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Critique de michfred


On ne gagne pas à tous les coups...

La Serpe m'avait retournée comme une crêpe, instruisant à charge puis à décharge contre Georges Arnaud, et emportant très brillamment la mise: une réhabilitation sans faux-pli de son héros.

Sulak vient de me conquérir sans la moindre résistance et je voudrais qu'on pût remonter le cours du temps et rectifier les terribles pas de côté de la scoumoune pour redonner à sa vie la trajectoire sans accroc de funambule au grand coeur qu'il aurait méritée, et lui éviter la fin funeste qui a été la sienne.

Bref, voilà deux fois que Jaenada réussit haut la main dans deux romans-fleuves-enquêtes à me subjuguer par sa documentation, me convaincre par sa logique exigeante et m'embobeliner dans son ironie irrésistible, ses parenthèses poilantes dans lesquelles sa petite vie dérisoire et attachante emboîte le pas à celles, illustres, qu'il entreprend de débrouiller. .

C'est dire si mes attentes étaient gigantesques en lisant, après tout le monde, La petite femelle , le livre qui l'a rendu célèbre auprès du public..

Je n'avais pas très envie de le lire, après l'excellent Je vous écris dans le noir , de Jean-Luc Seigle, qui portait sur le même sujet: la vie de Pauline Dubuisson, tondue à 20 ans, en 1945, condamnée en 1953 pour le meurtre -ou l'assassinat?- de son amant et morte par suicide en 1963, à 36 ans.

Ce n'était pas le Jaenada de trop, rassurez-vous: j'aime toujours autant le bonhomme, le styliste inimitable qu'il est, j'aime toujours qu'il essaie sans désarmer de réhabiliter les maudits, les incompris, de faire comprendre les introvertis , les taiseux, de confondre les idées préconçues, de demonter les mauvais procès et de faire éclater au grand jour les erreurs judiciaires.

Mais cette fois-ci, il ne m'a pas entièrement convaincue. Pourquoi?

D'abord c'est trop long, trop appuyé, trop répétitif et même décentré telle la fin, avec ces biographies successives (et peu succinctes ) des co-détenues de Pauline, au moment le plus pathétique, celui où, pour la dernière fois, la jeune Pauline repart au combat, à sa sortie de prison et tente une nouvelle vie- une veritable faute de composition.

Non que toutes les digressions soient inutiles: j'ai adoré toute la reconstitution de la vie à Dunkerque sous l'occupation, dont j'ignorais les particularités- à l'exception de l'éprouvante bataille qui vit l'embarquement tragique des Anglais- . Autant j'ai trouvé cette digression indispensable à la compréhension de l'intrigue et à celle des choix de la toute jeune Pauline dans cette "poche"funeste de Dunkerque - autant les longueurs et les interminables mises au point sur le procès de 1953 , certes inique et scandaleux, avec le trio infernal Floriot-Lindon-Jadin comme des Erinnyes vengeresses accrochées à leur proie, finissent par jouer à contre-emploi et à fatiguer la bienveillance du lecteur - par un étrange retour de balancier de ce qui s'est produit au procès, où tant d'acharnement a fini par paraître suspect...

Troisième raison de mon bémol: Pauline elle-même, plus difficile à faire aimer que le pudique Georges Arnaud, ou le flamboyant Bruno Sulak, avec toutes ses ombres, tous ses silences, toutes ses ambiguïtés.

Jean-Luc Seigle a, d'une certaine façon, tourné la difficulté de la défense de Pauline en lui donnant la parole et en se fiant à la fiction de ce point de vue interne où l'écrivain rêve son héroïne plus qu'il ne la connaît.

Jaenada, lui, répugne à faire appel à la fiction : sa défense se veut objective, fondée sur les faits...mais ceux-ci semblent lui résister, tant l'héroïne a de facettes contradictoires-qui sont autant de titres de chapitres, jolie trouvaille, d'ailleurs, mais qui en dit long , je trouve, sur sa propre difficulté à cerner Pauline...- de ce fait on a l'impression qu'il piétine, qu'il ressasse, qu'il a du mal à être clair....

C'est ce que j'ai ressenti souvent, dans la partie consacrée au procès, où même les parenthèses amusantes sur les déboires sentimentaux ou la passion pour les saucisses de l'auteur m'ont paru non plus d'hilarants apartés entre lui et nous, mais de pesantes et épuisantes diversions...

Reste un beau portrait de jeune fille, nuancé, et complexe- voyez les titres des chapitres en table des matières!- née trop tôt, dans la mauvaise famille et au mauvais moment, figure moderne et tragique d'une liberté de choix refusée aux femmes, fussent-elles de ravageuses petites femelles...


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