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Critique de Colchik


Pourquoi faut-il lire Henry James aujourd'hui ? Il pourrait décourager nombre de lecteurs par la minceur de ses intrigues, la lenteur de leur déroulement, la dissection des caractères poussée à l'extrême. Eh bien ! il faut le lire pour tous ces motifs qui révèlent l'un des écrivains américains les plus sensibles et les plus honnêtes dans son travail.
Pourquoi est-ce que je parle ici d'honnêteté, un terme qui peut paraître inapproprié pour un auteur de fiction ? Henry James ne triche pas, comme a pu le faire de temps à autre Scott Fitzgerald. Il n'abandonne jamais ses personnages en route. Chacun d'eux possède une force qui est avant tout une capacité de réflexion et une intelligence des situations dans lesquelles il est placé.
Quel étrange ballet se livrent les couples de cette histoire ! La figure centrale de cette constellation mouvante, sans cesse décomposée et recomposée au fil de ses interrogations, est Maggie Verver, l'épouse du prince Amerigo. Au couple mondain et charmant qu'elle pourrait former avec son époux, elle lui substitue l'étroite relation qu'elle entretient avec son richissime père. Américains installés à Londres, leurs résidences sont proches et leurs visites quotidiennes. Charlotte Stant, l'épouse de M. Verver, loin de s'offusquer de cette relation quasi exclusive, assume les fonctions de représentation mondaine que négligent les Verver, en compagnie de son beau-fils, le Prince. Quatre années ont passé depuis leurs mariages respectifs et la complicité qui lie Charlotte et Amerigo ne fait que croître. Ils partagent une langue commune (Charlotte a été élevée en Italie par des parents américains bohèmes), mais aussi un passé que chacun a dissimulé à son conjoint. Charlotte et Amerigo auraient pu se marier si l'un et l'autre n'avaient été dans la gêne. Belle-mère et gendre malgré eux, ils fréquentent la bonne société londonienne et se plient à ses usages avec le zèle des missionnés. La double union des Verver doit tout au zèle de Fanny Assingham. Cette pragmatique new-yorkaise entre deux âges, mariée à un officier britannique sans fortune, snobée par la gentry, s'est attachée à faire la bonne fortune de ses amis.
La plume d'Henri James agit comme un scalpel. Elle fouille chaque recoin de l'âme de Maggie, déterre chaque minuscule élément qui la fait lentement émerger de la torpeur dans laquelle elle était plongée. Maggie n'avait jamais investi réellement le champ amoureux avant de découvrir la jalousie – une jalousie qu'elle ne parvient plus à tenir à distance malgré toutes les précautions dans lesquelles elle se ligote. Elle a peur, peur de la vérité : la trahison de Charlotte abattrait son père, non pas parce qu'elle assisterait au désespoir d'un homme amoureux de sa femme, mais au sacrifice inutile d'un père qui ne se serait marié que pour la délivrer de son devoir filial. Maggie se refuse à être une femme tant son père absorbe son attention. Il faut qu'elle éprouve la déchirure de la jalousie pour sortir de sa chrysalide d'enfant dévouée. C'est cette métamorphose qui subjugue le Prince et le ramène vers elle.
Henry James accomplit une prouesse, en suivant chaque pensée de Maggie, nous nous égarons avec elle dans ce qu'elle se refuse tout d'abord à voir. Comme le génie de la lampe, l'imposante Fanny Assingham vient quand tout chancelle autour de Maggie et son esprit pratique – à défaut de sauver toutes les situations – les embrouille si bien que le désir amoureux finit par l'emporter sur le sentiment amoureux.
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