu, Pauline comprendra qu'elle en était, en réalité, amoureuse (il y a quelque chose de Scarlett dans Pauline) mais ne parviendra jamais à le reconquérir jusqu'à ce 17 mars où elle le tuera par accident (ou pas), par désespoir (ou pas), par dépit amoureux (ou pas).

S'ensuivront une invraisemblable curée judiciaire et médiatique, une enquête sans nuance, très partiale, systématiquement à charge, un procès sexiste, odieux, inéquitable, où l'Avocat général réclamera la tête de l'accusée, des articles orduriers, destinés à attiser la haine de la foule.

Et face à ces hyènes décidées à en découdre, Pauline, toujours fière, toujours incapable d'exprimer ses sentiments, seule, sans réel soutien, sans véritable défense à ses côtés.

Dans son ouvrage, riche, drôle, fourmillant de mille digressions personnelles, Philippe Jaenada entreprend de décrypter - avec fougue et minutie - l'affaire, mettant au jour, page après page, la manipulation grossière des faits de la part des enquêteurs et du Parquet, les mensonges éhontés de la presse et les approximations des experts.

A soixante ans d'intervalle, il se fait l'avocat de Pauline.

Il est là, frais, emporté, idéaliste, tenace, rigoureux, envahi par son sujet, comme un jeune confrère devant son premier dossier.

Et l'on se prend à aimer Pauline. Telle qu'elle fut. Loin de l'image que la société souhaitait donner d'elle en forçant le trait et au mépris grossier la vérité.

La dernière page tournée, je l'ai laissée à regret regagner l'ombre. Heureuse malgré tout que justice lui ait enfin été rendue.
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Il y a, dès les premières pages, cette sensation d'être happé(e) par les mots.
Difficile de s'en écarter, l'auteur s'y entend pour nous rendre complices de son travail titanesque, de son investissement personnel et de son empathie.
Il ressort de ce livre haletant plusieurs lectures :
-L'affaire et les faits avec l'incidence de tous les événements personnels de la vie de l'accusée (éducation, enfance, antécédents 40/45, études, relations intimes, amicales, familiales,...)
-Un contexte plus général touchant le fonctionnement de la justice à l'époque : attitudes des juges, des avocats; mentalité de l'époque : la foule, la place de la femme dans la société; la presse : attitudes de certains journalistes.
L'incidence du deuxième contexte interpelle et révolte par ce qu'il conduit à un hallali programmé où la manipulation, les contre-vérités, l'exagération des éléments à charge au détriment des éléments à décharge toujours minimisés voire ignorés conduisent à l'effroi.
C'est ce qui porte ce livre à une sorte d'universalité par les interrogations qu'il suscite à travers le cas très particulier de Pauline Dubuisson à qui rien ne sera épargné même après qu'elle eût payé sa dette (film, revue...) et qui l'amènera au geste ultime puisque plus rien ne lui était possible.
En relatant ce que l'on peut qualifier de cas d'école, Philippe Jaenada traite ce sujet avec la déontologie que l'on est en droit d'attendre d'un journaliste et en lui conférant de surcroît une intensité à donner le tournis.
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Le 17 mars 1951 vers dix heures, trois détonations sourdes et rapprochées retentissent dans un immeuble situé au 25 rue de la Croix-Nivert à Paris. Pauline Dubuisson, 24 ans, vient d'abattre son ancien amant au pistolet avant d'ouvrir le gaz pour mettre fin à ses jours. Les secours la sauvent in extremis de l'asphyxie. La police a à peine investi l'appartement que déjà un groupe de curieux s'agglutine devant les grilles de la résidence. Ce fait divers va - sans que l'on sache très bien pourquoi - fasciner l'opinion publique dès les premiers jours. Les médias vont plonger tête en avant dans le sensationnalisme ; les policiers et les magistrats vont mener une instruction exclusivement à charge. L'affaire tourne à la cabale. Pour que la sauce monte, il faut une bonne victime et un bon coupable. le disparu était jeune, beau, fils d'une famille aisée, futur médecin ; la méchante a contre elle son éducation, son comportement pendant la guerre, ses moeurs qui vont être jetées sur la place publique et réécrites sous un angle largement défavorable. Tout est analysé à charge, sans nuance. On ne retient des dépositions que les éléments qui l'enfoncent, on n'hésite pas à reformuler des propos pour les détourner de leur sens premier. Lors du procès, les magistrats humilient jusqu'à l'écoeurement.

