Comme beaucoup d'admirateurs d'«
Orgueil et Préjugés », j'ai laissé avec regret Elizabeth Bennet et son Darcy vivre le début d'une vie conjugale chèrement acquise. Cela a dû être le cas aussi pour PD James qui a entrepris de les ressusciter dans un roman mi-suite, mi-pastiche, qui déplace l'univers de
Jane Austen dans celui du polar.
Six ans après la fin du roman initial, Elizabeth et Darcy coulent des jours heureux à Pemberley, entourés de leurs deux jeunes garçons. C'est la veille de leur bal annuel, les préparatifs battent donc leur plein dans une ambiance un peu tendue, pas seulement en raison de l'événement du lendemain, mais aussi d'un pressentiment funeste (l'ambiance est très brillamment décrite par PD James qui donne par là une saveur gothique et angoissante plutôt appréciable au début de son roman). Une appréhension qui s'avérera juste puisque Lydia Wickham fera brusquement irruption, folle de panique : une altercation entre son mari et le capitaine Denny, leur ami, a mal tourné. Des coups de feu ont été entendus. La mort a frappé…
Le sentiment a été mitigé pour cette revisite de PD James : j'ai eu souvent l'impression qu'elle essayait de se couler dans un vêtement qui ne lui allait pas tout à fait : les boutons ont du mal à fermer, les coutures se distendent.
En premier lieu, ce qui m'a surprise, mais cela s'explique parce qu'on est loin du romantisme austénien, c'est une certaine perte de repères face à cette version sombre des romans de
Jane Austen ; celle-ci, de ses propres mots, « abandonnait promptement des sujets aussi détestables » que la culpabilité, le dégoût ou le ressentiment, alors que PD James les exploite largement ici. C'est d'ailleurs Darcy qui en fait principalement les frais tout au long du roman, ou plutôt son mental est la victime collatérale du meurtre, puisqu'il remet en cause son passé, et la manière selon laquelle les choses se sont déroulées dans sa vie : « Lui-même cheminait péniblement devant Alveston, empli d'une amertume qui laissait place de temps à autre à une bouffée de colère, semblable à la ruée de la marée montante. Ne serait-il donc jamais débarrassé de George Wickham ? […] Pendant combien de temps Wickham avait-il ourdi sa vengeance ? […] Il avait espéré que son bonheur conjugal chasserait définitivement cette humiliation de son esprit, mais elle revenait de plus belle, rendue plus vivace encore par toutes ces années de refoulement, fardeau intolérable de honte et de dégoût de soi d'autant plus amer que Darcy savait que c'était une fois de plus son argent, et lui seul, qui avait persuadé Wickham d'épouser Lydia Bennet. Ce geste de générosité lui avait été inspiré par son amour pour Elizabeth, mais c'était son mariage avec celle-ci qui avait introduit Wickham dans sa famille […]. S'il avait réussi à tenir Wickham à l'écart de Pemberley, il ne pourrait jamais l'effacer de son esprit » (pp. 95-95).
Il est ainsi troublant de reconnaître des personnages que l'on a aimés sous un certain jour, se montrer sous d'autres, plus vénéneux, moins monolithiques et donc moins romantiques. Mais également plus proches de la vraie vie ! Il faut reconnaître à PD James d'avoir su s'emparer de ses personnages avec brio : le caractère ténébreux (voire torturé), socialement mal à l'aise, de Darcy est particulièrement bien retranscrit ; Elizabeth, avec ses réflexions un peu vives, mais plus nuancées, apparaît toujours un peu subjuguée, à son corps défendant, par Wickham.
Plus qu'un polar qui met en avant les rouages judiciaires de l'Angleterre du XIXe siècle – ce qu'il est aussi –, j'y ai vu un roman sur la culpabilité, celle d'un homme, Darcy, quelque peu écrasé par les responsabilités d'entretenir le lustre attaché au nom familial : s'il ne regrette pas son mariage, on le sent presque traumatisé d'avoir dû braver les conventions de sa classe pour obtenir la main d'Elizabeth. Revient également en boucle chez lui l'idée flagellante qu'aujourd'hui est la conséquence du passé, et que, quelque part, l'on ne peut complètement rétablir un destin qui a été forgé par malchance auparavant. Darcy réussit à apparaître encore plus rigide que chez
Jane Austen, à la limite du choc post-traumatique, autant dire que son charme s'en amoindrit quelque peu.
En outre, quelle pesanteur des conventions sociales dans ce roman ! Cette peur constante du qu'en dira-t-on et de la brisure de réputation, plus forte chez PD James que chez
Jane Austen, probablement parce qu'elle n'est pas une contemporaine des moeurs qu'elle décrit, crée une distance entre les gens et les sépare quelque peu au final, puisque les gestes et les mots sont parfois, par devoir et désir de conserver les apparences, éloignés des envies.
Ainsi, «
La mort s'invite à Pemberley » est un curieux roman, pas tout à fait un polar ni une suite à «
Orgueil et préjugés ». Ce serait plutôt une sorte de fanfiction, déplacé dans un univers parallèle. Ça ressemble à du
Jane Austen, ça en a un peu le goût, mais finalement ce n'est pas du
Jane Austen. Autant le savoir à l'avance et le garder en tête afin de ne pas être déçu(e) !