Philippe Jaenada va analyser les rouages de cette affaire, éclairer les erreurs, les interprétations et les insuffisances du dossier d'instruction. Dans les affaires criminelles, les passions mystifient l'esprit, le procès se transforme en curée où tous souhaitent la tête de la hyène. Jaenada démontre que ce qui accable Pauline Dubuisson aux yeux de l'opinion, c'est son émancipation dans une société patriarcale. Vous connaissez la règle : l'homme qui multiplie les conquêtes est un coq, la femme, elle, est une vulgaire salope. Par exemple, si l'on ne tiendra pas rigueur à son père d'avoir fait des affaires avec l'occupant, il ne lui sera jamais pardonné d'avoir eu des liaisons avec des soldats allemands.

Philippe Jaenada prend fait et cause pour l'accusée au risque de manquer parfois de lucidité. Derrière ses lignes, on devine son « Pauline Dubuisson, c'est moi ». Je me suis parfois ennuyé à la lecture de certaines démonstrations (Pauline a-t-elle découché la nuit du 7 mars ?) et j'ai donc bien accueilli les anecdotes personnelles et les digressions qui émaillent le texte. J'ai appris beaucoup de choses sur les années de guerre de la ville de Dunkerque, les conditions de détention des femmes et les grandes affaires criminelles de l'après-guerre. « La petite femelle » est un manifeste passionné qui cherche à rétablir l'honneur d'une femme au destin tragique.
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Je suis sûrement de parti pris dans ma cotation parce que j'aime beaucoup le travail de Philippe Jaenada.
Cette fois, il nous emmène du côté de Dunkerque, à Malo les Bains d'abord, à la rencontre de Pauline Dubuisson, celle qui finira par défrayer la chronique et passionner les foules dans les années 50 après avoir tué son amant. C'est aussi une femme qui a inspiré Modiano... comme quoi.

Comme à son habitude, l'auteur s'est hyper documenté sur son sujet et le replace dans un contexte plus large. Une grande partie du roman sera donc consacrée à la jeunesse de Pauline, durant la guerre, où elle est restée sous les bombes alors qu'une partie de sa famille était descendue dans le sud.
Philippe Jaenada prend le temps de nous faire découvrir Pauline, une jeune femme libre avant l'heure, qui se rêvait médecin et qui lisait beaucoup, surtout des polars. Il dévoile ses failles aussi, son psychisme parfois fragile, son éducation hors norme qui l'a toujours placée en marge.
Bien entendu, par la suite, le procès de Pauline sera passé à la moulinette.

Pour ceux qui connaissent la plume de l'auteur, on ne sera pas surpris de tomber nez à nez avec Anne-Catherine et Ernest au détour d'une page. J'aime les digressions de Philippe Jaenada. Elles permettent de reprendre du souffle dans la tragédie, de sourire malgré les drames. Et toujours cet oeil perçant, logique, critique qu'il pose sur chacune des étapes qui permet de prendre de la hauteur, de voir les choses autrement, de se détacher du convenu.

Et comme souvent, il met le doigt sur les failles, que dis-je, les crevasses de l'appareil judiciaire; sur la veulerie de la majorité des journalistes et les lâchetés de l'être humain. Philippe Jaenada ne critique pas pour critiquer, il décortique, il démonte, il démontre, il explique, il met à plat, il s'interroge.... Et ce qu'il met à jour dans ses romans, ce n'est jamais joli joli mais qu'est-ce que j'aime cette ouverture d'esprit alliée à une érudition certaine, le tout avec humilité même si ce n'est pas toujours l'impression qu'il peut donner à tout le monde.
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